Dans une de nos réponses à un compatriote sur les dysfonctionnements de l’ambassade du Tchad en Suisse qui reste d’actualité, j’avais mis en évidence le fait que « accepter de voir les choses de la même manière que moi, sinon ne dites rien ou dégager » constitue une attitude de fermeture d’esprit préjudiciable au débat créatif et constructif dont a besoin notre pays. L’exercice professionnel ou servir efficacement son pays exige des critères objectifs de compétence, d’excellence, de professionnalisme et de moralité au-delà de colorations politiques, ethniques, régionalistes, confessionnelles etc. Chacun à son niveau, en tant que citoyen, peut apporter sa contribution dans la construction nationale quelque soit son niveau de savoir et de savoir-faire.

 


Ce qui importe, c’est le caractère constructif, pertinent et cohérent de cette contribution. Il ne s’agit pas d’une compétition des niveaux de connaissances dans laquelle on jouerait à qui a plus de connaissances que les autres dans tel ou tel autre domaine. Ce qui serait absurde et insensé étant donné que nul n’a le monopole de la connaissance et que personne ne peut prétendre épuiser un domaine quelconque du savoir.

 


De ce point de vue, je vous invite à lire ci-après la perception de l’Islam sur la divergence d’opinion. Perception développée dans un prêche magistral de Cheikh Sofiane à la Mosquée du consulat de l’Arabie Saoudite à Genève ce vendredi.

Avec mes salutations fraternelles.

Talha Mahamat Allim

 

Direct du Min’bar – Vendredi 12 Rabî’al akhar 1434 – 22 Février 2013 –

La diversité – une œuvre divine, une élégance au service de la morale humaine.

 


Si l’éthique du désaccord (Al Ikhtilàf) est une sagesse explicite parmi les œuvres d’Allah (V.118, S.11), c’est Son Choix de lui conférer mille facettes – et à travers les divers centres de décision humaine aussi bien au niveau individuel (cœur, esprit, âme) que collectif (société, assemblées, Nations, conclave). Allah nous avertit que
même s’Il avait créé une seule Nation pour tous les humains, ils ne cesseront de démontrer leur différence, et ces différences continuent donc de déterminer notre présent et notre futur. Le désaccord (Ikhtilàf) signifie la divergence d’opinion, la différence de vue. Le terme sous sa forme verbale, revient à maintes reprises dans les Qur’àn (V.19/37 ;V113.S.2).

 


Mais si donc la différence d’opinion, de culture, d’interprétation, de perception, etc. est une valeur intrinsèque humaine, une inspiration divine, comment user de cette différence dans notre quotidien ? Comment le Prophète Muhammad 
(Qu’Allah l’élève davantage en grade et préserve sa communauté de ce que le messager craint pour elle) a enseigné la différence, comment les compagnons l’ont vécu, illustrés ? Comment d’autres l’ont perçue et comment la cultiver dans l’élégance intellectuelle, la morale humaine avec équité (Insaf) ou encore vers le juste milieu. 

 


L’Imam a d’abord rappelé que le Prophète a vécu ces arbitrages qu’appellent la différence de perception et ce à de multiples occasions  – lors de la bataille de Uhud où les compagnons se sont divisés en deux arguments – un en faveur de sortir de la ville et l’autre pour ne pas sortir. Jusqu’à la mort du Prophète où les compagnons et les dignitaires ont divergé profondément sur (i) comment l’enterrer, (ii) où et quand le faire, (iii) qui pour prendre la tête de la communauté, etc.



Mais si Allah a institué la divergence ou la différence de perception, il a aussi indiqué en 2 étapes comment s’y prendre pour aboutir à un arbitrage juste. Si dans l’exercice de suivre Allah, son Prophète et vos guides, vous divergez sur quelque chose, (1)  retournez le à l’aune d’Allah et de son Prophète (V.59, S.4), soit le Qur’ân et la Sunna-  les deux révélations infaillibles et complètes. (2) Je Jure par Ton Seigneur qu’ils ne peuvent prétendre être des croyants tant qu’ils ne cherchent pas en toi l’arbitrage de ce qui les divise et qu’une fois tranché par toi, qu’ils ne trichent point au fond de leur cœur à chercher le moindre recours, mais plutôt qu’ils en disposent ainsi (V.65, S4). 

 


Il est pourtant fréquent dira l’Imam de voir des croyants s’arcbouter à un argument qui n’est défendu ni par le Qur’ân ni par la Sunna, et qui donc n’obéissent qu’à leur passion. La divergence n’est donc pas condamnable, puis que Allah évoque sa possibilité et indique comment s’y prendre lorsque cela arrive, mais justement l’élégance du comment s’y prendre réside dans la manière de traiter cette divergence et la suite à en donner. Et voici 4 règles que l’Imam a partagé dans ce sens.

 


1.      L’appréhension positive de l’argument opposé et de ses tenants avec élégance

 


Il ne s’agit nullement de penser du mal des autres simplement par ce qu’ils perçoivent  différemment. Et l’exemple vient de Sayyidatuna ‘Aicha qui rectifia Ibn Umar suite à une confusion fondée sur un avis du Prophète à propos de pleurer les morts. Dans son argument, elle a d’abord invoqué Allah en faveur de Ibn Umar (Allah pardonne à celui qui a soit oublié soit commis une erreur de bonne foi), ensuite elle lui adresse par la meilleure des possibles – en usant de son ascendance (Aby Abdir-Rahmàn) et non de sa descendance, ce qui est une pure marque de rang et de noblesse dans la culture Arabe, et enfin, elle la disculpe de toute mauvaise intention en affirmant qu’il a soit oublié ou commis une erreur, dans les 2 cas de bonne foi. Or, Allah a pardonné ces deux à la communauté du Prophète, puisque c’est de bonne foi (pureté de l’intention). Il est donc important dans la confrontation des arguments de ne pas indexer l’autre camp simplement parce qu’ils ont un argument opposé. Les meilleurs parlements au monde sont ceux où la confrontation repose sur la bonne foi, l’appréhension positive, et le respect mutuel des positions, même passionnément divergentes.

 


2.      La démarcation de la passion

 


Il est de nature quasi humaine dans les confrontations d’idées lorsque les arguments s’opposent que la passion guide certaines positions, qui restent donc aveugles à la Vérité. L’Imam de rappeler que la Vérité doit être le Guide et non la subjectivité de notre position. Allah d’ailleurs rappelle au prophète Dawûd en guise d’avertissement valable pour tous les humains de ne pas se laisser guider par sa passion dans le jugement qui lui incombe en tant que Vicaire de Dieu (V.26, S.38), car précise Allah, se laisser guider par sa passion éconduit du chemin d’Allah (la Vérité).



Et Allah insiste sur cet avertissement en appelant à l’étonnement au sujet de celui qui a élu sa passion comme son Dieu (V.23, S.45) et qui au lieu de trouver guide et lumière dans la connaissance, y trouve plutôt égarement et perdition, comme c’est arrivé à tant de personnes (Namrûz, Qàrûn, Pharaon, Abraha, Walîd, Hitler).  Ibn Qayyim mit en garde ceux qui ne se laissent guider que par leur passion, car ils sont désorbités de la Vérité, discrédités de tout jugement et non éligibles à la connaissance.

 


3.      La reconnaissance à chacun de son Droit légitime

 


Reconnaître à chacun son droit, même si l’autre est en position de faiblesse ! Le Qur’ân d’ailleurs donne l’exemple (V.75, S.3) au sujet d’une communauté reconnue pour leur animosité envers les musulmans dans le contexte de  Médine, mais Allah leur reconnaît leur attachement à l’équité et au respect du droit de l’autre. Cet argument du Qur’ân dira l’Imam est plus qu’une simple mention d’un fait ou d’un geste. Il s’agit d’une invite à la noblesse de caractère – en ce sens qu’il faut plutôt mentionner la valeur de l’autre et ses succès plutôt que ses défauts et ses échecs. Le Prophète priait Allah de le préserver contre le faux-ami qui lorsqu’il voit du bien le cache et s’empresse de divulguer le mal qu’il connaît des autres. Et c’est Seyyiduna ‘Aliyy qui donne l’exemple à ce sujet sur les Khawàrijs, connus pour leur fierté excessive, mais aussi pour d’autres qualités de croyant.

 


Lorsqu’il fut interrogé – la question vint en lui sous cette forme : Sont-ils des incrédules ? Seyyiduna ‘Aliyy de répondre- ils sont indemnes de l’incrédulité, Sont-ils des hypocrites donc (Munàfiqs) ?  Il répondit- les hypocrites n’évoquent le nom d’Allah que très peu (V.142, S.4 – alors que les Khawarijs le font abondamment comme appelé par Allah (V.41, S.43)). On lui posa la question comment les qualifier donc ? Il dit- ce sont nos frères qui se sont rebellées contre nous ! Et voilà l’élégance dans la confrontation, soit ne jamais indexer l’autre, La leçon de Seyyiduna ‘Aliyy réside dans la nécessité de distinguer la source du problème – d’ordre intellectuel, spirituel, confessionnel, social, ou autre. Il reconnut que les Khawarijs divergent de par leur raisonnement, mais leur reconnait leur qualité de serviteurs d’Allah – à parfaire un appel solennel d’Allah (Zikr répétitif).

 


4.      Le culte de la pureté du cœur et de l’amour en Allah

 


Un des objectifs primordiaux de l’Islam dira l’Imam est de sceller les cœurs dans la fraternité de la Foi (début du V.103, S.3). Allah rappelle d’ailleurs aux croyants, en particulier les Médinois leur passé de haine, d’animosité et de querelle de tout genre. Il les a sauvés de ce précipice profond et irréversible par une force incroyable du cœur – la fraternité dans la Foi (2ème partie du verset précité). Et donc Allah les invite à méditer ce saut de paradigme et à en tirer les leçons qui s’imposent. Il s’agit dans la confrontation entre les tribus d’une même contrée, entre les communautés d’une même nation, entre les nations de ce même village planétaire (ONU) de mettre au-devant la pureté du cœur et l’attachement à la fraternité de la Foi et à l’Amour. Car rappela l’Imam la plus grande bénédiction en faveur des croyants au-delà de la Foi et de l’Islam, c’est la fraternité qui escalade justement toutes ces différences dont on parle et qui établit un seul dénominateur commun – Dieu. D’ailleurs ceux-là qui s’aiment en Dieu sont assurés d’échapper aux tourments du jour du jugement dernier !

 


Et dans ce dernier cas, nombreux sont les exemples venant du Prophète (à l’endroit des autres religions révélées trouvées à Médine), de ses compagnons lors du retour triomphal de Fath Makkah, des Savants Avant-gardistes de la Religion comme Imam Ahmad, qui même s’il divergeait avec Imam Chàfi’y reconnaissait en lui le Grand Guide et ils se rendaient visite mutuellement tous les 2, au point que l’Imam Chàfi’y composa des vers pour dire qu’il s’agisse de sa visite vers Imam Ahmad ou sa réception de la visite de l’Imam Ahmad, tous deux  démontrent la grandeur de l’Imam Ahmad. Il a donc retourné tout vers son collègue dont pourtant les confrontations à travers les cas étaient souvent violentes. De même Abdur-Rahmàn Ibn Mahdiy qui est le Cheikh de Imam Bukhary – et qui mettait en garde contre le rejet de la vérité sous prétexte que l’autre appartient à une autre confrérie, ou une autre école de pensée.

 


Ces Savants savaient distinguer ce qui méritait respect de ce qui n’était pas juste à retenir, comme d’ailleurs témoigna l’Imam Az-Zaheuby, en disant d’un savant reconnu comme dévié mais qui proféra un jugement de vérité sur un cas particulier – que son innovation lui appartient, mais sa vérité est universelle.

           


Cultivons l’élégance dans la diversité, le cœur du croyant ne peut loger autre que de la pureté et de l’amour  envers les autres, même ceux qui sont d’un camp opposé ou différent (V.99, S.10)!

 

HTG/Talha

 
 
 
 

 

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