Tchad: vingt-deux ans de dictature, une misère généralisée, mais aussi une nouvelle opposition.
Il est à peine sept heures du matin. Il fait chaud, très chaud. Le thermomètre affiche déjà 38°. Il n’y a pas un souffle de vent, pas une goutte d’eau, le paysage est triste à mourir comme irradié au napalm. Là, accroupies sous ce soleil de plomb, des femmes creusent la terre. Ici, on les appelle les «termitières». Elles tentent en effet de trouver une fourmilière avec assez de graines pour nourrir leur famille. Comme il n’y a plus rien à manger, il n’y a pas d’autres moyens pour feinter la faim. Inlassablement, du lever au coucher du soleil, les « termitières » bêchent, creusent et fouillent pour disputer quelques graines aux fourmis.
Non, nous ne sommes ni dans un camp de réfugiés ni dans un village dévasté du Darfour. Nous sommes dans le Kanem, région de l’ouest du Tchad. Cette année, près de deux millions de personnes y sont menacées par la faim. Un enfant sur vingt meurt avant l’âge d’un mois et un sur dix avant un an pour cause de malnutrition. La faute à la sécheresse ? Au changement climatique ? Sans doute y a-t-il un peu de ça. Mais, à vrai dire, les catastrophes naturelles ne peuvent à elles seules expliquer cette insoutenable situation. Ce qui tue par-dessus tout au Tchad, c’est le mépris pour la vie humaine des autorités du pays, et l’indifférence à l’extérieur.
Un exemple : au moment où diverses ONG appelaient à un plan d’urgence en faveur de ces populations en grande détresse, que les différentes agences de développement dans le monde se mobilisaient pour trouver de l’argent et venir au secours de ces enfants, femmes et hommes livrés à la faim, le chef de l’Etat tchadien, cc, 60 ans, convolait en justes noces à Khartoum (au Soudan voisin) avec Amani Moussa Hilal, 20 ans, la cérémonie revenant à la bagatelle de 26 millions de dollars en dot et autres prestigieux cadeaux, sans parler du millier d’invités. A noter le pedigree bien singulier de la mariée, qui n’est autre que la fille de Moussa Hilal, le tristement célèbre chef des Janjawids. Oui, les Janjawids, ces « cavaliers du diable ». Souvenez-vous, cette horde de criminels à cheval (ou en pick-up) qui semaient la désolation et la terreur au Darfour. Voilà qui augure de lendemains sombres pour le Tchad quand on connaît ces tueurs imprégnés de racisme à l’égard des Noirs africains et nourris d’islamisme.
C’est d’une main de fer qu’Idriss Déby, Président Général Sultan, dirige ce vaste pays de l’Afrique centrale. Arrivé par les armes au sommet de l’Etat en 1990, avec l’appui du président soudanais Omar El Béchir, du colonel Kadhafi mais aussi des services secrets français, son pouvoir est caractérisé par des violations massives des droits humains et un clanisme primaire. Pour lui, le Tchad est un butin de guerre du clan, au service du clan, pour le bonheur du clan. Toutes les richesses du pays sont concentrées entre les mains de sa famille.
Pour les autres Tchadiens, sa politique est celle de la terre brûlée. Assassinats, rapts d’opposants politiques, de défenseurs des droits de l’homme, de journalistes, de citoyens anonymes soupçonnés de complots ou accusés d’être les sympathisants d’un adversaire politique ; viols de masses dans les régions acquises à l’opposition pour punir et humilier ceux qui ont osé braver son autorité ; incendies et destructions des villages, empoisonnement des puits, saccages des récoltes pour faire déguerpir des populations installées sur des terres convoitées, enrôlement forcé d’enfants, arrestations arbitraires, exécutions extrajudiciaires. Son impitoyable escadron de la mort, composé des membres du clan, réprime aveuglement dans le sang toute velléité de contestation démocratique. Ceux qui ont eu le malheur de croiser l’homme le décrivent comme brutal, impulsif et paranoïaque. Ses collaborateurs font fréquemment les frais de sa rudesse et de son plaisir à humilier, rabaisser, dominer, particulièrement manifeste à l’égard des cadres et des intellectuels. Quelques-uns ont témoigné avoir reçu gifles, insultes ou coups de pied en plein Conseil des ministres.

Il y a aussi ceux marqués à vie par d’horribles sévices ou disparus à jamais. Les organisations de droits de l’homme, dont Amnesty International, la FIDH, Human Rights Watch et la Ligue Tchadienne des Droits de l’homme, n’ont eu de cesse de dénoncer les agissements du régime.

En près de 22 ans d’un règne sans partage, le dictateur n’aura rien épargné aux Tchadiens qui vivent dans une extrême pauvreté malgré les revenus substantiels du pétrole. Ils n’ont, dans leur écrasante majorité, accès ni à l’électricité, ni à l’eau potable et encore moins aux soins de santé adéquats. Et tandis que manger devient un véritable parcours du combattant pour chaque famille tchadienne, le despote et ses proches festoient sans retenue, s’offrent des palais dignes des Contes des mille et une nuits ainsi que des appartements un peu partout dans le monde.
Mais Idriss Déby Itno n’est pas qu’un dangereux personnage pour les Tchadiens. Il est également une réelle menace pour la région. Au Togo, sa milice est venue en renfort afin de mater les soulèvements populaires. Il s’est illustré à l’inverse dans un rôle déstabilisateur au Congo Brazzaville et en République centraficaine afin de renverser les présidents Lissouba et Ange Félix Patassé démocratiquement élus. Des centaines de jeunes Tchadiens pauvres et sans emploi ont été recrutés et convoyés par Daoussa Déby, ambassadeur du Tchad en Libye et surtout frère aîné du président, pour servir de miliciens pro-Kadhafi. Les conséquences de ce forfait ont été désastreuses pour des milliers de paisibles Tchadiens travaillant en Libye et qui, en représailles, ont été pourchassés et lynchés par les forces rebelles hostiles au “Guide”.
Dans la crise du Darfour, Déby est désormais l’un des principaux alliés du régime de Khartoum.

Auparavant, soufflant le chaud et le froid, il avait armé et désarmé les groupes de combattants darfouris, en particulier les islamistes du JEM, au gré de ses propres intérêts. Les liens qui l’unissent au président soudanais Omar el-Béchir, remontent à 1989, quand ce dernier l’aida à prendre le pouvoir à N’Djamena. Les deux hommes se sont ensuite combattus par groupes rebelles interposés, avant de se réconcilier en 2009. Le président tchadien est donc à nouveau proche de son homologue soudanais, contre lequel, faut-il le rappeler, la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide au Darfour. Depuis, le Tchad est devenu progressivement un terreau pour les idées islamistes des Frères musulmans et du Front National Islamique, dont sont issus Omar el-Béchir et son ex-mentor le fameux idéologue fondamentaliste Hassan al-Tourabi.

Déby a ainsi nommé le cheikh Hassan Hissein Abakar, soudanais et « tourabiste », imam de la grande mosquée de N’Djamena. Pour la première fois dans l’histoire du Tchad, où se pratiquait généralement un islam tolérant en parfaite cohésion et intelligence avec les autres confessions, le chef spirituel de la communauté musulmane n’est pas tchadien. Une certaine radicalisation de la pratique de l’islam prolifère désormais dans certains milieux et il y a lieu de craindre qu’elle gagne du terrain si rien n’est fait pour la contenir.

Aujourd’hui, Déby et El-Béchir scellent à nouveau un pacte de sang par la mise sur pied d’une brigade mixte tchado-soudanaise qui traque et exécute les opposants tant tchadiens que soudanais. Le mariage du dictateur tchadien avec la fille du chef janjawid, homme de main du président soudanais, consolide cette alliance d’intérêts communs aussi bien politiques que mercantiles. En conséquence, les populations tchadiennes et soudanaises se trouvent prises dans l’étau des manœuvres machiavéliques des deux despotes, dont elles sont devenues les otages.
Idriss Déby, Omar el-Béchir : les deux faces hideuses d’une même politique de terreur. Voilà pourquoi, l’urgence pour sauver le Darfour s’accompagne de l’urgence d’écarter Idriss Déby. Cette urgence définit dorénavant la problématique de l’opposition tchadienne, à l’intérieur et à l’extérieur. Tirant les leçons de ses échecs successifs, elle s’est aujourd’hui réorganisée à l’échelle nationale et a opté pour les valeurs universelles de la démocratie. Mobilisée pour mettre fin aux deux décennies de règne d’Idriss Déby Itno, elle s’interroge toutefois sur les choix de la France : si l’homme fort de N’Djamena est menacé de perdre le pouvoir, sera-t-il à nouveau soutenu par Paris ? Inutile de dire qu’elle espère des nouvelles autorités françaises qu’elles sauront comprendre que le système Déby est une plaie pour son pays et la région, et qu’elles sauront reconnaître des amis dans ceux qui veulent y mettre un terme.
Annette Yoram Laokolé, opposante politique tchadienne.
Source: laregledujeu.org 
432 Vues

Il n'y a pas encore de commentaire pour cet article
Vous devez vous connectez pour pouvoir ajouter un commentaire