S’ils s’affichent tous deux aux côtés des putschistes du Sahel, l’activiste d’origine camerounaise et le producteur né à Douala peuvent aussi se diviser, voire se combattre violemment via les réseaux sociaux.

Alors qu’il a quitté Radio France Internationale (RFI) il y a moins d’un an, en octobre 2023, Alain Foka n’a pas pour autant disparu des radars des auditeurs africains. Grâce aux réseaux sociaux, où il a renforcé sa présence après son départ de RFI, le producteur continue de livrer ses analyses sur l’actualité africaine. Le 4 août, il publiait ainsi une longue vidéo, relayée sur sa chaîne YouTube personnelle, forte de près d’un million d’abonnés. Intitulée « La menace qui pèse sur l’Afrique », celle-ci aborde l’un de ses thèmes favoris : la prédation que les grandes puissances font peser sur le continent depuis des siècles.

Alain Foka et les « game changers »

Convoquant les régimes esclavagistes arabes, puis les empires coloniaux européens et leurs successeurs néocoloniaux, Alain Foka déroule ainsi l’histoire d’une Afrique pillée et exploitée avec l’assentiment, dit-il, d’hommes politiques africains, « diplômés aux ordres » et « victimes du syndrome de Stockholm ».

L’ancien journaliste de France Inter, Europe 1, puis RFI – où il avait posé ses valises en 1994 -, y trouve la justification des coups d’État en série ayant frappé l’Afrique de l’Ouest depuis 2020, au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et au Niger, ceux-ci ayant selon lui « mis fin à des régimes gangrénés et pilotés de l’extérieur ».

Citant Assimi Goïta, Ibrahim Traoré, Mamadi Doumbouya et Abdourahamane Tiani, Alain Foka salue « ces officiers [qui] sont des game changers, car ils viennent de mettre fin à un modèle qui était arrivé à son terme ». « Ils ont réussi à mettre dehors ceux qui imposaient leurs hommes pendant tant d’années », ajoute-t-il.

« Ces militaires ont considérablement amélioré la situation sécuritaire » au Sahel, affirme-t-il encore, bien que concédant que des attaques terroristes puissent encore avoir lieu au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Une analyse non confirmée par les chiffres de l’ONG indépendante Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), qui suggèrent plutôt une détérioration depuis le début de la vague de putschs.

Pour Nathalie Yamb, « Doumbouya n’a rien changé du tout »

Alain Foka met toutefois en garde les officiers putschistes. Visant notamment, sans le nommer, le Burkinabè Ibrahim Traoré, le producteur évoque les « enlèvements intempestifs de personnes », et appelle à la « vigilance » face aux dérives provoquées par « certains [des] proches » des leaders putschistes.

Une banderille que lui a reprochée un soutien inconditionnel de la première heure d’Assimi Goïta, Ibrahim Traoré et Abdourahamane Tiani : Nathalie Yamb. Sur ses réseaux sociaux, l’activiste suisse d’origine camerounaise rappelle ainsi, prenant à partie Alain Foka, que le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont soumis à la « guerre » et « à la déstabilisation étrangère ».

Justifiant ainsi la fermeté des régimes putschistes et le maintien du pouvoir entre les mains des militaires, la résidente suisse proche de la Russie de Vladimir Poutine reproche à Alain Foka d’associer à ses louanges initiales le Guinéen Mamadi Doumbouya. Un putschiste que celle qui s’est surnommée la « Dame de Sotchi » ne porte pas dans son cœur.

« Doumbouya, adoubé par [Alassane] Ouattara, jamais dérangé par Paris et Washington, n’a rien changé du tout, n’a mis dehors aucun intérêt français, européen ou américain », affirme-t-elle, décrivant l’ancien journaliste Alain Foka comme un « businessman sans foi ni loi » et « malhonnête ».

« Ils convoitent la même audience »

« Ce monsieur n’a jamais été dans le combat panafricain ou souverainiste […] et c’est lui qui veut donner des leçons, écrit-elle. […] Le peuple a de la mémoire et elle ne se limite pas aux faits et méfaits de l’ancienne classe politique, mais [s’étend] également à ceux qui, pendant trente-deux ans, ont servi le système de la Françafrique. »

Pourquoi tant de virulence ? Au-delà de la querelle idéologique, Nathalie Yamb et Alain Foka – comme d’ailleurs l’activiste d’origine béninoise Kemi Seba – partagent la même volonté – et le même intérêt financier – de capter l’audience panafricaine et souverainiste sur les réseaux sociaux.

« Alain Foka est un journaliste de formation, mais c’est surtout un producteur depuis des années. Il sait ce qui attire l’audience et la rentabilité », explique un de ses amis. Qui poursuit : « À RFI, il a toujours eu en tête l’intérêt des Africains. Le voir tenir aujourd’hui ce discours souverainiste n’est pas étonnant. »

« Foka et Yamb ont chacun leur style, mais ils se retrouvent aujourd’hui à convoiter la même audience », affirme quant à lui un communicant les ayant tous deux côtoyés. « Ils ont aussi tous deux intérêt, y compris financièrement, à entretenir de bons rapports avec les putschistes sahéliens », ajoute cette source.

Se positionner en éminences grises des putschistes

Également bien en cour au Togo de Faure Essozimna Gnassingbé et auprès de Félix Tshisekedi en RDC, Alain Foka travaille actuellement au lancement de AFO Media, une plateforme digitale « pour une Afrique décomplexée et debout ». Celle-ci devrait être officiellement mise en activité le 7 septembre.

Nathalie Yamb monétise, quant à elle, sa présence numérique et ses centaines de milliers de vues sur Internet. Elle a aussi créé une structure de « conseil, stratégie et communication », Nathalie Yamb Consulting, installée dans le paradis fiscal du canton de Zoug, en Suisse.

L’activiste a aussi été citée dans les Pandora Papers en tant que propriétaire de Hutchinson Hastings & Partners LLC, enregistrée aux États-Unis, ainsi que dans l’affaire Liyeplimal, plateforme de cryptomonnaie détenue par le Camerounais Émile Parfait Simb (dont elle est proche) et soupçonnée d’être une pyramide de Ponzi. Comme Kemi Seba, qui a reçu un passeport nigérien en tant que conseiller d’Abdourahamane Tiani, elle cherche surtout à se positionner en éminence grise des putschistes.

« Elle accuse Foka d’avoir été l’homme qui murmurait à l’oreille des présidents africains et de vouloir continuer à le faire aujourd’hui, mais c’est exactement ce qu’elle veut faire également, d’autant qu’elle en tire personnellement profit », conclut notre communicant.

Jeune Afrique

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