Dans une grange surchauffée de soleil, de profonds regards noirs sur des visages émaciés semblent ne plus tenir compte du temps qui passe. Ces Peuls centrafricains de Boda, encerclés par les miliciens anti-balaka, affamés, malades, ne savent pas quand, ni comment, ils pourront échapper au piège infernal.

"Je souffre beaucoup. Pas de maison, pas de manger. Les anti-balaka tuent les gens, beaucoup. J’ai perdu beaucoup de choses, même les boeufs, j’en avais 800". Saïfou dans son mauvais français raconte la désespérance des déplacés venus de Danga, un village à 25 km de Boda (100 km à l’ouest de Bangui), dans le sud-ouest forestier de la Centrafrique, pour fuir les violences des milices anti-balaka. Quelques jours à peine après leur arrivée dans Boda, cette grande famille de 90 Peuls s’est retrouvée piégée dans les combats entre musulmans et chrétiens qui ont embrasé la ville minière. Le 29 janvier, au lendemain de la fuite des ex-rebelles Séléka menacés par les anti-balaka, "Boda la belle" a basculé dans l’horreur.

En une semaine, il y eut plus de cent tués, des combats fratricides entre anciens amis des deux confessions, seulement arrêtés par l’arrivée d’un détachement de la force française Sangaris, le 5 février. Depuis, 14. 000 musulmans, natifs de Boda pour la plupart, sont encerclés par les anti-balaka, sans issue de sortie, sans ravitaillement. Auxquels s’ajoutent environ deux cent peuls déplacés. Dans la grange, une femme, bébé dans les bras, soulève sa chemise, presse son sein dont ne sort pas de lait pour expliquer la dénutrition de son enfant. Khadidja Labi, huit enfants, sa mère malade au visage mortuaire, immobile sur sa natte, n’a plus rien.

Elle n’a pas réussi à se faire enregistrer pour une distribution de nourriture du PAM (Programme alimentaire mondial) qui commence au matin. La dernière remonte à quatre semaines, un laps de temps bien suffisant pour saper les organismes, développer malaria, gale, diarrhées. Et mourir pour les plus faibles, ceux qui avancent sur leurs jambes tremblantes mais tiennent encore à saluer les visiteurs. Karim, chemise aux couleurs vives, revient de la distribution, mécontent. "Le PAM ne nous donne pas de sucre, pas de miel, pas de fagots, seulement du riz, du maïs. Nous, c’est le manioc qu’on aime". "Les chrétiens ont voulu nous tuer pour récupérer nos biens. On ne peut même pas aller à la mosquée de notre quartier". Karim est un natif de Boda qui "veut rester ici". Il exprime toute la colère des musulmans aux maisons et commerces détruits, pillés, confinés dans le centre, traversé par une seule et longue rue de terre rouge bordée de petits étals sans presque rien à vendre.

Cette rue est le seul territoire des musulmans, reclus dans ce 5ème arrondissement, comme dans un western pétri d’une atmosphère de peur et de violences. – Les musulmans "doivent quitter" – Car les musulmans ne peuvent franchir, sous peine de se faire tuer, les petits ponts en bois qui enjambent trois canaux aux eaux sales. Après les ponts, un no man’s land de maisons incendiées, musulmanes, chrétiennes. Tous les petits commerces qui devaient bien agrémenter la vie de "Boda la belle", un surnom mérité si l’on s’en tient à la beauté majestueuses de ses arbres séculaires, en pleine forêt équatoriale.

En surplomb, face à la longue rue, tenant sous leurs mitrailleuse le no man’s land, une centaine de soldats français font respecter ces "frontières" entre communautés. Trois blindés stationnent sur la place en terre de l’hôtel de ville. A droite, monte une rue défoncée vers l’église et les quartiers chrétiens. Ici, vivent 9. 000 déplacés. Un petit marché, des cuisines à ciel ouvert, de la musique, l’atmosphère y est moins désespérée. La brousse est ouverte pour le ravitaillement en fruits, légumes, viande.

"Nous voulons que les musulmans quittent, du moment qu’ils nous ont présenté leur côté méchant", dit Miguez Wilikondi, "président" de la jeunesse de Boda, en charge des déplacés. Il affirme que les chrétiens ont été sauvés par des anti-balaka venus de Pama, à 200 km: "grâce à eux, nous sommes en vie". "Les familles mixtes peuvent rester, mais les Tchadiens, Soudanais, Camerounais, Peuls doivent partir". Plus bas, dans l’enclave musulmane, Mahamat "alias Boni", chrétien converti à l’islam, mineur de diamants, infirmier secouriste, 13 enfants, clame: "heureusement que nous avons un puits d’eau potable, sinon nous serions morts". Verre de thé à la main, bourdonnant d’abeilles, il poursuit "J’ai vraiment l’espoir de sortir, de quitter. Si Sangaris ou la Misca (force africaine) m’accompagne, je pars ailleurs mais je reste dans le pays. En tout cas, Dieu protège François Hollande avec ses Sangaris".

Jeuneafrique.com 

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