17 décembre 2013 Afrique/France: A quoi aura servit le sommet Afrique–France 2013 pour les peuples du continent ? (Mahamat Nour Ahmed Ibedou)
Rebaptisé pour la circonstance « Sommet de l’Elysée pour la paix et la Sécurité en Afrique », la traditionnelle Conférence des chefs d’Etats de France et d’Afrique s’est tenu les 6 et 7 Décembre 2013 à l’Elysée à Paris ; prés de quarante Chefs d’Etat et de gouvernements africains y était conviés.
Un forum à caractère économique tenu le 4 Décembre 2013 à Bercy et présidé par Mr Pierre Moscovici, Ministre français de l’économie et des Finances avait précédé la tenue de ce Sommet des Chefs d’Etat. Le but de cette rencontre était de produire un document pouvant être présenté aux Chefs d’Etat ; ce document, appelé rapport Védrine du nom de son rédacteur, lui-même ancien Ministre était sensé opérer une réorientation radicale de la politique économique de la France en Afrique ; il s’agira désormais de parler d’un partenariat pour l’avenir avec « une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France ».
Au de-là des terminologies et des slogans novateurs entourant ce sommet, le choix des thèmes avait plus été dicté par l’environnement sécuritaire en Afrique et la situation économique du pays hôte que par une quelconque volonté de changement de politique de la France vis-à-vis de l’Afrique.
Le sommet de l’Elysée s’était donc principalement penché sur L’institution d’une nouvelle politique économique avec l’Afrique et La paix et la sécurité dans ce continent.
La bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme n’étaient à la surprise générale, pas inscrits à l’ordre du jour et c’est à peine si ces questions avaient été évoquées dans les discours officiels.
Pour ce qui concerne l’économie
La situation économique actuelle de la France l’oblige à être à l’affut de tous les relais de croissance possibles et en ce moment, l’Afrique offre plus que jamais une alternative crédible ; ce fait est d’autant plus justifié que la France qui cherche à s’extirper péniblement de la récession voit ses parts de marchés en Afrique disparaitre progressivement au profit de certains pays émergeants comme la Chine, devenue depuis 1994 premier partenaire économique de l’Afrique ; il est donc temps pour la France de reconquérir son titre de premier investisseur de l’Afrique qu’elle revendique habituellement .
Cette offensive économique à grande échelle nous semble donc avoir été dictée par la crainte d’être distancée en Afrique par des pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil ; La France cherche à défendre ses intérêts, ce qui est tout à fait compréhensible ; en revanche, ce que nous avons du mal à comprendre nous autres défenseurs des Droits de l’homme, c’est que cette France socialiste puisse occulter ces thèmes vitaux et toujours d’actualité que sont la Bonne Gouvernance et le respect des Droits Humains en Afrique et ne pas en faire un sujet central des travaux de ce sommet.
Dans les rapports entres les dirigeants français et africains, le respect des droits de l’homme et la bonne gouvernance sont souvent considérés comme des sujets très sensibles et il est difficile pour un esprit averti de ne pas penser que ces deux thèmes avaient en l’espèce été sacrifiés sur l’autel des intérêts économiques de la France. Le credo était de ne pas insister sur des sujets qui fâchent avec ses hôtes africains et s’assurer ainsi des parts de marchés et des investissements à l’image de ceux effectués en Europe de l’Est (les 15 points du rapport Védrine sont significatifs à cet égard).
En ce concerne la paix et la sécurité en Afrique
La menace terroriste causée par l’islamisme radical en Afrique et qui avait provoqué l’intervention de l’armée française est une source d’inquiétude pour le continent et le monde tout entier ; c’est donc à juste titre que le thème « paix et sécurité en Afrique » soit inscrit en bonne place dans les débats ;
Ce qu’on oublie souvent cependant, c’est que ces événements qui ont secoués et continuent de secouer l’Afrique sont causés par la mauvaise gouvernance des dirigeants africains avec son cortège d’injustice, de mauvaise répartition des richesses nationales, de violation des droits humains de marginalisation de certains groupes ethniques ; d’insécurité etc.
Que ce soit au Mali où la marginalisation des habitants de certaines régions et les injustices exercées à leur endroit par le pouvoir central a engendré des velléités autonomistes permettant à ces mécontents désœuvrés de constituer à leur corps défendant, un vivier commode pour des djihadistes dont ils se sont empressés de grossir les rangs.
Que ce soit en République Démocratique du Congo où l’absence d’alternance démocratique au pouvoir causée par des élections truquées et un bradage des richesses des sous sols du pays n’a pas laissé d’autre choix aux adversaires politiques de Kabila que la rébellion armée pour s’exprimer.
Que ce soit au Tchad où les injustices les plus flagrantes, les violations quotidiennes et répétées des droits de l’homme conjugués à un accaparement éhonté des richesses nationales par le clan du chef de l’Etat sont les causes principales de la récurrence des rebellions armées dans ce pays;
Le drame humanitaire que vit actuellement le peuple Centrafricain a puisé pour l’essentiel ses racines dans des frustrations causées par des injustices répétées des régimes politiques qui se sont succédé dans ce pays etc. nous pourront multiplier à souhait des exemples du même type dans presque tous les pays africains et arriver au même résultat :
Ce sont donc partout et toujours, les conséquences de l’injustice corolaire de la mauvaise gouvernance qui constituent la base de tous les maux en Afrique.
La France à l’instar des autres nations se doit certes de défendre ses intérêts et personne ne devrait la blâmer pour ça ; cependant, vis-à-vis de l’Afrique, la France n’est pas comme les autres nations :
En effet, en dehors du fait qu’elle a une image à défendre dans ce continent, la France doit beaucoup plus à l’Afrique que ne le pensent certains de ses responsables politiques ; elle avait de ce fait, le devoir et les moyens d’aider les peuples africains à s’épanouir ; elle avait, dirons nous, l’obligation de chercher le meilleurs pour ces peuples.
Le statut de puissance de la France et son siège de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, elle le doit en grande partie à sa présence en Afrique et son influence sur les affaires de ce continent ; il est connu de tous que le pompage des matières premières africaines effectué depuis l’époque coloniale a contribués largement à la prospérité économique de la France et le sacrifice des enfants de l’Afrique a été pour beaucoup, dans sa libération de l’occupation nazie.
Cet héritage historique qui confère des responsabilités certaines à la France a amené l’ancien président socialiste F. Mitterrand à exiger des chefs d’états africains au cours de la Conférence franco africaine de la Baule, l’instauration de la démocratie dans leurs pays respectifs ; il est vrai que le contexte était propice à l’abolition du monopartisme en Afrique et la France ne pouvait plus s’en accommoder ; cependant, en conditionnant l’aide française à l’instauration du multipartisme dans les pays africains, François Mitterrand à qui, l’on n’a pas rendu suffisamment les hommage qu’il mérite a fait franchir à l’Afrique, un grand pas vers l’instauration d’une société moderne ; même si aujourd’hui ces démocratisations connaissent des fortune diverses en Afrique, cet homme d’état français, par respect pour ces peuples africains opprimés a exigé de leurs dirigeants cette nécessaire forme de gestion des états ;
Nous avions cru un moment après les premières déclarations du non moins socialiste François Hollande vis-à-vis de l’Afrique que c’en est fini de la France-Afrique, des violations des droits humains, des élections truquées, des détournements des fonds publics, des injustices, en somme de la mauvaise gouvernance dans le continent ; nous avions cru que si Mitterrand avait imposé la démocratie en Afrique, François Hollande allait y imposer la Bonne gouvernance ;
Nous avions donc eu du mal à comprendre que l’actuel gouvernement français puisse dérouler le tapis rouge à des dirigeants qui oppriment leurs peuples, qui pratiquent l’injustice, qui violent constamment les droits humains dans leurs pays, qui détiennent dans des geôles occultes, des prisonniers politiques, qui détournent les fonds publics de leurs pays, qui imposent aux restes de leurs citoyens, l’hégémonie des membres de leurs ethnies et qui, pour continuer à rester au pouvoir à la fins de leurs mandats n’ hésitent pas à tripatouiller leurs constitutions et à truquer régulièrement les élections .
La France pour ses intérêts a besoin d’une Afrique politiquement stable, mais cette stabilité ne saurait être garantie par un soutien aux régimes politiques actuels comme cette caution donnés à ces dirigeants en les recevant en grande pompe à l’Elysée. La France ne doit pas oublier que le thème de « paix et de sécurité en Afrique » est illusoire sans justice et donc sans une bonne gouvernance en Afrique. Tout le monde sait que la cause principale de l’instabilité en Afrique est l’absence d’alternance démocratique à la tète de beaucoup de pays africains ; les modifications des constitutions et les trucages répétés des élections continuerons à barrer la route à toute forme d’expression aux opposants qui n’auront d’autres fortunes que de recourir à la rébellion armée.
Tant que la mauvaise gouvernance incarnée par la plupart de ces dirigeants africains continuera à être soutenue par la France au nom de ses intérêts, il est à craindre qu’elle sera toujours contrainte de jouer les pompier en Afrique en intervenant dans des conflits qu’elle avait les moyens d’éviter en amont.
Même si les résolutions de ce sommet de l’Elysée sont suivies des faits, ils profiteront plus à la France qu’aux populations africaines parce qu’au plan économique, les plus – valus générées par une éventuelle croissance du fait de la mauvaise gouvernance économique ne contribueront jamais à la lutte contre la pauvreté ; les richesses seront rarement investie dans des unités économiques créatrices d’emploi ; elle serviront plutôt à garnir les comptes en banques de ces dirigeants et de leurs proches au détriment de leurs peuples ; un penseur français a récemment affirmé à juste titre que « que l’Afrique est riche, mais les Africains sont pauvres ».
Au chapitre de la paix et de la sécurité, les peuples africains continueront à être les victimes innocentes des conflits et autres événements causés par la mauvaise gouvernance de leurs dirigeants ; la France quant à elle continuera à perdre des hommes, de l’argent et du matériel dans des conflits quelle aurait pu éviter. Au lieu de chercher toujours à s’attaquer aux effets de ces mauvaises gouvernances en Afrique, la France devrait s’attaquer plutôt à la cause c’est-à-dire la mauvaise gouvernance elle même. Contrairement donc au sommet de la Baule, celui-ci n’aura rien changé pour le sort des peuples africains
Mahamat Nour Ahmed IBEDOU
Secrétaire Général de la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits Humains (C.T.D.D.H)
Tel : 00235 66 26 79 81
E – mail : ibedoum@yahoo.fr
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