« Les troupeaux sont bradés. Les greniers à céréales sont vides. Les prix doublent sur les marchés. On soigne une centaine d’enfants malnutris par semaine »,  prévient Aimé Makimere, président de l’ONG tchadienne Alerte santé, de retour d’une visite autour du lac Tchad.

 « Le bétail meurt au bord des routes faute de nourriture »,  rapporte Benoît Boulangé, directeur de la Caritas en Mauritanie. Ces scènes se répètent à des degrés divers au Sénégal, au Mali, au Niger et au Burkina Faso.

Une nouvelle crise alimentaire frappe donc les pays qui s’étalent le long de la bande sahélienne. Environ 18 millions d’Africains sont touchés par la faim selon les estimations. 

Ils sont principalement cultivateurs ou éleveurs et ils ont épuisé leurs réserves après la sécheresse de 2011, alors que les prochaines récoltes ne sont pas attendues avant septembre. La hausse des prix des céréales et l’absence de revenus leur barrent l’accès aux marchés qui restent pourtant correctement approvisionnés.

SOIGNER UN MILLION D’ENFANTS

Les agences des Nations unies, les gouvernements, les bailleurs de fonds d’Europe ou des États-Unis, les organisations non gouvernementales (ONG), et les États concernés concentrent leur aide sur dix millions de personnes dont la survie dépend désormais des dispositifs de soutien mis en place par la communauté internationale. 

Le plan Sahel prévoit notamment de soigner un million d’enfants de moins de 5 ans sévèrement malnutris. Autrement dit, les plus vulnérables aux carences alimentaires.

Comment interpréter ce chiffre ? La pédiatre de Médecins sans frontières, Susan Shepard, « parle d’échec et de réussite » . C’est un échec parce qu’un million d’enfants vont subir, faute d’avoir été bien nourris, les conséquences durables de la malnutrition sévère : retards de croissance, troubles psychomoteurs et cognitifs, organisme affaibli… 

Mais c’est aussi une réussite, car près d’un million d’enfants devraient être sauvés. Or, jamais dans l’histoire d’une crise humanitaire un tel dispositif n’avait été mis en place.

 « Jusque dans les années 1990, on ne savait soigner que quelques milliers d’enfants malnutris à la fois »,  rappelle Stéphane Doyon, référent nutrition de Médecins sans frontières. Alors, on préférait se détourner du Sahel et de ses mal-nourris chroniques. 

L’apparition d’« aliments thérapeutiques » au début des années 2000 a changé la donne. En 2005, des pâtes à haute valeur nutritives sauvent 70000 vies au Niger. Les travailleurs humanitaires ne quittent pas le pays. Ils soignent. Ils comptent. Ils prennent conscience du problème, année après année.

LA MALNUTRITION N’EST PLUS UNE INCONNUE

Face à la répétition des crises, des alliances se nouent, des groupes de réflexion débattent, des programmes gagnent en efficacité. « Ici, au Niger, la malnutrition n’est plus une maladie inconnue des familles »,  raconte Harouna Souley, médecin de l’ONG locale Forsani. 

Parfois tabou, souvent négligé, le mal devient visible. « Plus la capacité de travailler sur le terrain augmente, plus on dépiste des enfants malnutris », résume le directeur régional des urgences de l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, Grant Leaity.

Pour agir en amont, des systèmes d’alerte précoces ont été instaurés dans la région avec le soutien de l’Union européenne. Ils ont été d’une aide précieuse. Dès l’été 2011, les bulletins annonçaient des pluies capricieuses, insuffisantes, voire inexistantes. 

À l’automne, le doute n’était plus permis. Lors des réunions du comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse (CILSS), la récolte était qualifiée de médiocre ou catastrophique. Les éleveurs, eux, s’inquiétaient du manque d’herbe fourragère pour les troupeaux.

Devant la crise annoncée, les gouvernements locaux ne se sont pas retranchés dans le déni. Premier à tirer la sonnette d’alarme dès le mois de septembre, le Niger a mis en place un plan d’action qualifié d’exemplaire par les spécialistes. La Mauritanie, le Tchad, le Mali et le Burkina Faso suivront avec moins d’efficacité. 

Il faudra cependant attendre le changement de pouvoir à la tête du Sénégal pour que le nouveau président Macky Sall reconnaisse la gravité de la situation. « Or, l’efficacité de l’aide dépend de l’engagement du pays »,  insiste le directeur régional du Programme alimentaire mondial (PAM), Thomas Yanga.

« TRAVAIL CONTRE NOURRITURE »

Une fois la crise reconnue, les financements ont été débloqués assez rapidement. Une partie des fonds est arrivée suffisamment vite, en tout cas, pour lancer des actions de « travail contre nourriture » dès la fin de l’année 2011, c’est-à-dire avant l’épuisement des stocks de céréales. 

Un exemple ? Dans le village de Garbey, au Niger, des familles ont reçu des vivres du PAM pendant tout l’hiver en participant à des chantiers de terrassement d’un réservoir d’eau. Juste de quoi survivre en attendant la récolte.

 « C’est la première fois qu’on arrive à être aussi réactifs sur une crise de ce type, ce qui a permis de stabiliser la situation »,  se félicite Patricia Hoorelbeke, responsable Afrique de l’Ouest d’Action contre la faim. 

L’effort financier repose en grande partie sur les pays du Nord, même si des États comme le Niger ont mis la main à la poche. Près de 900 millions d’euros vont être déboursés au total, dont 337 millions par la Commission européenne, 264 millions par les États-Unis, 66 millions par les Nations unies et 41 millions par le Canada.

3 000 CENTRES NUTRITIONNELS

Sur le terrain, l’argent alimente des opérations de soutien aux familles, des achats de semences ou de bétail aux agriculteurs, des distributions de farines enrichies pour les enfants, des envois d’aliments thérapeutiques. Sans oublier le salaire des équipes. « Il s’agit d’un dispositif assez large qui porte à la fois sur la prévention et le soin de la malnutrition », insiste Jan Eljlkenaar, expert auprès d’Echo, l’agence humanitaire de l’Union européenne.

L’aide se rapproche des familles. Il y avait 3000 centres nutritionnels en 2011 au Sahel. On en compte 5000 cette année. Dans les régions les plus peuplées du Niger, les soins sont disponibles dans un rayon de 5 kilomètres. Au Tchad, il faut marcher souvent 10 kilomètres. 

« Nous déployons des cliniques ambulatoires, témoigne Alexandre Morhain, chef de mission de Médecins sans frontières. Mais beaucoup de familles n’ont pas accès aux soins. Nous arriverons au mieux à couvrir 70 % des besoins. »

Les centres de santé ou les distributions sont dans leur très grande majorité gérés par du personnel local. Les risques d’enlèvement d’expatriés dans la région ont obligé les organisations internationales à former des techniciens de l’humanitaire de nationalité malienne, tchadienne, nigérienne, burkinabée. Thierry Allafort-Duverger, directeur général de l’ONG Alima, s’en félicite : « Ces acteurs incontournables de l’aide vont permettre de pérenniser les programmes. »

OLIVIER TALLÈS 

 

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