La Centrafrique ne produisant pas de pétrole, le bras de fer opposant les rebelles de la Séléka au régime du président François Bozizé n’a, officiellement, rien à voir avec les hydrocarbures. Il n’empêche que les belligérants ont chacun en ligne de mire le gigantesque potentiel des bassins de Doseo et de Salamat, au nord du pays, encore totalement sous-explorés. Enquête sur un conflit pétrolier qui refuse de dire son nom.

La revanche de Jack Grynberg – Selon nos informations, les rebelles de la Séléka contrôlent la totalité du périmètre du bloc A et empêchent les ingénieurs de la China National Petroleum Corp. (CNPC), qui travaillent clandestinement sur la zone depuis près de deux ans, d’y pénétrer. Ceux-ci sont cantonnés dans le petit village de Bourmata, où est également entreposé leur matériel de sismique. En arbitrage depuis 2007 avec le titulaire du permis, RSM Production de l’Américain Jack Grynberg, le régime de François Bozizé a passé un accord secret en 2011 avec la CNPC pour qu’elle le développe (AEI nº670). En bloquant l’activité de CNPC, la Séléka remet RSM sur le devant de la scène : le pétrolier chinois écarté, la société de Jack Grynberg est la seule qui ait effectué des recherches sur la zone. Or, la structure du bassin est très complexe et seul un puits,Aouakale-1, a à ce jour été foré (par Exxon en 1986). RSM suit donc la situation de très près et a des contacts réguliers avec la Séléka. Et ce même si ses droits sur le permis A ont été invalidés en décembre 2010 par un tribunal d’arbitrage international, jugement qui devrait être confirmé en appel dans les semaines à venir (les débats se sont clos début janvier). 

Le pari de Pretoria – Face aux rebelles de la Séléka, le régime du président Bozizé est soutenu par un contingent de 200 militaires sud-africains actuellement en cours de déploiement dans les villes de Bongassou, Mohaye et Bossombelé, le long de la frontière avec le Congo-K. La présence des troupes de Pretoria doit beaucoup à l’entregent de l’homme d’affaires Didier Pereira, ex-patron du groupe minier Inala en Centrafrique et qui vit désormais en Afrique du Sud. Mais en protégeant Bozizé, le président sud-africain Jacob Zuma souhaite également développer les intérêts des firmes sud-africaines dans ce pays aux ressources pétrolières et minières encore largement inexploitées. Un groupe sud-africain y a d’ores et déjà pris pied : en mars, comme l’avait révélé Africa Energy Intelligence (AEI nº687), le groupe Dig Oil d’Andrea Brown avait obtenu le bloc C, à la frontière entre le Centrafrique, le Cameroun et le Congo-B. Cette zone est encore sous contrôle gouvernemental, et Dig Oil a d’ores et déjà effectué, à la fin de l’année dernière, une étude aéromagnétique sur ce périmètre.

L’inconnue tchadienne – Longtemps faiseur de roi à Bangui, le régime du président tchadien Idriss Déby a toujours considéré d’un mauvais œil les velléités d’exploration pétrolière de la Centrafrique. Les potentielles réserves du pays sont à cheval sur la frontière et toute découverte ne pourra être exploitée qu’en commun avec le Tchad et évacuée par l’oléoduc Doba-Kribi. Or Ndjamena, qui a dix ans d’avance en la matière sur Bangui, préfère exploiter ses ressources sans partage : en 2011, les deux permis jouxtant la frontière centrafricaine, Chari-Ouest et Chari-Doseo, ont été concédés au canadien Griffiths Energy, qui s’est rapidement associé au trader Glencore. Pour lever l’hypothèque tchadienne, les rebelles de la Séléka veulent négocier au plus vite un accord pétrolier avec Ndjamena, condition sine qua non à leurs yeux pour la mise en valeur du pétrole centrafricain. Le contexte est d’autant plus favorable qu’Idriss Déby a pris ses distances avec le régime de François Bozizé et, quelques semaines avant l’offensive de la Séléka, a rapatrié la centaine de soldats tchadiens qui servait de garde présidentielle à Bangui depuis 2003. Tout en essayant de négocier la formation d’un gouvernement de transition, la Séléka veut également geler tous les permis existants et renégocier tous les accords passés par le régime de François Bozizé. 

Africa Energy Intelligence

 

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