Au Tchad où les produits pharmaceutiques ne sont pas à la portée du consommateur moyen, les autorités viennent de décider la construction d’une unité locale de fabrication des médicaments de base et de doter les centres de santé d’énergie solaire pour mieux les conserver.

 

 

"La cherté des médicaments est un fait réel qu’expliquent plusieurs causes au Tchad. D’abord, nous n’avons pas d’industrie de fabrication locale des médicaments, tout ce que nous consommons est importé. Et qui dit importation, dit coût", confie Dr Masna Raksala à Xinhua, président de l’Ordre des pharmaciens au Tchad, en marge du forum pharmaceutique international tenu cette semaine à N’Djaména.

"Ensuite, pour que les médicaments soient un peu partout disponibles, il faudrait assez de professionnels. Ce qui n’est pas également le cas chez nous. Il y a vraiment insuffisance de personnel pharmaceutique, la plupart des gens manipulent les produits en l’absence des professionnels", ajoute Dr Masna Raksala.

Le Tchad compte 50 pharmaciens formés dont plus de la moitié sont installées dans la capitale. Avec une population estimée à près de 12 millions d’habitants, le ratio est d’un pharmacien pour 240.000 habitants, alors que la norme internationale voudrait qu’il y ait un pharmacien pour 20.000 habitants.

Face à ce vide, de nombreux individus, sans aucune formation en pharmacie ou en médecine générale, se sont mis à ouvrir des " pharmacies par terre" dans les marchés ou au bord des rues. Dans leurs échoppes, ces "Dr Choukou" ou "Dr Djim" (comme on les appelle couramment ici) proposent au consommateur malade des produits pharmaceutiques de toutes sortes, avec ou sans ordonnance médicale.

Fin 2011, les autorités nationales ont saisi et incinéré plusieurs tonnes des produits vendus dans ces pharmacies informelles. Elles ont même interdit leurs activités. Mais à peine les ministres de la Sécurité et la Santé publique ont-ils tourné leurs talons, les Dr Choukou et Djim ont repris du service, et de plus belle.

Aujourd’hui, les "pharmacies par terre" font une concurrence très rude aux officines formelles, au pont d’irriter Dr Masna Raksala.

"La population a le plus souvent recours à ces Dr Choukou ou Djim, tout simplement parce qu’elle pense que leurs médicaments sont moins chers. Mais les médicaments vendus dans la rue sont d’ une origine douteuse, contrefaits et ne respectent aucune norme de conservation. Recourir à de tels médicaments constitue un risque certain.

Par contre, les médicaments vendus dans les pharmacies ont une origine bien connue avec leur autorisation de mise sur le marché", affirme le président de l’Ordre des pharmaciens du Tchad.

"C’est un mauvais procès", répond Adoum Mbodou, Dr Choukou dans le plus important marché de médicaments illicites de N’Djaména.

"Nos produits ne sont pas contrefaits. Ceux qui ravitaillent les hôpitaux, c’est les mêmes qui sont aussi nos fournisseurs. Que ces gens (pharmaciens formels) arrêtent de nous taper dessus. C’est du commerce et s’ils sont perdants, qu’ils l’assument", dit- il, devant sa boutique bien fourni et qui n’a rien à envier à une pharmacie normale.

Dans le lot des médicaments saisis et détruits l’année dernière par les autorités, il y avait beaucoup de produits provenant de la Centrale pharmaceutique d’achats (CPA), l’organe public chargé d’approvisionner les hôpitaux et centres de santé en médicaments et produits de base. Il y a encore beaucoup de cartons médicaux estampillés "CPA" dans les "pharmacies par terre".

A l’instar du consommateur moyen, beaucoup de gestionnaires de pharmacies des centres de santé, viennent se procurer certains produits chez les Dr Choukou. "Entre les pharmacies formelles et la pharmacies par terre, il n’y a pas de différence. Les Dr Choukou sont sous les arbres et à la pharmacie les produits sont dans les rayons, c’est tout", Mme Djimadoum Odile, infirmière dans un centre de santé au sud de N’Djaména.

En plus de l’accessibilité des produits pharmaceutiques, il y a un problème sérieux de conservation.

"Dans une pharmacie, il faut en principe avoir un frigidaire pour conserver les vaccins, les sérums et les suppositoires parce que ce sont des produits qui ne supportent pas la chaleur", explique Abdoulaye Moustapha, responsable d’une pharmacie dans la capitale.

"Pour une pharmacie qui se respecte, chaque fin du mois, il faut vérifier les dates de péremption des produits et dégager ceux qui sont périmés", ajoute-t-il.

Mises à part quelques-unes que l’on peut compter sur les doigts de la main, les officines peinent à bien conserver leurs produits. Face à des délestages intempestifs, elles sont obligées de recourir à un groupe électrogène pour produire du courant. Mais faire tourner un générateur électrique 24h/24 n’est pas du tout aisé.

Dans beaucoup de pharmacies, l’on a trouvé une parade. "Nous laissons les produits injectables et autres qui ne supportent pas la chaleur, chez les grossistes. C’est quand un client en demande que nous courons le chercher. Sinon nous utilisons aussi des glaciaires par moment", M. Abdoulaye Moustapha.

Selon le président de l’Ordre des pharmaciens du Tchad, la solution au problème est d’avoir une usine de fabrication des médicaments au Tchad. Car si les gens continueront à importer les médicaments, leurs coûts resteront toujours plus chers. A contrario, si on arrive déjà à produire les génériques localement, le problème de coût sera un peu réduit.

"Avant la fin de cette année, je vais poser la première pierre pour la construction d’une usine de fabrication de médicaments de base au Tchad", a promis le président Idriss Déby Itno en ouvrant les travaux du XIIIème forum pharmaceutique international qui s’ est achevé jeudi dans la capitale tchadienne.

A cet effet, il a sollicité l’adhésion des chefs d’Etats de la sous-région afin de disposer d’une unité industrielle économiquement rentable pour la population tout en proposant la diversification et la spécialisation des produits par État afin d’éviter la fabrication d’un même médicament dans plusieurs pays.

Une filière "Pharmacie" sera également instituée à la Faculté de Médecine de l’Université de N’Djaména, la plus importante du pays. Enfin, le chef de l’Etat tchadien a annoncé le recours à l’énergie solaire pour l’alimentation des centres de santé, ce qui permettra de mieux conserver les vaccins et autres produits pharmaceutiques.

"Sans accessibilité au médicament, les meilleurs services de santé restent sans conclusion probante, sans résultats dans la plupart des cas puisque c’est le dernier noeud, le maillon terminal de la chaine des prestations des soins", conclut Nahor Mahmoud Ngawara, ministre tchadien de la Santé publique.

Par Geoffroy Touroumbaye (Xinhua) 

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