23 novembre 2012 La gestion des sinistrés des inondations au Tchad : un mal récurrent de la mal gouvernance (par Enoch DJONDANG)
Ce n’est pas pour rien que Ahmad MAKAILA l’éditorialiste officiel de l’ONRTV a consacré son billet pamphlétaire sur le sujet deux lundis de suite, dans un style virulent qui rappelle ses attaches militantes de la société civile (Tchad Non Violence). Le mensuel rigoureux Tchad et Culture N° 310 s’est aussi passionné pour le sujet, ainsi que d’autres presses. Il y eut quelques communiqués lapidaires d’accusations provenant de bénéficiaires ou d’élus locaux, notamment au fameux 9e Arrondissement de N’Djamena, la circonscription des parias du système (anciens déguerpis, exode rural et familles démunies).
Il est de notoriété publique que les élites tchadiennes, dans leur avidité caractérisée et leur défaut de civisme patent, ont de tout temps, comme un mot d’ordre informel, profité de l’occasion des calamités naturelles pour chercher à s’enrichir sur le dos des victimes. Ainsi, les dons reçus de l’Etranger et les fonds débloqués par le Trésor public pour faire face à ces calamités, dont les inondations sont les plus ravageuses, attirent une nuée de bandits à col blanc, généralement à l’abri du besoin et bien placés dans les rouages. Des circuits de détournements et de partage de pactole dignes de charognards se mettent automatiquement en œuvre au vu et au su de tout le monde et au grand dam des sinistrés.
Ces derniers sont trop faibles politiquement pour se faire entendre et ne peuvent pas compter sur une opposition moribonde qui est souvent absente sur le terrain social, qu’elle a décrété domaine exclusif de la société civile. Entre la négociation des échéances électorales et des postes d’une part et le sort quotidien des citoyens de l’autre, l’opposition civile de l’ère démocratique a souvent choisi ses intérêts immédiats et exclusifs. Elle n’évoque le reste que pour arrondir les angles quand la situation est trop criarde pour être ignorée des acteurs publics.
Pour les inondations de cette année, on a vu des députés se déplacer en masse vers leurs circonscriptions électorales pour prendre part au partage des pactoles des 150 Millions CFA débloqués par le Gouvernement en faveur de chaque région affectée. Au lieu d’être les moralisateurs qui aident à une meilleure gestion de ces ressources publiques en direction des vrais destinataires, une fois les caméras de l’ONRTV rangées, ils s’ajoutent à la nuée de prédateurs locaux administratifs, traditionnels et militaires.
Cette mentalité rétrograde de prédateurs cycliques perdure un peu trop dans notre pays et risque un jour d’être un élément déclencheur de révoltes populaires non maîtrisables. La gestion des sinistrés au Tchad souffre de l’absence et/ou de la non sollicitation d’organismes publics ou d’utilité publique de sécurité civile. Dans un pays non aménagé territorialement depuis des décennies de guerre et d’anarchie domaniale, l’administration n’a pas les compétences requises pour gérer les calamités de manière efficiente. Leur caractère cyclique fait que ces calamités n’émeuvent plus l’opinion, comme il y avait quelques années. Au contraire, il y a une tension perceptible et beaucoup de murmures sur la manière faire et l’avidité incorrigible des élites dirigeantes quand elles surviennent. Le sentiment populaire est que ces prédateurs guettent les calamités comme une aubaine, une baraka pour se servir.
Il y a eu une seule exception dont nous voulons en témoigner à nouveau, pour l’Histoire. Lorsque survirent les inondations de 1998, nous étions au Gouvernement (Finances). Il existait à l’époque un cadre juridique appelé Comité d’Assistance aux Sinistré des Inondations (CONASI) présidé par le Ministère de l’Intérieur. La coïncidence voulut que, cette année là, nous nous retrouvions feu le Ministre Assana Dingamadji (de l’URD de Kamougué) et moi-même à co-présider ce comité.
Ayant rapidement mesuré les enjeux et ne voulant pas réitérer les mauvais exemples de nos prédécesseurs sur ce dossier sensible, j’avais rapidement pu convaincre d’abord ledit comité puis le Premier Ministre Nassour Guélendouksia qu’il fallait déléguer la gestion pratique de l’assistance aux sinistrés à un organisme compétent et neutre. Avec l’accord du Premier Ministre, nous avions signé un Protocole d’opération avec la Croix Rouge tchadienne qui s’était dite prête à assumer cette mission inédite.
Le Comité interministériel avait mis à la disposition de la Croix Rouge tchadienne plus d’une centaine de Millions CFA de fonds publics et toute l’aide en nature reçue (notamment de l’Algérie en vivres) et stockée dans les entrepôts de FDAR à Chagoua. Sur la base de critères globaux définis de commun accord, la Croix Rouge tchadienne était chargée de déterminer les zones et d’identifier physiquement les vraies victimes. Ensuite, de présenter au Comité les besoins pour le déblocage de l’aide correspondante et les interventions sur le terrain. Pour la transparence, nous avions invité les journalistes des médias publics et privés à participer à chacune des missions d’opération en direction des zones sinistrées pour vérifier de visu et témoigner. Ils étaient pris en charge pour leurs déplacements.
C’est ainsi que, pour la première fois, des zones souffrant d’exclusion Nord-sud entretenue ou d’autres motifs ont pu recevoir une assistance conséquente du Gouvernement durant un sinistre. Aucun membre du Comité interministériel n’avait reçu « une part » sur l’aide mobilisée, ni en nature ni en espèce. Nous avions résisté aux coups de fil des thuriféraires du système qui nous réclamaient « leurs parts » sans être des sinistrés, tout ceci sous ce même régime MPS. C’est pour dire que personne n’est obligé de cautionner ou de participer à la corruption et aux détournements. Même si les bons exemples rares sont souvent passés sous silence, ils ont existé par moment, en fonction des hommes en situation.
Au lieu de pérorer sur les dérives récurrentes de la gestion des sinistres au Tchad, il serait temps de faire comme les autres, revenir à des formules classiques et universelles avec une réelle volonté politique en appui et des hommes et des femmes publiques aspirant à la probité. Sinon, c’est connu, même les protestataires du système de la mal gouvernance, marqués par l’esprit de paupérisation et d’autres tares partagées de mentalités des élites tchadiennes, feront la même chose tellement la tentation du gain facile prend de l’ampleur dans notre société !
Dès à présent, soit qu’on revienne à la formule de 1998 en responsabilisant officiellement et définitivement un organisme compétent existant genre Croix Rouge du Tchad, soit en créant une vraie Sécurité Civile avec les emplois et les formations qu’elle va générer pour nos jeunes, pour gérer conséquemment nos sinistres cycliques, car les eaux seront au rendez-vous l’année prochaine… et les prédateurs au col blanc aussi.
Enoch DJONDANG