Le journaliste indépendant Olivier Dubois vient d’être libéré après 711 jours de captivité aux mains d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), dans le nord du Mali. À son arrivée en France, dans une loge de Villacoublay, il accorde un entretien à RFI. Il évoque ses discussions sur le Coran avec ses ravisseurs, ses conditions de détention, l’otage sud-africain qu’il a côtoyé pendant un an et demi, le programme qu’il s’est inventé pour tenir ou encore ses projets d’écriture. Propos recueillis par RFI. 

Olivier Dubois, vous venez de retrouver vos parents, vos sœurs, votre compagne… Vous leur avez dit quoi ? Vous ressentez quoi ?

 

Olivier Dubois : Un immense bonheur ! Moi, j’ai été téléguidé en sortant de l’avion. Je les avais aperçus déjà dans le salon VIP, en atterrissant. Je savais qu’ils étaient là. Et puis voilà, on sort et on est comme aimanté, on est comme attiré. Je rencontre ma mère, je vois mon père, je salue le président et je continue ma route jusqu’à eux et je peux enfin étreindre, mon fils, ma fille, ma compagne, les revoir. Ça fait 2 ans que j’écoute leurs messages sur RFI. Et puis voilà, c’est la fin, c’est effectif : ils sont là, on peut les toucher, c’est à la fois physique. C’est tout ça.

 

On pense en particulier à vos deux enfants, à votre fils qui a appris à lire et qui a perdu une dent pendant votre absence.

 

[Rires] Exactement ! Grâce à RFI, j’ai des updates là-dessus, oui. C’était fort de le revoir.

 

Vous avez l’air étonnamment en forme. Quelques mots sur vos conditions de détention.

 

Alors les conditions de détention, ce sont des conditions de prisonnier. Vous êtes enchaîné, vous êtes un prisonnier, vous êtes considéré comme un mécréant, un infidèle. Je n’ai pas été maltraité, je dois le dire. Je n’ai pas été frappé, ni humilié. Mais vous êtes un prisonnier, prisonnier dans l’Azawad. Enfin, dans la région de Kidal. L’Azawad comme ils disent. C’est vivre en extérieur tout le temps, qu’il y ait une tempête de sable, sous le soleil, dans le froid ou sous la pluie. C’est se déplacer à moto et en pick-up, c’est manger sur le sol, c’est se laver et faire ses besoins à l’extérieur. C’est vivre à l’extérieur tout le temps. C’est un inconfort qui, au bout d’un moment, devient habituel, mais c’est un inconfort certain.

 

Pendant votre captivité, ce que vous avez souvent changé de lieu ? Est-ce que vous avez croisé d’autres otages ?

 

Durant la captivité, on change souvent de lieu pour des raisons de sécurité : on peut faire deux semaines, on peut faire trois semaines… Le plus long que j’ai fait, c’était six mois dans un seul endroit.

 

Et puis, oui, j’ai croisé un otage. J’ai partagé la captivité d’un autre otage. C’est un otage sud-africain qui s’appelle Gerco Jacobus van Deventer qui a été kidnappé en Libye en novembre 2017 puis vendu au Jnim après. Et tous les deux, on a traversé un peu plus d’un an et demi ensemble. On s’est quitté, c’est simple, le 14 mars dernier. Ils lui ont demandé de prendre une couverture, une bouteille ; il est monté sur une moto et je ne l’ai plus jamais revu. Et aujourd’hui, je suis ici. Moi, c’était deux jours après, le 16.

 

Et vous savez ce qu’il est devenu, sa situation actuelle ?

 

Je pense qu’il doit être toujours dans la région de Kidal. Je peux imaginer les conditions dans lesquelles il est parce qu’on les a vécues ensemble. Et je tiens à ajouter qu’il est temps que ça s’arrête. Il est dans sa sixième année. Il ne mérite pas ça, il faut qu’il rentre à la maison. Il faut qu’il rentre à la maison.

 

Vous faisiez comment pour tenir, pour garder l’espoir ? Est-ce que vous aviez des trucs, des activités, si je puis dire ?

 

Oui, très rapidement. En fait, une constatation est venue, je crois au bout du deuxième ou du troisième jour. Parce que c’était mon deuxième ou troisième jour à passer allongé sous une natte, avec des « moudjahidines » qui dorment, qui boivent le thé. Mais vous, vous ne faites rien. Je me suis dit : « Si ça dure longtemps comme ça Olivier et que tu restes comme ça, ça va impacter ton mental, ça va impacter ton physique, mais ça va aussi surtout impacter ton mental ». Et donc, j’ai commencé à me dire : « Il faut que tu te fasses des programmes, il faut que tu occupes tes jours, il faut que tu aies des victoires, des satisfactions, des choses qui te font rester à flot. »

 

Donc, à partir de là, j’ai développé un programme que j’ai appliqué on va dire du début à la fin de ma captivité et qui m’a aidé, qui m’a énormément aidé.

 

Un programme à base d’activités physiques ?

 

Alors activité physique, mais aussi de la lecture, j’ai demandé à lire le Coran. J’ai demandé volontairement pour savoir ce qu’il y avait dedans, pour les comprendre, pour comprendre. Ce livre est important pour eux. Si vous le comprenez, vous les comprenez déjà un peu mieux. Et puis pour pouvoir aussi discuter avec eux, échanger. Et là-dessus, ils se sont montrés ouverts. Je dois dire qu’on a pu débattre. Il n’y a jamais eu de problème par rapport à ça. On n’était pas d’accord. Il pouvait y avoir des divergences, mais pas dans la violence, pas dans l’agressivité. Ils ont leur point de vue, nous avons le nôtre. Ils ont leur façon de voir qui est claire et qui rentre en antagonisme avec la nôtre. Mais on pouvait en parler.

 

Il y avait la cuisine aussi. Je ne supportais plus de manger ce qu’on me servait. Donc, on a demandé, avec Gerco, à ce moment d’avoir une cocotte-minute et de faire notre propre nourriture, d’aller couper du bois, de construire votre propre abri, de s’occuper, de se donner des challenges, d’atteindre ces challenges pour avoir une sorte de satisfaction et essayer de manger des choses qui vous font plaisir, pour être contents, faire du sport, pour se renforcer mentalement et physiquement.

 

Vous êtes journaliste, vous avez d’ailleurs payé le prix de votre engagement professionnel. Pendant votre détention, est-ce que vous vous disiez qu’en sortant, vous alliez raconter tout ça ? Et est-ce que vous vous le dites à présent ?

 

Je me le suis dit plusieurs fois à l’intérieur. J’ai, autant que faire se peut, continué à faire mon boulot de journaliste de l’intérieur. Alors ce n’était pas facile parce qu’il y avait la barrière de la langue. J’étais gardé par des « moudjahidines » qui parlent le tamasheq pour la plupart ou bien l’arabe. Je ne parle pas le tamasheq et l’arabe. Quand on veut communiquer, et les rares fois où ils étaient d’accord et où on pouvait échanger, il y a eu pas mal de choses. J’ai parlé aussi un peu avec des « moudjahidines » [francophones, NDLR]. J’observais. Je suscitais des débats et puis j’essayais de consigner ça par écrit. Donc, j’étais à l’intérieur.

 

Au bout d’un moment, je me suis dit : « Mais arrête ! Ok, tu t’es fait prendre pour une interview que t’as pas pu faire, mais tu es à l’intérieur. Alors ouvre les yeux, écoute, discute, parle, explique-leur que tu veux comprendre aussi ». Et je pense que ça a été compris justement. Au bout d’un moment, ils ont compris. Ils ont compris que je voulais comprendre. Alors, tout n’était pas ouvert évidemment, peu de choses étaient ouvertes. Mais petit à petit, ça s’est un peu relâché, des échanges ont pu venir, des explications. Mais c’est l’omerta, les « moudjahidines », surtout quand vous êtes un prisonnier. Vous êtes dans le flou tout le temps. Mais j’ai pu collecter des informations.

 

Et, du coup, vous allez écrire ?

 

Ah bah oui ! [Rires] Je ne sais pas quand. Pas tout de suite. Il faut que je dégrossisse tout ça aussi, mais je pense, oui.

 

Avant votre enlèvement, vous étiez installé au Mali en famille, est-ce que vous avez envie d’y retourner ?

 

Alors, je ne sais pas, là. À l’heure actuelle, je ne sais pas du tout. Je viens tout juste d’arriver, je sors d’un monde, qui était déjà le Mali, je me retrouve en France, c’est totalement différent, je n’ai pas vu ma famille depuis longtemps. Me reconnecter avec eux, c’est déjà le premier but. Et puis, après, on va parler de tout ça. C’est compliqué, donc on doit parler de tout ça. On doit planifier le futur. Il y a beaucoup de choses à faire. Donc, je n’ai pas de réponse claire à vous donner là-dessus, en tout cas aujourd’hui.

 

Vous avez déjà eu le temps de dire que vous pouviez écouter RFI, que vous entendiez les messages de votre famille, même après que notre antenne a été coupée par les autorités de transition. Merci pour votre écoute fidèle…

 

[Rires] Merci à vous pour vos programmes, j’avais mes émissions !

 

Est-ce que vous pouvez nous dire comment vous nous écoutiez et ce que ça vous a apporté ?

 

J’écoutais RFI en shortwave [ondes courtes, NDLR]. On pouvait capter RFI de 4h du matin à, si je ne me trompe pas, 10h. Ça coupait à 10h. Ensuite, c’est de midi à 13h et enfin de 17h à 21h. Donc, c’étaient les plages où j’écoutais RFI. Ce que ça m’a apporté, c’est de l’information. Déjà, j’écoutais le journal Afrique, le journal international tous les jours. Il y a des émissions que j’aime bien, que je peux citer : Géopolitique de Marie-France Chatin, Orient Hebdo d’Éric Bataillon, Laurence Aloir et sa superbe émission Musiques du monde, Claudy Siar et Couleurs tropicales. Il y a des émissions que j’ai regretté de ne pas pouvoir écouter parce que ça m’aurait intéressé. Clémence Denavit et son émission gastronomique, l’émission sur la science de Caroline Lachowsky. Je connais vos programmes, j’en écoutais pas mal ! J’avais mes rendez-vous.

 

Vous me demandiez comment j’occupais mes journées. L’écoute de la radio par RFI, c’était important. Alors, c’était principalement RFI mais il y avait aussi VOA Afrique, BBC Afrique et un peu RCI.

 

… Et vous écoutiez les messages de vos proches.

 

Les 8 [de chaque mois, la journée où RFI donnait la parole à ses proches sur l’antenne, NDLR] avait une importance énorme. Je faisais en sorte d’être prêt à 4h du matin, j’étais fixé à la radio tout le temps qu’elle soit détériorée ou pas – j’ai eu des radios dans des tristes états. J’ai raté en deux ans très peu de 8. J’ai eu la radio en octobre 2021. À partir d’octobre 2021, j’ai raté un ou deux mois. J’ai pu toujours être à l’écoute le 8 du mois pour ces messages qui étaient indispensables pour moi.

Le Tchadanthropus-tribune avec Rfi

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