Par adhésion ou pour contrer le Front national, nombre de binationaux ont voté pour Emmanuel Macron qu’ils attendent cependant sur son programme économique.

« Cela fait quand même 11 millions de fachos. Ce n’est pas rien… » Dans un café du 11e arrondissement de Paris, Amel, mère au foyer, et Samira, comptable, toutes les deux âgées de 38 ans, suivent les résultats du second tour. « J’ai surtout voté contre le FN, mais, maintenant que Macron est élu président, j’espère qu’il aura une meilleure politique pour la France dont il pourra relever l’économie, mais aussi vis-à-vis de l’Afrique », poursuit Amel d’un air peu convaincu. « L’espoir fait vivre après tout, un jeune président peut apporter une touche de fraîcheur dans la sphère politique… » poursuit-elle. Là-dessus, Marine Le Pen apparaît sur l’écran de la télévision installée sur un des murs du café.

Binationalité, programme économique, politique africaine

« Ça m’aurait posé problème d’être amenée à choisir entre ma mère et mon père », commente Amel, faisant allusion à la volonté de Marine Le Pen de remettre en question la double nationalité. Au-delà de ce qui fait la particularité du FN dans sa volonté de s’opposer aux personnes d’origine immigrée, de nationalité française ou pas, c’est là l’une des raisons pour lesquelles Amel, Samira et nombre de binationaux n’ont pas hésité à voter pour Emmanuel Macron pour ce second tour à l’élection présidentielle.

« Encore une fois, j’ai dû voter contre, par dépit, contre le Front national », soupire Samira. « Mais il n’y avait pas de questions à se poser. C’est un parti raciste et on ne pouvait pas le laisser passer. » Cela étant dit, Samira attend le nouveau président élu au tournant, sur son programme économique notamment. « Il a annoncé un certain nombre de choses. Même si je n’attends pas grand-chose de lui, j’espère qu’il tiendra sa promesse sur la baisse des charges salariales, ce qui va augmenter mon salaire, et donc mon pouvoir d’achat », dit-elle. Et tout comme Amel, elle espère que, sous son mandat, Macron changera la politique africaine de la France, et ce, de manière radicale. « Je ne crois pas au Père Noël, mais quand même, la colonisation, c’est fini depuis soixante ans. Du coup, je ne comprends pas que ce soit toujours la France qui dicte les choses en Afrique, même la monnaie de certains pays (franc CFA). Comme une mère qui continue de donner de l’argent de poche à son enfant majeur, comme s’il ne pouvait se débrouiller seul… Mais bon, il ne faut pas croire au miracle non plus. »

Un discours clair

Dimanche. Autre ambiance dans la cour du Louvre : des milliers de partisans d’Emmanuel Macron célèbrent sa victoire. Parmi eux, Khaled*, 36 ans. Ancien militant socialiste, il a rejoint le mouvement En marche ! depuis son lancement. « Il y a un peu plus d’un an, je l’ai rencontré lors un dîner privé chez des amis. Il était encore ministre de l’Économie. Il avait déjà manifesté l’idée de créer un nouveau mouvement politique qui dépasse les vieux clivages aujourd’hui obsolètes », dit-il. Et de poursuivre : « Moi, cela faisait déjà trois ans que j’avais quitté le PS, et j’ai trouvé son discours très clair, avec une idée très précise de ce qu’il voulait pour la France. J’ai senti alors qu’il avait la capacité de porter quelque chose de nouveau, et donc d’être président de la République. » « Avec sa vision, son pragmatisme, c’était le candidat qui correspondait au moment, à une demande, à un lectorat qui avait envie de se renouveler. Il est parti de rien, et en un an, on se retrouve ce soir, à célébrer sa victoire », conclut Khaled.

Contre le Front national, reconstruire le vivre-ensemble

Mais si l’humeur est à la fête, Khaled comme d’autres ont conscience que le plus dur reste à faire. Il faut d’abord gagner les législatives et ensuite appliquer le programme annoncé pour faire les réformes attendues. « On va se retrouver dans trois semaines avec des manifestations et des grèves à tous les niveaux, vous verrez ! » présage Salif, programmateur informatique franco-sénégalais de 35 ans. Cet « abstentionniste qui l’assume » ne s’est pas rendu aux urnes pour la première fois depuis ses dix-huit ans. « En 2002, j’ai voté, c’est vrai, sans hésitation pour Chirac, j’ai même manifesté contre le FN. Mais au final, qu’est-ce que ça a changé ? Si ce n’est plébisciter Chirac… Cette fois, j’ai voté Hamon au premier tour, par conviction. J’avais réellement foi en lui, en son programme. Là, on ne pouvait pas me demander de voter pour quelqu’un qui est à l’antipode de tout ce qui fait la force de la France. Je sais qu’il y a des réformes à faire, mais pas en cassant notre régime de solidarité sociale, notre Code du travail », poursuit-il. « Parce que c’est ce qu’il va faire ! Revenir sur tous nos acquis sociaux. Avec quel résultat ? Renforcer l’extrême droite en France. Car il ne faut pas se leurrer : Marine a déjà gagné ! 34 % des voix, ce n’est pas rien. Les idées de l’extrême droite sont déjà répandues au sein de la société française et il ne suffit pas de faire front tous les cinq ans pour reconstruire le vivre-ensemble. Il y a un travail de fond à faire… » conclut-il.

Rejoindre une association plutôt qu’un parti politique

Plutôt que de rejoindre un parti politique, Salif* envisage d’intégrer une association de quartier, dans le 20e arrondissement où il habite. « Ils font de l’aide au devoir, des courses pour les personnes âgées, la paperasse pour les étrangers, des maraudes pour nourrir les sans-abri… Je pense que c’est comme ça qu’on va sauver la France. Parce que, si on continue à tout attendre de la classe politique, non seulement rien ne va s’arranger, mais surtout on va finir par s’entretuer ! » Et de conclure : « Après tout, c’est chez nous ici, autant que chez eux ! Nos parents ont saigné, sué pour la France. On travaille, on paie nos impôts, il va falloir qu’ils admettent que nous sommes tous français. Avec des histoires personnelles, des parcours, des façons de vivre différentes, mais, au final, tous Français. Et ça, tant que la France n’assumera pas ce qui est le fruit de son histoire, de ses propres choix, elle ne pourra pas se renouveler… »

* Les prénoms de ces personnes ont été changés à leur demande.

PAR
 Le Point Afrique
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