24 octobre 2025 Entourages | Centrafrique La nébuleuse de « diplomates » personnels du président Touadéra.
Depuis son accession au pouvoir en 2016, Faustin-Archange Touadéra a affiné ses relations et ses méthodes sur le plan diplomatique. Le chef de l’État s’est composé une armée de conseillers de l’ombre, sur laquelle il s’appuie pour arriver à ses fins.
En matière de diplomatie économique, le président centrafricain a pris l’habitude de contourner les canaux officiels, au grand dam de sa ministre des affaires étrangères, Sylvie Baïpo-Témon. Le chef de l’État s’appuie sur une constellation de conseillers et d’hommes d’affaires dépêchés au gré des opportunités. Ce réseau, organe de pouvoir parallèle du président Faustin-Archange Touadéra, suit des logiques clientélistes et se voit sous-traiter un pan du pouvoir régalien.
Ses membres rendent compte exclusivement au chef de l’État et contournent le gouvernement. Outre la cheffe de la diplomatie, des ministres stratégiques comme ceux des finances et des mines n’ont d’autre choix que de subir, ou bien de composer avec ces émissaires de l’ombre. Le président se joue des rivalités entre ses obligés, octroie les zones d’opération à ces apporteurs d’affaires mués en diplomates de circonstance informels.
S’il se méfie des partenaires européens, à commencer par la France, le président Touadéra cherche en revanche à nouer une relation privilégiée avec le pouvoir américain. L’objectif initial était de trouver, au sein de l’administration de Joe Biden, un allié capable de l’aider à établir un rapport de force avec la Russie (AI du 02/07/24). Ce qui s’est traduit, entre autres, par la tentative, vaine, de positionner la société militaire privée Bancroft Global Development en Centrafrique (AI du 08/01/24).
Koureichy, l’homme des États-Unis
Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, plus enclin à collaborer avec Moscou et des pays émergents amis tels que les Émirats arabes unis, Touadéra mise sur cette nouvelle dynamique. La Centrafrique ne fait pas partie de la dernière liste de douze pays dont les ressortissants sont interdits d’entrée aux États-Unis.
Le principal conseiller du chef de l’État sur ce dossier est originaire du Mali, où il est né il y a bientôt soixante ans, et a été naturalisé américain. Il s’appelle Maximus Moctar Koureichy, a fait ses études aux États-Unis où il est toujours réserviste de l’armée. En poste à l’ambassade des États-Unis en Centrafrique pendant un an, à la fin des années 2010, il se chargeait de la liaison avec le commandement des Forces armées centrafricaines (Faca). Il a également noué une relation de confiance avec le président Touadéra qui l’a nommé conseiller chargé du désarmement-démobilisation, réintégration et rapatriement (DDRR), avant d’en faire son ministre conseiller spécial en 2022.
Maximus Moctar Koureichy dispose d’un bureau à la présidence de la République, où il gère des dossiers sensibles, en lien étroit avec l’administration américaine, qui compte, à terme, fermer son ambassade à Bangui. La chancellerie est aujourd’hui gérée par le premier conseiller Christopher Gunning et une nouvelle chargée d’affaires, Mélanie Zimmerman, arrivera en septembre (AI du 18/04/25).
Le conseiller est aussi écouté par les différents attachés de défense de l’ambassade américaine à Yaoundé qui sollicitent régulièrement ses analyses. Diplomatie, renseignement et affaires… Le réserviste de l’armée américaine a créé plusieurs sociétés d’import-export, de textile et surtout d’exploitation aurifère, toutes enregistrées à Bangui.
Sandra Boddhun, de Bruxelles à Abu Dhabi
L’autre capitale occidentale privilégiée par le président Touadéra n’est autre que Bruxelles. Il pose souvent ses valises à The Hotel pour des visites privées ou officielles (AI du 29/05/25). Sur place, le chef de l’État centrafricain peut compter sur Dimitri Mozer, indéboulonnable consul honoraire de Centrafrique en Wallonie – cet entrepreneur officiait déjà pour Bangui sous la présidence de François Bozizé (2003-2013) – et représentant de la Wallonie auprès de la Centrafrique. Il a su se maintenir sous Touadéra, avec qui il a noué une véritable relation d’amitié. Dimitri Mozer met à la disposition du président son entregent auprès des autorités belges mais aussi de l’Union européenne (UE) pour laquelle sa société de logistique opère, notamment entre Bruxelles et Strasbourg.
Dans la capitale belge, le chef de l’État retrouve aussi d’autres de ses « diplomates » économiques. Dont Sandra Boddhun, femme d’affaires d’origine mauricienne qui a autrefois vécu à Miami. Elle se voit souvent confier des missions par Faustin-Archange Touadéra, qui l’apprécie tout en s’en méfiant. D’autant plus depuis que, selon nos informations, l’entrepreneuse se trouve visée par autorités belges dans une enquête sur des réseaux interlopes de blanchiment d’argent en provenance d’Europe de l’Est. Entre Bruxelles, Bangui, Dubaï et la Roumanie, elle avait autrefois contribué à la création de la cryptomonnaie censée devenir officielle en Centrafrique, le Sango Coin (AI du 11/02/25).
Elle avait alors recouru aux services du suisso-roumain Nicolae Bogdan Buzaianu qui a fini par ne pas honorer le contrat et par s’évaporer. Le Sango Coin est resté un mirage. Sandra Boddhun est toutefois demeurée dans le premier cercle du président Touadéra, qu’elle accompagne presque systématiquement dans ses déplacements aux Émirats arabes unis. Elle s’est constitué un réseau à Abu Dhabi où elle est l’une des interlocutrices du ministre d’État chargé de l’Afrique, Sheikh Shakhboot Nahyan Al Nahyan, et dans certains cercles d’affaires de Dubaï (AI du 31/03/25). Elle a notamment gravité autour des dernières négociations pour le rapprochement bilatéral entre le pays du Golfe et la Centrafrique, qui entremêle diplomatie et business (AI du 31/03/25).
Affaires troubles et désinformation
Un autre conseiller de Touadéra a planché sur le dossier du Sango Coin : Pascal Bida Koyagbele, actuel ministre des grands travaux et des investissements stratégiques. Il se rend à de nombreuses reprises aux Émirats arabes unis et a pris part de manière très visible à la dernière visite du chef de l’État à Abu Dhabi, début mars. Dans l’émirat voisin de Dubaï, il croise souvent un autre conseiller du président Touadéra, le Camerounais Jules Njawe, spécialisé dans les affaires troubles et la désinformation à travers une nébuleuse de médias en ligne pro-russes. Il opère notamment sous la tutelle d’Adrien Bonny Eboumbou, un ancien fonctionnaire des Nations unies qui s’autoproclame « diplomate », à la tête d’Inside Consulting, un cabinet suisso-camerounais de conseil en communication et relations publiques.
De son côté, Pascal Bida Koyagbele cherche, non sans mal, à lever des fonds, quitte à parfois duper de potentiels investisseurs. Cet ancien candidat à l’élection présidentielle est aussi un acteur économique de l’agro-industrie et du secteur pétrolier avec Lanala Group, et possède son fonds d’investissements, Kemetic Asset Management. Plusieurs de ses activités et projets en Centrafrique sont fictifs. Il a aussi une propension à s’inventer des réseaux, comme au sein de la direction de l’African National Congress (ANC) en Afrique du Sud où il s’était exilé à la suite de l’arrivée de la Séléka à Bangui.
Au milieu des années 2010, marquées par l’arrivée de la nébuleuse Wagner, Moscou l’a un temps utilisé pour sa proximité avec le président Touadéra. « Bida » a également soutenu le développement de Lobaye Invest, filiale de la société russe M-Finans, et véhicule financier de l’activité minière de Wagner. Il a aussi pris part à plusieurs déplacements à Moscou, invité par des stratèges de la politique africaine du Kremlin. Plusieurs ministres russes lui ont fait miroiter de vastes projets d’investissements dans des infrastructures. En vain.
Le puissant canal Russe
De par sa fonction actuelle, Pascal Bida Koyagbele use de son influence pour s’imposer sur la majorité des dossiers d’investissement et n’hésite pas à superviser dans l’ombre le placement en détention d’opérateurs économiques qui lui résistent (AI du 14/10/24). Il rêve de succéder au président Touadéra, qui le sait, et utilise son ministre tout en le contrôlant. Si la Russie semble peu à peu s’être désintéressée de ce conseiller jugé peu fiable, Pascal Bida Koyagbele s’est, ces dernières années, considérablement rapproché des réseaux politico-économiques rwandais. Souvent convié à Kigali, il a les faveurs du président Paul Kagame, qui l’apprécie et le fait « traiter » par ses « services », lesquels disposent d’un réseau considérable à Bangui, de la présidence à l’armée en passant par les Nations unies et le secteur privé.
Pour sa diplomatie sous-régionale, le président Touadéra se repose aussi sur son ministre conseiller et informaticien de formation, Prince Borel Yaounga Yiko. Le jeune homme dispose de relations privilégiées au Gabon, où il a passé une partie de sa jeunesse. À Libreville, il a ses entrées parmi les hauts responsables du renseignement. Un secteur qu’il maîtrise de mieux en mieux (AI du 09/02/24). En 2021, Prince Borel Yaounga Yiko avait été nommé coordinateur général Signals Intelligence du nouveau Centre analytique des ressources administratives et militaires (Caram). Tout en maintenant un canal avec l’allié russe, Prince Borel Yaounga Yiko est plutôt proche des partenaires occidentaux qui lui ont fourni du matériel pour son centre de renseignement.
Moscou reste un allié privilégié. Au cœur du dispositif qu’il a lui-même créé se trouve le directeur du centre culturel russe Dmitri Sytyi. Le président Touadéra apprécie ce chef de l’ombre de la branche civile de Wagner en Centrafrique, dont il dépend à la fois sur le plan sécuritaire et sur le plan financier (AI du 23/05/24).
Plus récemment, le chef de l’État se repose aussi sur son conseiller spécial en matière de sécurité, Dmitri Podolsky, lui-même issu de Wagner. Cet ancien des forces spéciales russes fait notamment le lien entre les paramilitaires et l’Office central de répression du banditisme (OCRB). Touadéra cherche à conserver ce binôme au moment où Moscou redessine les contours de son offre sécuritaire et impose l’Africa Corps, la force paramilitaire sous sa tutelle (AI du 12/05/25). Cet accord de défense dont la signature est prévue avant la fin de l’année prévoit la reprise en main par le ministère de la défense russe du système Wagner, présent dans le pays depuis 2017.
