15 octobre 2012 Francophonie: la jeunesse africaine écrit à François Hollande.
Au moment où vous vous apprêtez, en tant que président de la république française, à effectuer votre premier voyage en terre africaine à l’occasion du sommet de la Francophonie, nous, Jeunesse africaine, venons auprès votre Bienveillance porter un certain nombre de faits auxquels nous faisons face depuis plus de 50 ans, et sollicitons une action décisive de votre part lors de ce sommet qui se tiendra du 12 au 14 octobre 2012 à Kinshasa au Congo. La Jeunesse africaine vient vers vous parce que ce voyage s’effectuera dans un contexte particulier. En effet, au Togo, les milliers de morts de 2005 n’ont pas toujours empêché à ce jour l’État de mater dans le sang le soulèvement populaire, et ce malgré l’entrée historique en scène des femmes togolaises (30 août 2012) décidées de marcher nues pour maudire la tyrannie. Au Gabon, le régime a récemment réprimé dans la violence les manifestants pacifiques qui rejettent toujours le verdict des urnes des dernières présidentielles. Au Congo Brazzaville, le peuple a depuis longtemps été littéralement réduit au silence. De l’autre côté du fleuve, au Congo Kinshasa, les élections truquées ont cédé la place à la violation des droits de l’homme et à la naissance de la rébellion du M23 qui poursuit une guerre ayant déjà fait plusieurs millions de morts. En Guinée comme au Cameroun, au Burkina Faso comme au Tchad, la violence policière et militaire et les manipulations des codes électoraux en vue d’assurer l’éternité politique aux chefs d’États sont devenues le mode de gouvernance qui fait de l’espace francophone africain la pire et la dernière des quatre aires linguistiques du continent (arabophone, lusophone, anglophone et francophone). De l’Afrique centrale à l’Afrique de l’ouest francophones, quand ce ne sont pas ces évènements qui font l’actualité, ce sont les caisses publiques qui sont vidées par les gouvernants dont bon nombre passent la moitié de l’année dans les paradis fiscaux, laissant nos pays dans une situation de pauvreté extrême et de tension explosive.
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Maurice Nguepe, Secrétaire Général de l’Organisation Jeunesse Africaine
Excellence Monsieur le président François Hollande,
Lorsque nous nous rappelons que le jour où nous sommes sortis en masse pour vous élire, vous aviez fait la promesse «que le 06 mai 2012 sera une bonne nouvelle pour les démocraties et une terrible nouvelle pour les dictatures», nous pensons que l’heure de la tenue de cette promesse est arrivée, et qu’elle commence par un amendement des statuts de la charte de cette organisation. Au fait, comment la Francophonie peut-elle «observer la plus stricte neutralité dans les questions de politique intérieure» des pays dictatoriaux et y réussir l’objectif d’aide «à l’instauration et au développement de la démocratie» comme le recommande l’article 1 (1) ? Un soutien à l’instauration de la démocratie ne peut se faire dans un contexte de dictature que si l’on cesse d’être neutre. Aussi, trouvons-nous, jeunesse africaine, dans la relation entre l’article 1 (1) et l’article 1 (2) une opposition fondamentale qui fait la faiblesse de l’institution francophone et constitue en même temps le motif valable pour lequel nous en appelons à votre fermeté dans la réalisation de votre promesse.
Ainsi, rendu à Kinshasa, nous vous saurions gré de bien vouloir lever cette contradiction statutaire et de procéder aux amendements règlementaires. N’avez-vous pas vous même réaffirmé le 27 août 2012, reprenant l’article 1 (1) de la charte, que «la Francophonie, ce n’est pas simplement une langue en partage mais aussi une communauté de principes et d’idéaux»? De ce fait, nous attendons de ce sommet de Kinshasa que vous pesiez, de tout le poids de la France des libertés, sur les orientations de la conférence ministérielle, instance décisionnaire, afin de modifier et de compléter l’article 1 (2) de la charte comme suit : «La Francophonie respecte la souveraineté des États, leurs langues et leurs cultures. Elle observe la plus stricte neutralité dans les questions de politique intérieure dans la mesure où les pays membres poursuivent sans faille et rendent concrets les objectifs de démocratie et d’État de droit contenus dans l’article 1 (1) de la présente charte». La Jeunesse africaine aimerait aussi obtenir à ce sommet une clarification, sinon une modification de l’article 9 (3) de la charte qui stipule que «l’Organisation Internationale de la Francophonie peut contracter, acquérir, aliéner tous biens mobiliers et immobiliers, ester en justice ainsi que recevoir des dons, legs et subventions des gouvernements, des institutions publiques ou privées, ou des particuliers.» Il nous semble qu’il s’agit là de l’article à l’origine de toutes les manipulations, de tous les jeux de passe-passe qui font de la Francophonie la face visible de la Françafrique.
Excellence Monsieur le président François Hollande,
L’opinion a beau penser que le destin de l’Afrique francophone était entre les mains de sa jeunesse. Nous le voulons bien, mais la réalité est que le sommet qui se tiendra à Kinshasa sera l’occasion pour les chefs d’États d’Afrique centrale et de l’Ouest de vouloir modifier la direction de ce destin en notre défaveur. Et s’il advenait que ce sommet accouche d’une nouvelle souris, c’en sera une de trop. De plus, si Kinshasa ne devient pas le point de départ d’une Afrique nouvelle et de relations justes entre la France et les pays africains, nous le regretterons amèrement. Voilà pourquoi nous vous sollicitons désormais comme allié, car le 27 août 2012, vous aviez, lors de l’annonce de votre premier voyage en terre africaine, affirmé vouloir «tout dire partout et faire en sorte que ce qui soit dit soit fait». Ainsi, peut-être Kinshasa marquera-t-il le tournant de notre histoire; et peut-être notre rêve de voir tomber plusieurs dictatures d’ici la fin de votre premier mandat, en commençant par les plus anciennes et les plus cruelles, se transformera-t-il en réalité.
Faites qu’il en soit ainsi, Monsieur le président, pour la grandeur de la Francophonie. Si rien n’est fait à Kinshasa, les textes fondateurs de cette institution tomberont en désuétude à mesure que l’Afrique francophone régressera sous le poids de ses régimes totalitaires. Et la conséquence ne sera rien d’autre que la percée d’une chinophilie déjà redoutable, l’image de la France en Afrique francophone n’étant pas séduisante à nos jours. Quand on sait que c’est l’Afrique qui donna pourtant à la Francophonie le plus grand contingent de pays membres, et que dans 40 ans, c’est elle qui comprendra 80 % de Francophones du monde, on se demande comment, dans un monde dominé par l’économie, la France en est arrivée à ne pas pouvoir y créer un grand marché de consommation de produits de la civilisation francophone. La volonté de la Chine de corriger cette erreur historique en créant en Afrique son plus grand marché de consommateurs devient compréhensible. Si la fin des dictatures n’est pas proclamée à Kinshasa, les sommets Chine-Afrique, initiés depuis quelques années, aboutiront certainement à la création de «l’Organisation Internationale de la Chinophonie». Seule, l’instauration des systèmes démocratiques fiables sera le gage d’une Francophonie partagée partout en Afrique, parce que renovée, modernisée et rendue compétitive face à une Chinafrique déjà présente et frileuse, elle aussi, des dictatures. Ce sera le signe fort de votre engagement à faire bouger les lignes dans la perspective de la tenue de votre promesse du 06 mai 2012.
Nous vous prions de croire, Excellence Monsieur le président François Hollande, en la sincérité de nos propos et en l’expression de notre haute considération.
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