L’épopée malienne dont on parle énormément ces derniers mois semble trouver autant de partisans que de détracteurs. Certains invoquent une nécessité éminente et imminente, considérant que le Mali pourrait, à court ou moyen terme, se transformer en une immense place d’arme, fer de lance d’une idéologie djihadiste ciblée contre l’Occident dans tout ce qu’il représente de plus détestable à ses yeux.

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D’autres se montrent autrement plus sceptiques et réservés, croyant que le processus est déjà beaucoup trop engagé pour freiner ou, a fortiori, faire marche arrière. Enfin, j’ai relevé depuis décembre un autre point de vue qui est celui de mon collègue et que je trouve curieusement contradictoire. Ayant applaudi l’entrée des troupes françaises à Tombouctou, « seule bonne décision que le PS ait daigné prendre depuis l’ère Mitterrand », je le vois aujourd’hui sombrer dans un fatalisme noir qui consiste à croire que l’Afrique est d’emblée condamnée à croupir sous le joug islamiste.

C’est pourtant vite oublier que les destins géopolitiques de l’Afrique et de la vieille Europe sont liés au plus haut point. Prétendre que le continent africain est, vulgairement parlant, fichu, revient à prétendre que, pour l’Europe, les dés sont déjà jetés, qu’un dénouement lugubre ne se fera pas attendre.

J’estime pour ma part que l’Afrique est un symptôme aigu et saillant de tout ce que la déloyauté et la sottise occidentale avait accumulé de lacunes ces dernières décennies. Je fais ici abstraction du passé colonial pour abréger ma pensée même s’il est difficile d’y passer outre compte tenu de la politique qui aujourd’hui est menée par l’Hexagone de connivence avec les USA. Deux facteurs profondément délétères transparaissent dès lors :

– Le facteur répressif économique.

– Le facteur politique, direct ou indirect, consistant à garder des états riches en ressources sous le boisseau occidental.

Le premier facteur évoqué renvoie à la triste réalité du dumping, pratique pour le peu malhonnête sous-entendant la vente d’un produit à un prix bien inférieur à son prix réel. L’UE est dotée de droits anti-dumping ajustant le prix de vente sur le marché d’origine au prix de vente sur le marché européen. Or, comme la politique des deux poids deux mesures est immuablement de vigueur, on s’aperçoit que l’Afrique, importante exportatrice de blé, de maïs et de riz … a pourtant de plus en plus faim. Sa population étant légèrement inférieure à celle de la Chine, on ne saurait expliquer le phénomène uniquement par le fait qu’il y a surpopulation. L’aide alimentaire fournie à l’Afrique par la France masque l’immense déloyauté de cette dernière qui lui rend gratis une part minimale de ce qu’elle lui a enlevée pour un prix dérisoire. Résultat : l’agriculture se détériore, l’économie en est anémiée jusqu’à un niveau critique. Peut-on se développer convenablement quand on est affamé ? Or, c’est bien connu, la misère ouvre d’abord les portes à la soumission, puis aux dictatures les plus sanglantes qui viennent contrer cet état de soumission toujours provisoire et lourd de conséquences.

Le deuxième facteur revient hélas en leitmotiv. Il s’agit de l’héritage laissé par les « printemps arabes » tant et tant acclamés par nos politiques et qui à leurs débuts, au moyen de slogans vaguement démocratiques, ont leurré les populations autochtones. Le coup de grâce disgracieux a été donné avec l’assassinat de Mouammar Kadhafi, assassinat qui a dévoilé le véritable visage de l’impérialisme otanien. La chute du régime libyen a ouvert la boite de Pandore en déliant les mains à quelques 60.000 islamistes armés jusqu’aux dents et aux touaregs qui, à des nuances près, en sont quasiment indissociables. On a semé le vent. On récolte la tempête. Tout irait presque bien si cette tempête n’avait pas gagné encore plus certains quartiers parisiens tels que Belleville ou encore Seine-Saint-Denis, nouveau berceaux de l’islamisme français qui pour l’heure tend à se présenter sous des jours arabo-nationalistes alors que d’innombrables métastases islamistes se répandent de la Somalie à la Mauritanie.

Reste-t-il encore une planche de salut ? Peut-on corriger ce qui n’est que le résultat direct d’une politique maladroite, criminelle et inconsciemment courtermiste ? Le sujet étant compliqué et requérant le point de vue d’un expert, je me suis adressée à M. Djimadoum Ley-Ngardigal, politologue, docteur ès sciences politiques. Voici des extraits de notre entretien dont vous pouvez découvrir la version intégrale en écoutant l’enregistrement au-dessus de l’article.

LVdlR. Seriez-vous d’accord avec les affirmations qui commencent à fuser ces derniers temps sur le fait qu’il y a ait augmentation en Afrique du nombre de foyers mouvants islamistes du Soudan à la bande de Sahel ? Ces foyers, pourraient-ils finir par s’unir un de ces jours pour constituer une sorte de place d’armes dirigée contre l’Europe occidentale ?

M. Ley-Ngardigal. Je pense qu’il faut voir le problème sous deux aspects. Le premier aspect, c’est la crainte de l’Europe occidentale par rapport à la poussée islamiste que je mets d’ailleurs entre guillemets. Le deuxième aspect, c’est la poussée de l’islamisme par rapport aux pays d’Afrique. Considérons le premier aspect. Quand on entend dire qu’en Afrique l’islamisme prend de l’ampleur, c’est la réalité dans un certain nombre de pays. Ca va de la côte mauritanienne jusqu’au Soudan en passant par le Tchad, le Nigéria, la bande du Sahel. Mais il faut d’abord s’interroger sur les raisons de cette poussée (…) liées entre autre au fait que l’Europe soutient les dictatures en place au cœur de ces régions. Il y a des gens qui, en voyant l’Europe soutenir ces dictatures, vont même jusqu’à s’allier aux islamistes. Donc, deux facteurs sont propices à l’islamisation : la misère des masses et le sentiment de révolte que suscitent des régimes soutenus par l’Occident (…). Dans ces conditions-là, oui – et je tiens à conserver le conditionnel – l’islamisme serait un danger pour l’Occident. Mais, qu’on se le dise, c’est l’Occident même qui a crée l’islamisme (…). Remontons quelques années auparavant. Vous savez pertinemment qu’Al-Qaïda a été inventé par la CIA pour déstabiliser les frontières de l’URSS (…). Considérez la portée réelle des printemps arabes. Les jeunes dont les conditions de vie étaient extrêmement difficiles se sont rebellés mais … que voit-on par la suite ? On voit rapidement les Frères Musulmans s’accaparer de tout ce mouvement en se faisant dans une certaine mesure les alliés des Occidentaux, parce que les jeunes qui se révoltaient voulaient rompre l’ordre établi. L’Occident, pour sa part, a peur. Il préfère s’allier aux islamistes que de voir de jeunes révolutionnaires arriver au pouvoir. Dans ce cas, il ne faudrait pas que les grandes puissances occidentales se plaignent … Voici ce qu’il en est du deuxième aspect. Il y a effectivement une montée du mouvement islamiste dans les pays d’Afrique mais, ce qu’il faudrait souligner, c’est que ces mouvements sont eux aussi basés sur la révolte de l’ordre actuel. Quel est-il ? Je sous-entends une nouvelle fois l’existence de dictatures accablantes soutenues, financées par l’Occident. En tant que tels, les peuples africains ne sont pas islamistes comme on prétend le dire.

LVdlR. Est-ce que le processus en cours vous apparaît réversible ? Y-a-t-il une issue de secours que l’on pourrait proposer aux peuples de l’Afrique et à l’Occident ? Ne pensez-vous pas qu’il soit trop tard et qu’il faille laisser faire ?

M. Ley-Ngardigal. Ah non ! Je ne pense pas qu’il faille laisser faire. Je relèverais surtout l’aspect politique. Il faut que l’Occident cesse de soutenir et de financer les dictateurs en place. Il doit laisser les peuples choisir le système politique qui leur convient, choisir leur projet de société et non les imposer comme il le fait. A force d’imposer, on pousse la population à s’allier à des idéologies dont la population n’a jamais voulu à l’origine. Donc, oui, selon moi, le processus est tout à fait réversible dès lors que les populations auront leur destin en main (…). Il y aura donc ouverture à la gestion des richesses du pays au bénéfice des populations. Tant qu’on ne résoudra pas le problème de la misère économique, de la misère économique, et bien oui, le terreau sera propice à ce que l’islamisation du continent devienne à la longue imminente (…)

LVdlR. Comment voyez-vous l’ingérence française au Mali ? Peut-on en conclure à un succès ? Peut-on tenir la France pour partiellement responsable de la catastrophe malienne ?

M. Ley-Ngardigal. Il y a une expression qui dit que, dans certaines conditions, les pompiers sont eux-mêmes les pyromanes. Dans ce qui se passe au Mali, la France est pompier et pyromane en même temps. Si l’on remonte à l’histoire de la colonisation, vous savez que pratiquement tous les pays d’Afrique furent divisés par la France en deux parties : la partie utile et la partie inutile. C’est l’exemple du Tchad, concrètement, de sa partie sud, qui, à l’époque de la colonisation, produisait du coton. On s’en occupait pas mal, délaissant la partie nord, désertique quant à elle. Pareil pour le Mali. En résulte un sentiment de mécontentement dans la partie septentrionale par rapport au sud. Donc, le retard du Nord-Mali a déjà des origines coloniales et la France y est pour quelque chose. Deuxièmement : vous savez que l’indépendance du Mali a été marquée par l’avènement au pouvoir de Modibo Keita qui était progressiste et socialiste, donc proche de l’URSS. La France avait demandé à l’époque d’installer une base militaire à Mopti, non loin de Bamako. Le président socialiste Modibo Keita avait refusé … donc, vous imaginez bien que la France n’était pas contente ! Elle avait elle-même fomenté le coup d’état militaire de Moussa Traoré qui était à l’époque lieutenant. L’historique est là. Par la suite, la France a maintenu son système colonial ou plutôt néocolonial en place par le biais du régime militaire de Moussa Traoré. Il se fait donc par ailleurs que la France contrôle toujours le Mali. Il ne faut donc pas qu’on nous dise que l’intervention française au Mali vise à garder l’intégrité du territoire. La France a vu les Touaregs quitter la Lybie après le renversement de Kadhafi et se diriger vers le Nord-Mali et elle n’a rien strictement rien fait ! (…) »

Le libéralisme socialiste engagé et lucide de M. Ley-Ngardigal m’évoque celui de Léopold Sédar Senghor, Président du Sénégal, grand intellectuel africain qui a tant fait pour son pays et pour l’Afrique dans son ensemble. Saura-t-il contribuer à ouvrir les yeux à nos va-t-en-guerre insatiables qui, par instinct de conservation, devrait réviser leurs stratégies d’action. ? Question fondamentale, presque lancinante, qui travaille plus d’un … 

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