Quand j’ai lu le titre dans la presse internautique "Affaire Etat du Cameroun contre les Combattants Mboua Massok et Yon Mbock", je me suis d’abord interrogée sur le sens exact de "Etat" du Cameroun.
 
L’Etat, selon Wikipédia:
 

"L’État a une double signification: l’organisation politique et juridique d’un territoire délimité ce que la première édition du dictionnaire de l’Académie française de 1696[2] appelle l’État en tant que « gouvernement d’un peuple vivant sous la domination d’un prince ou en république » ou bien le pays lui-même, c’est-à-dire, l’État entendu « pour le pays même qui est sous une telle domination ».
 

En Droit international, un État souverain est vu comme délimité par des frontières territoriales établies, à l’intérieur desquelles ses lois s’appliquent à une population permanente, et comme constitué d’institutions par lesquelles il exerce une autorité et un pouvoir effectifs. La légitimité de cette autorité devant en principe reposer – au moins pour les États se disant démocratiques – sur la souveraineté du peuple ou de la nation.»
 
Comme j’aime souvent tourner les choses à l’envers pour en comprendre les dessous, je me suis surtout attachée aux deux dernières lignes de cette définition wikipédique de l’Etat, soit «La légitimité de cette autorité devant en principe reposer – au moins pour les États se disant démocratiques – sur la souveraineté du peuple ou de la nation. » 
 
En ce qui concerne le Cameroun, voici les constats qui en découlent, et qui justifient obligatoirement le questionnement du concept d’« affaire » entre l’Etat du Cameroun contre Mboua Massok et Yon Mbock :
 

1.   L’Etat du Cameroun se dit bien démocratique.

2.   L’autorité suprême Cameroun n’est pas légitime.
3.   Le peuple camerounais n’est pas souverain.
 
En bref, l’Etat du Cameroun est illégitime.
 
CQFD.
 
En vertu de ce constat synthétique, on peut se demander quelle est la légitimité de la formulation de « L’Etat du Cameroun contre Mboua Massok et Yon Mbock », et donc la légitimité des débats menés par une Justice tout aussi illégitime que le pouvoir qu’elle sert. 
 
Nous sommes donc en plein vice de forme, avant même d’examiner les chefs d’accusation portés contre ces deux citoyens camerounais.
 
Certains Camerounais bien-pensants pourraient réfuter ce constat, pourtant implicitement majoritaire, sur la base de raisons qui leur sont propres. Ils pourraient même tenter de faire diversion, et chercher à éloigner le regard des questions qui importent, stratagème qui a d’ailleurs longtemps fait la force d’un lavage de cerveau très efficace.
 
Par les questions suivantes je voudrais donc contribuer au maintien de l’église au milieu du village comme on dit, ou des yeux en face des trous si on préfère, en évoquant certaines questions essentielles dans le cadre de ce que certains appellent la démocratie camerounaise. 
 
–     Quelles sont dans l’absolu les manifestations d’une démocratie ?
(L’étymologie de « démocratie » pourra aider à répondre).
 
–     Qui décrète la légitimité d’une autorité, si ce n’est le peuple ?
 
–     Est-ce qu’un Etat étranger peut légitimer valablement un choix qui manifestement n’a pas été celle du peuple ?
 
–     Si un peuple est massivement en faveur de son dirigeant, quelle est la nécessité pour ce dernier de modifier la Constitution et de supprimer la clause du nombre de mandats ?
 
–     Si un peuple est massivement en faveur de son dirigeant, que celui-ci est donc forcément sûr de gagner les élections, quelle est la nécessité d’organiser des fraudes électorales à grande échelle ?
 
–     Si les instruments de légitimation d’une autorité se place au cœur de l’Etat, soit dans la Constitution, qui a le pouvoir de garantir le respect de la Constitution sinon le peuple ?
 
–     Quel est le rôle de l’Etat auprès du peuple ?
 
–     Quel lien entre la souveraineté de l’Etat et la souveraineté du peuple ?
 
–     Si un dirigeant a la certitude que son peuple est en totale emphase avec lui, au point de l’avoir choisi à plus de 70% aux élections présidentielles, quelle est donc la nécessité pour ce dirigeant de criminaliser des modes d’expression des plus essentiels au sens de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
 

C’est ainsi qu’au Cameroun, le citoyen sera réprimé dans les cas de figures suivants (liste non-exhaustive), notamment :

 
–     La distribution de tracts sur la voie publique.
 
–     Les rassemblements de certaines entités citoyennes, pour analyser et exprimer le droit à l’autodétermination.
 
–     Les rassemblements publics, spontanés ou non, réclamant le droit à l’autodétermination.
 
–     La libre-circulation de citoyens qui expriment publiquement leur résistance.
 
La répression utilisée par l’Etat camerounais est multiforme et concerne chaque citoyen, à travers notamment :
 
–     Les interpellations abusives, tortures, brimades, et gardes à vue sans limite dans le temps.
 
–     Le maintien arbitraire et l’humiliation en prison de citoyens qui expriment publiquement leur résistance.
 
–     Le matraquage disproportionné de citoyens désarmés lors de manifestations publiques de résistance et de protestation, amplifié par la non-interpellation de citoyens ainsi battus et laissés pour morts.
 
–     Les exécutions arbitraires, ciblées ou non, de citoyens désarmés.
 

Avec tous ces constats, que chaque Camerounais sur terre connait, l’Etat du Cameroun se permettra, le 8 octobre prochain, de prononcer des sanctions contre les citoyens camerounais Mboua Massok et Yon Mbock, qui sur le plan du droit pénal, autant camerounais qu’international, n’ont à vrai dire commis aucun délit. Ils ont même, au contraire, toutes les raisons du monde de porter plainte contre ledit Etat camerounais, pour la violation de leurs droits fondamentaux, qui soit dit en passant sont garantis par l’Etat dans la Constitution. Mais comme le diront certains, le Cameroun c’est le Cameroun !

 

Les deux citoyens sont aujourd’hui tout simplement réprimés pour avoir réclamé le droit de réclamer leurs droits fondamentaux, et surtout de l’avoir fait en public.
 
Si d’aventure Mboua Massok et Yon Mbock, deux citoyens agissant avec uniquement l’arme du verbe, étaient accusés de trouble de l’ordre public et/ou d’atteinte à la sûreté de l’Etat, je souhaiterais que nous réfléchissions encore sur les définitions de « trouble », « ordre » et « public » dans un contexte où l’Etat est scientifiquement illégal, donc incompétent pour justifier ce genre de délit, et encore plus pour le sanctionner.
 
Pour finir, si des Camerounais bien-pensants s’avançaient à dire qu’il n’y a pas de raison de résister ou de se révolter au Cameroun puisque tout va bien et donc que l’espace public est en ordre, je pense qu’il est utile de rappeler que dans un Etat dit démocratique, même si tout va bien, le citoyen a le droit d’exprimer sa résistance, d’autant plus si sa vision que ledit Etat voudrait rendre subjective, s’avère être parfaitement objective. 
 
Il a même la possibilité en tant qu’être humain, selon le philosophe anglais John Locke du 17ème siècle, de s’arroger le droit de se révolter dans certaines conditions.
 
Dans « Traité du Gouvernement Civil », John Locke dit que si l’Etat provoque ce contre quoi les citoyens ont essayé de se protéger en le créant, alors il est possible d’envisager l’idée d’un droit à la révolte. Même s’il n’existe aucune loi explicite invitant les citoyens à se révolter quand l’Etat se retourne contre eux, ils peuvent y être tout de même invités. Autrement dit, c’est un droit implicite.
 

Ainsi, dans certaines circonstances – quand un ou plusieurs individus légifèrent sans avoir reçu le mandat du peuple, quand les dépositaires du pouvoir législatif exercent des voies de fait contre la propriété des sujets – les citoyens ont le droit de résister au pouvoir, de se révolter.
 

Si le pouvoir politique n’est pas à même d’accomplir la tâche pour laquelle il a été créé, ou pire, s’arroge des droits qu’il n’a pas, nuisant ainsi au peuple, alors ce dernier doit pouvoir se révolter contre lui.
 


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