Longtemps associé au « Front du refus », le Soudan s’est résigné à reconnaître l’État hébreu sous la pression de Washington.

Dans le sillage des Émirats arabes unis et du Bahreïn, aux mois d’août et septembre, le Soudan est devenu le troisième pays arabe de l’ère Trump à normaliser ses relations avec l’État hébreu.

L’annonce faite le 23 octobre par la Maison-Blanche met fin à plusieurs mois de spéculations, notamment suscitées par l’entretien surprise à Entebbe, le 3 février dernier, entre le général Abdel Fattah al-Burhane, président du Conseil souverain du Soudan, et Benyamin Netanyahou.

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Le 24 octobre, dans une allocution télévisée, le Premier ministre israélien n’a d’ailleurs pas manqué de saluer la médiation du chef d’État ougandais, Yoweri Musevini.

Embellie diplomatique

La voie ouvrant à cette embellie diplomatique s’est accompagnée de signaux forts : un premier vol commercial entre Tel Aviv et Khartoum, puis l’autorisation donnée aux appareils israéliens de survoler l’espace aérien du troisième plus grand pays d’Afrique et, enfin, l’indiscrétion de Haidar Badawi Sadiq, porte-parole du ministère des Affaires Etrangères soudanais, limogé cet été pour avoir évoqué publiquement l’existence de pourparlers avec l’État hébreu.

« C’est une question de temps, nous sommes en train de tout finaliser, avait fini par admettre un responsable de Khartoum en gardant cette fois l’anonymat. L’initiative des Émirats nous a encouragé et a contribué à calmer certaines voix au sein du gouvernement qui craignaient une réaction hostile de la population. »

Pourtant, ni les manifestations sporadiques qui ont éclaté le 24 octobre dans la capitale soudanaise — durant lesquelles le drapeau israélien a été brûlé –, ni l’opposition virulente d’une grande partie de la classe politique ne donne l’impression d’une « paix véritable » dont s’était enorgueilli Netanyahou lors de la signature des « accords d’Abraham » avec Abou Dhabi et Manama.

L’ANCIEN PREMIER MINISTRE SADIQ AL-MAHDI LAISSE ENTENDRE QUE L’ACCORD METTRA EN PÉRIL L’AUTORITÉ DU FRAGILE GOUVERNEMENT SOUDANAIS.

Avant de pouvoir être célébré, le nouveau traité sera soumis au Parlement soudanais transitoire qui attend toujours d’être formé. Menaçant, l’ancien Premier ministre Sadiq al-Mahdi, chef du grand parti Oumma, laisse entendre que l’accord mettra en péril l’autorité du fragile gouvernement soudanais.

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« Cette déclaration contredit notre loi nationale. Elle contribue à l’élimination de tout projet de paix au Moyen-Orient et précipite le déclenchement d’une nouvelle guerre », prédit celui qui avait été renversé en 1989 par Omar el-Béchir, avec le soutien des islamistes.

Antisionisme historique

Un sondage réalisé en octobre par le Centre arabe pour la recherche et la politique révèle que seuls 13 % des Soudanais approuvent l’établissement de relations avec Israël et que 79 % s’y opposent. Bien plus qu’un simple antagonisme, il reflète l’antisionisme historique de Khartoum.

En 1948, six compagnies soudanaises sont engagées aux côtés des armées arabes pour anéantir l’État juif naissant. Quelques mois après l’humiliante guerre des Six-Jours, en 1967, une conférence réunissant les principaux acteurs de la Ligue arabe aboutit aux fameux « trois non » de Khartoum à Israël : non à la paix, non à la reconnaissance et non à toute négociation.

LE REVIREMENT DU SOUDAN REVÊT UNE IMPORTANCE SYMBOLIQUE ET STRATÉGIQUE

« Le revirement du Soudan revêt une importance symbolique et stratégique, affirme l’expert militaire israélien Ronen Bergman. Il enterre un peu plus la vieille stratégie de l’OLP consistant à maintenir la solidarité arabe derrière le rejet d’Israël aussi longtemps qu’un État palestinien ne verra pas le jour. »

L’État hébreu ne se plaindra pas de perdre un si farouche adversaire. Longtemps, Tel Aviv a apporté son soutien armé aux tribus du Sud opposées au pouvoir central de Khartoum, avant que le Mossad, dans les années 1980, ne profite de la bienveillance de l’ancien président soudanais Gaafar Nimeiry pour exfiltrer des milliers de Falashas (juifs éthiopiens) via le Soudan.

Quête de légitimité

Les hostilités reprennent finalement sous la présidence d’Omar al-Béchir (1989) quand celui-ci transforme son pays en plaque tournante de la contrebande d’armes iraniennes, à destination du Hamas palestinien en particulier. Entre 2009 et 2014, au moins trois frappes visant des convois ou des usines de missiles ont été attribués à l’aviation de Tsahal.

« Avant de se rapprocher d’Israël, le réalignement de Khartoum s’est illustré par son soutien à l’Arabie Saoudite dans sa guerre au Yémen en 2015, puis par la rupture brutale de ses relations avec Téhéran l’année suivante », rappelle Bergman.

LE GOUVERNEMENT TRANSITOIRE MET TOUT EN ŒUVRE POUR QUE LE SOUDAN REDEVIENNE UN ÉTAT FRÉQUENTABLE 

Les étoiles semblaient ainsi alignées. Depuis la révolution ayant conduit à la chute d’Omar el-Béchir en 2019, le gouvernement transitoire est en quête de légitimité et met tout en œuvre pour que le Soudan redevienne un État fréquentable sur la scène internationale.

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C’est dans cette brèche que se sont engouffrées les pétromonarchies du Golfe, soucieuses d’élargir la coalition régionale anti-iranienne. Selon des sources concordantes, Riyadh se serait porté garant des compensations financières (335 millions de dollars) que Khartoum a finalement consenti à payer aux États-Unis pour se voir retirer de la liste américaine des pays « soutenant le terrorisme ». Un statut que traîne le Soudan depuis qu’il a servi de refuge à l’ancien chef d’Al-Qaïda Oussama Ben Laden, et aux commanditaires des attentats de 1998, entre autres, contre les ambassades américaines à Nairobi et Dar es-Salaam (224 morts).

Briser l’isolement international

Objet d’âpres négociations, ponctuées parfois d’ultimatums, cet épineux dossier a constitué le dernier point d’achoppement entre Washington et Khartoum. Libérées de ce fardeau, les autorités soudanaises peuvent espérer briser l’isolement international dans lequel est englué leur pays depuis trois décennies.

Mais leur détresse politique et l’état d’urgence humanitaire du Soudan ont également servi de levier à l’administration Trump pour imposer la paix avec Israël.

LEURS BESOINS ÉCONOMIQUES SONT TELS QU’IL LEUR A ÉTÉ IMPOSSIBLE DE REFUSER LES EXIGENCES AMÉRICAINES »

« Ils n’ont pas eu le choix, affirme Chaïm Koren, ancien ambassadeur de l’État hébreu au Sud-Soudan. Leurs besoins économiques sont tels qu’il leur a été impossible de refuser les exigences américaines. Mais les contacts avec Israël remontent à quelques années. Je crois qu’ils sont maintenant préparés à cet incroyable pas en avant et à faire table-rase du passé », poursuit le diplomate.

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Si la méthode reste discutable, Washington n’a pas trahi ses engagements. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a rapidement annoncé l’envoi d’une première enveloppe de 81 millions de dollars à Khartoum pour subvenir aux besoins immédiats de la population, notamment des personnes déplacées par les combats au Sud du pays.

800 millions de dollars d’investissements

À plus longue échéance, les États-Unis se seraient engagés à investir près de 800 millions de dollars dans divers projets de développement et d’infrastructures, ce qui reste encore loin des attentes du gouvernement soudanais qui réclame de 3 à 4 milliards de dollars.

Sur ce point, Israël attend comme souvent en Afrique de pouvoir offrir son expérience dans les domaines agricoles et technologiques.

« Nous espérons une paix chaleureuse, et nous allons immédiatement envoyer l’équivalent de 5 millions de dollars de blé à nos nouveaux amis du Soudan, a annoncé le bureau du Premier ministre dans un communiqué. Israël travaillera en étroite collaboration avec les États-Unis pour contribuer à la transition au Soudan ».

En attendant l’issue des élections américaines et le sort réservé à Donald Trump, c’est ainsi que fonctionne la nouvelle Pax Americana.

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique.com

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