À quelques jours de la passation de pouvoir entre Donald Trump et Joe Biden, le Département d’État pourrait faire bénéficier Khalifa Haftar de l’immunité accordée aux chefs d’État, alors qu’il est poursuivi pour crimes de guerre aux États-Unis.
Poursuivi pour crimes de guerres aux États-Unis, l’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar, n’a plus qu’une petite dizaine de jours pour convaincre le Département d’État de lui accorder l’immunité des chefs d’État. Alors que l’administration Trump fait ses cartons, le secrétaire d’État adjoint pour le Proche-Orient David Schenker a été invité à se prononcer devant l’East Virginia District Court avant le 4 janvier.

Le dernier arbitrage libyen de David Schenker

La juge Leonie Brinkema, saisie de deux des quatre plaintes visant Haftar aux États-Unis, veut déterminer si son Armée nationale libyenne (ANL) agissait, lors de la reprise de Benghazi en 2014 et durant le siège de Tripoli en 2019, sous les ordres d’une quelconque autorité politique. La juge veut aussi que le Département d’État se prononce sur l’opportunité de poursuivre ces deux procédures judiciaires, menées dans le cadre du Torture Victim Protection Act.
Edward John Ungvarsky et Duncan Levin, avocats du général, ont déjà plaidé que leur client était couvert par l’immunité due aux chefs d’État, soulignant les « contacts directs » entre le général et l’administration américaine. Si cette dernière a toujours soutenu le gouvernement internationalement reconnu, à Tripoli, Donald Trump lui-même avait salué le rôle actif du général dans la lutte anti-terroriste en avril 2019. Et Washington pourrait être tenté d’accorder sa protection au général, moins en raison de sa double nationalité libyenne et américaine que pour faciliter un compromis politique en Libye.

Emadeddin Muntasser à la manœuvre, de la Virginie à La Haye

Emadeddin Muntasser, relais très actif à Washington de la mouvance islamiste libyenne, a déjà allumé des contre-feux. La Democracy & Human Rights Foundation (DHRF), qu’il préside, a écrit le 16 décembre à David Schenker pour le dissuader de se prononcer en faveur d’une immunité. Prévoyant, il a transmis la même missive au président élu Joe Biden, aux présidents des comités des affaires étrangères du Sénat et de la Chambre des représentants, respectivement Jim Risch et Eliot Engel, et à plusieurs hauts responsables du Département d’État et du FBI.
Egalement numéro deux du Libyan American Council for Public Affairs (Lapac), Emadeddin Muntasser est proche des plaignants : il avait prodigué dès 2017 ses conseils à l’une d’eux, Muna al-Suyid, qui a perdu son père et ses trois frères à Benghazi. Il épaule en outre Ali Abdalla Hamza, un Canado-Libyen qui a déposé une troisième plainte pour « crimes de guerres » contre Khalifa Haftar devant l’East Virginia District Court en septembre. Emadeddin Muntasser avait aussi directement saisi en 2017 la Cour pénale internationale (CPI). Celle-ci, qui a déjà inculpé l’un des principaux lieutenants de Khalifa Haftar, Mahmoud al-Werfalli, enquête depuis juillet sur les charniers découverts à Tarhouna, près de Tripoli, après le retrait de l’ANL.
D’autres réseaux activistes se mobilisent dans l’ombre. Dans le dernier procès visant Khalifa Haftar, lancé en février à Washington, les six plaignants ont reçu l’appui de Human Rights Solidarity, ONG basée à Genève et dirigée par Khaled Saleh. Devant l’impossibilité d’assigner Haftar directement, celle-ci a fait appel à une firme tripolitaine, High Quality Media Services, pour faire publier des citations à comparaître dans plusieurs médias libyens, tous proches des autorités de l’Ouest ou de la mouvance islamiste.
Les fils de Haftar déjà sortis d’affaire.
En dépit de cet activisme, l’affrontement judiciaire a plutôt favorisé le camp Haftar. Le 29 septembre, la juge Brinkema a rejeté six des sept chefs d’accusation pesant contre le général dans l’affaire al-Suyid, ne retenant que la principale (torture et assassinats). Surtout, il a disculpé ses fils, Khalid Haftar et Saddam Haftar, officiers de l’ANL. Voilà qui devrait leur permettre de se rendre à nouveau aux États-Unis, où Khalid Haftar s’est essayé au lobbying en faveur de son père.
Quant à leur frère Okba Haftar, il n’est inquiété par aucune de ces procédures. Il faut dire qu’il n’a jamais quitté la Virginie, où il gère de nombreuses sociétés d’immobilier (Eastern Brothers Group, Alexampton Investment, ABKO Investments) et une société de transport, Pelican Line International.
La politique n’est jamais loin, cependant. Okba Haftar s’était brièvement associé en 2018 à Walid Phares, éphémère conseiller aux affaires étrangères de Donald Trump et l’un des plus virulents soutiens de Khalifa Haftar à Washington, au sein de la société Transglobal Commerce and Construction.

Tchadanthropus-tribune avec la lettre du Continent

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