Dix ans après Chibok, l’enlèvement de 25 lycéennes dans le nord-ouest du pays survient alors que Washington prépare un vote crucial ce 20 novembre sur la liberté religieuse au Nigeria.

Quatre jours après l’enlèvement de 25 lycéennes dans l’État de Kebbi, dans le nord-ouest du Nigeria, les forces de sécurité poursuivent leurs opérations de recherche, appuyées par des milices communautaires et des volontaires locaux. L’attaque, survenue dans la nuit de dimanche à lundi, a de nouveau mis en lumière la vulnérabilité des établissements scolaires féminins dans une région en proie à la violence des gangs armés.

Un groupe d’hommes lourdement armés a pris d’assaut la Government Girls Comprehensive Secondary School de Maga vers 4 heures du matin, tuant le proviseur adjoint Hassan Yakubu Makuku et blessant un membre du personnel avant d’enlever les élèves.

Ce raid rappelle celui de 2021 au Federal Government College de Yauri, où plus de 100 élèves avaient été kidnappées, certaines libérées des mois ou années plus tard, mariées de force et revenues avec des enfants.

« Les mesures de sécurité ne fonctionnent pas »

Pour Isa Sanusi, directeur d’Amnesty International Nigeria, cette attaque n’a rien d’un incident isolé : « Une nouvelle attaque contre une école et l’enlèvement d’élèves montrent une fois de plus que les mesures de sécurité mises en place par le gouvernement nigérian ne fonctionnent pas. De nombreuses écoles du Nord restent vulnérables et non sécurisées. Cela porte clairement atteinte au droit à l’éducation. »

L’expert souligne au Point Afrique l’échec structurel de l’État : « Le système de sécurité nigérian échoue de plus en plus à protéger la population, et ce à bien des niveaux. »

« Ils ont tiré sur mon mari et m’ont traînée hors de la maison »

Le récit de l’épouse du proviseur, recueilli par Nigerian Tribune, donne la mesure de la brutalité de l’attaque. Réveillée par des bruits à l’extérieur de son domicile situé à proximité de l’école, elle raconte avoir vu des hommes masqués envahir leur maison :

« Nous avons essayé de résister, mais l’un d’eux a tiré sur mon mari. Ensuite, ils m’ont tirée par la main à l’extérieur. Je criais encore quand ma fille est arrivée. Ils m’ont laissée et c’est elle qu’ils ont emportée », témoigne-t-elle. Sa fille est parvenue à s’enfuir quelques minutes plus tard, profitant de la confusion provoquée par le regroupement des autres captives.

Bandits, insurgés : une menace devenue systémique

Pour Isa Sanusi, les responsabilités sont multiples : « Parfois, les attaques sont menées par des bandits, parfois par des insurgés. Les insurgés sont connus pour cibler les écoles et enlever des enfants. Bandits comme insurgés prennent régulièrement les établissements scolaires pour cibles. »

Il rappelle l’ampleur du phénomène : « De 2014 à aujourd’hui, au moins quinze enlèvements massifs d’écoles ont été recensés au Nigeria. Dans certains cas, des élèves ont été tués. Les attaquants ciblent aussi les filles. »

Armée, milices et volontaires mobilisés

Le porte-parole de la police de l’État de Kebbi, Nafiu Abubakar Kotarkoshi, a confirmé que des unités tactiques avaient été déployées, épaulées par des soldats et des groupes d’autodéfense locaux. Des hélicoptères de reconnaissance ont également survolé la zone forestière à la frontière du Zamfara, où, selon Vanguard, les ravisseurs se replient régulièrement pour échapper aux forces de sécurité.

Le gouverneur de l’État, Nasir Idris, en visite sur le site de l’attaque, a assuré que les autorités ne ménageraient aucun effort : « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ces enfants soient secourues. Personne ne doit se résigner à ces enlèvements répétés », a-t-il déclaré, cité par The Guardian Nigeria.

Un marché de l’enlèvement devenu lucratif

Isa Sanusi insiste sur une crise sécuritaire profonde : « Le Nigeria fait face à une crise avec divers groupes armés attaquant les communautés, les tuant et enlevant les habitants. Les enlèvements contre rançon sont devenus lucratifs. »

Pour lui, ces enlèvements en série en disent long sur l’impuissance du pouvoir : « Ils montrent clairement que le président Bola Tinubu et son gouvernement n’ont aucun plan efficace pour mettre fin à des années d’atrocités commises par des groupes armés en pleine expansion. Les mesures actuelles ne fonctionnent pas. »

Une région sous pression entre djihadisme et économie criminelle

L’État de Kebbi se situe au carrefour de plusieurs zones d’insécurité. Aux infiltrations djihadistes venues du Sahel s’ajoutent des groupes criminels actifs entre les États de Zamfara, Katsina, Kaduna, Sokoto et Niger. Ces gangs disposent de camps dans les forêts où ils stockent armes, carburant, motos et otages.

Si ces groupes sont distincts de la mouvance djihadiste du Nord-Est, leur essor reste lié aux dynamiques nées après les enlèvements massifs de Boko Haram, dont celui de Chibok en 2014.

Aux États-Unis, une émotion sélective

L’attaque de Maga a également trouvé un écho inattendu à Washington, où plusieurs élus conservateurs ont dénoncé un « massacre de chrétiennes », persuadés que l’école se trouvait dans une enclave confessionnelle menacée. Sur les réseaux sociaux, un membre influent de la Chambre des représentants a appelé à « prier » pour les lycéennes, alimentant cette narration, alors que, selon la police de l’État de Kebbi, toutes les otages sont musulmanes.

Cette émotion sélective s’inscrit dans un climat politique tendu : Donald Trump accuse depuis des mois les autorités nigérianes de laisser prospérer des « terroristes islamistes » responsables de « meurtres de chrétiens » et a évoqué une possible intervention américaine. Ces prises de position compliquent la diplomatie bilatérale, à la veille d’un vote au Congrès sur l’inscription éventuelle du Nigeria sur la liste des pays « particulièrement préoccupants » pour la liberté religieuse – décision qui pourrait entraîner des sanctions ciblées contre des responsables à Abuja.

La star américaine Nicki Minaj a également rejoint cette croisade conservatrice. Invitée par l’ambassadeur des États-Unis à l’ONU, elle a assuré, devant un parterre de conservateurs : « Aucun groupe ne devrait être persécuté pour vouloir pratiquer sa religion. Au Nigeria, les chrétiens sont pris pour cible, chassés de leurs foyers et tués. Des églises ont été incendiées. Des familles ont été déchirées, et des communautés entières vivent constamment dans la peur simplement à cause de leur manière de prier. » L’artiste a tenu à remercier Donald Trump pour son engagement à défendre les chrétiens nigérians, reprenant à son compte le narratif selon lequel Abuja n’en ferait pas assez pour prévenir les attaques djihadistes.

À Découvrir cette médiatisation pèse sur les relations bilatérales et sur l’opinion publique internationale, alors même que le gouvernement nigérian rappelle que l’insécurité touche indistinctement chrétiens et musulmans, et que la priorité reste de retrouver les 25 lycéennes kidnappées dans l’État de Kebbi.

L’alerte sur la déscolarisation des filles

Isa Sanusi alerte sur l’impact à long terme : « L’échec à mettre fin aux attaques contre les écoles a provoqué une baisse des inscriptions, un sérieux revers pour l’éducation des filles. Les autorités nigérianes doivent garantir un environnement sûr pour les enfants et répondre au risque de nouveaux enlèvements. » Les opérations militaires se poursuivaient encore ce mercredi dans les zones forestières menant vers le Zamfara. Selon certaines sources sécuritaires relayées par Vanguard, les ravisseurs auraient été repérés en mouvement, mais aucune confirmation officielle n’a été communiquée.

Tchadanthropus-tribune avec le Point Afrique

 

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