L’enquête s’accélère. Éric Woerth, l’ancien trésorier de la campagne de 2007, a été entendu comme suspect par les enquêteurs et plusieurs secrétaires et responsables au QG de Nicolas Sarkozy ont été placés en garde à vue et perquisitionnés. Ils ont confirmé des rétributions en espèces et l’abondance de cash.

Au bout d’un moment, ils en sont venus à se demander s’il ne fallait pas brûler les billets, selon l’expression d’Éric Woerth. Interrogé début mai sous le statut de « suspect libre », ce proche de Nicolas Sarkozy a lâché une petite bombe lors de son audition devant les policiers de l’Office anticorruption (OCLCIFF).

Bien sûr, le député (LR) de l’Oise et maire de Chantilly n’a pas remis en cause la régularité des comptes de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, mais il a – c’est une première à un tel niveau – confirmé la quantité importante d’espèces qui a circulé entre les mains de la trésorerie, basée rue d’Enghien, à Paris. Éric Woerth cumulait alors les fonctions de trésorier de l’UMP, l’ancêtre des Républicains, et de trésorier de la campagne présidentielle de Sarkozy.

Les juges Serge Tournaire et Aude Buresi ont relancé, ces dernières semaines, l’enquête sur les financements politiques venus de Libye (voir notre dossier complet). Les policiers travaillant sous leur autorité ont mené une série de gardes à vue et de perquisitions visant les membres de la campagne de 2007, ce qui a suscité un certain émoi à droite.

Les enquêteurs cherchent à vérifier l’utilisation d’espèces, hors comptabilité, dans la gestion des affaires courantes du siège de campagne de Nicolas Sarkozy, qui pourrait notamment venir corroborer les dépôts d’argent libyen que l’intermédiaire Ziad Takieddine a affirmé avoir opérés en novembre et décembre 2006 – ou d’autres. Des fonds qu’il a déclaré avoir remis à Claude Guéant, futur directeur de la campagne, et au ministre de l’intérieur d’alors, Nicolas Sarkozy.

Comme dans l’affaire Karachi et les financements occultes de la campagne Balladur en 1995 par les ventes d’armes de son gouvernement, les juges et les policiers ont mis en place, dans le dossier libyen, une stratégie d’enquête visant à prendre les faits en étau. En amont, des versements présumés venus de la Libye de Kadhafi et, en aval, l’abondance de cash dans la trésorerie de la campagne de 2007.

L’ancien trésorier Éric Woerth a contesté durant son audition l’existence de financements en relation avec un gouvernement étranger. Sollicité à plusieurs reprises, il n’a pas répondu à Mediapart, se contentant de faire savoir qu’il était « en pleine campagne électorale » et que « son agenda était un peu chargé ».

Claude Guéant, Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy, en juillet 2007, à Tripoli, en Libye. © Reuters

En janvier dernier, Jérôme Lavrilleux, directeur de campagne adjoint de Nicolas Sarkozy en 2012, mis en examen dans l’affaire Bygmalion, avait expliqué aux enquêteurs que des salariés de l’UMP lui avaient confié avoir touché des primes en liquide cinq ans plus tôt, à l’issue de la campagne présidentielle de 2007. « L’équivalent de un à trois mois de salaire », a-t-il précisé à Mediapart. Il suggérait aussi que l’écart des coûts des campagnes présidentielles de 2007 et 2012 – 20 millions d’euros pour la première et 50 millions pour la seconde – pouvait s’expliquer par l’engagement de fonds en espèces en 2007.

Alors qu’Éric Woerth a été entendu librement bien que « suspect », son ancien bras droit, Vincent Talvas, ex-directeur administratif et financier de l’UMP et trésorier adjoint de la campagne de 2007, un ancien du cabinet Arthur Andersen, et son assistante d’alors, Manoëlle Martin, aujourd’hui vice-présidente du conseil régional Hauts-de-France, ont été placés en garde à vue et perquisitionnés la semaine dernière.

D’autres anciens employés du QG ont été entendus, notamment Nathalie Gonzalez-Prado, secrétaire de Claude Guéant au siège de campagne, qui se trouvait au « cœur du réacteur », elle aussi perquisitionnée ; Chantal Spano, qui était à la communication avec Franck Louvrier, avant de rejoindre la cellule de presse à l’Élysée ; et d’autres ex-petites mains de l’UMP, notamment la secrétaire de Cécilia Sarkozy.

Plusieurs salariés ont confirmé avoir reçu les primes en espèces évoquées par Jérôme Lavrilleux. À hauteur de plusieurs milliers d’euros, pour certains à la fin de la campagne. « Talvas et Woerth géraient ces sujets avec Guéant », commente un ancien salarié, qui se souvient que le QG de la rue d’Enghien était en open space, excepté l’étage de la direction de la campagne, où se trouvaient les bureaux de Claude Guéant et de Nicolas Sarkozy, ainsi que ceux de la trésorerie.

En octobre 2014, un militant recruté en 2007 par l’association de financement de la campagne avait expliqué aux enquêteurs qu’il avait reçu une partie de son salaire en espèces, sous forme « d’avances ». Lors de son embauche, en février 2007, il avait été reçu par Éric Woerth : « Il m’a tendu une feuille blanche et m’a demandé d’inscrire ce que je souhaitais comme salaire, a raconté Kamel E. Je lui ai demandé 2 000 euros, il m’a dit que 2 000 euros ce n’était pas possible mais 1 500 euros, oui. » Il intègre l’équipe de communication de l’UMP, au siège du parti, rue La Boétie, où il est affecté à la préparation de meetings. Alors qu’il est payé par l’association de financement et l’UMP, ses feuilles de paie affichent parfois trois fois moins d’argent que prévu, mais il reçoit des « compléments en espèces ».

C’est rue La Boétie, dans l’ancien bureau de Vincent Talvas, qu’il reçoit « avances » ou « compléments ». « Il y avait une armoire qui contenait de l’argent en espèces, rapporte le militant. Il s’agissait d’une armoire grise de la taille d’un homme et d’environ 1,50 m de largeur. Dans cette armoire, il y avait des liasses de billets de toutes coupures selon moi, des billets de 10, de 20 et de 50. Les liasses étaient déposées sur une seule étagère. »

Questionné en 2015, Claude Guéant s’est déclaré « très surpris » que des « compléments de salaire » aient pu être versés en liquide sous son autorité. « Le trésorier de la campagne était Éric Woerth, mais j’ignore quelle était la personne qui s’occupait de la paie. Je n’ai jamais vu d’espèces au siège de campagne », déclare-t-il en outre.

Les enquêteurs s’étaient d’ailleurs intéressés à la location d’une chambre forte à la BNP par Claude Guéant durant la campagne de 2007. « Il s’agissait de stocker en sécurité, ce qui n’était pas le cas du siège de campagne, des archives personnelles appartenant à M. Sarkozy et à moi-même, provenant de nos fonctions au ministère », s’était-il justifié. Selon lui, le coffre de banque loué le 21 mars 2007 et restitué le 31 juillet 2007 n’avait servi qu’à stocker « une cantine » de documents. Selon la banque, Claude Guéant s’y était rendu à sept reprises. « Pour consulter des documents, a-t-il précisé. Je pense aux discours que M. Sarkozy avait pu faire. » Plutôt dubitatifs, les enquêteurs ont demandé à l’ancien ministre de l’intérieur s’il ne disposait pas d’archives numérisées pour ces discours. Il a répondu qu’il « ne travaillait pas comme cela à l’époque »

Claude Guéant est aujourd’hui mis en examen pour avoir reçu 500 000 euros d’une caisse noire alimentée par des fonds libyens en 2008. Poursuivi dans l’affaire Bettencourt, pour une remise d’argent liquide destinée à la présidentielle, Éric Woerth a finalement été relaxé en mai 2015. « Il existe une forte suspicion de remise d’argent des fonds Bettencourt, sans que la démonstration de la remise soit totalement acquise », avait conclu le tribunal.

Médiapart

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