Idriss Déby Itno et Mahamadou Issoufou ont beau n’avoir que peu de chose en commun, tant dans leurs itinéraires respectifs que dans leurs styles de gouvernance et leurs personnalités propres, ce qui les unit en cette mi-2013 est plus fort que ce qui les sépare. Tous deux sont intervenus au Mali aux côtés de la France, tous deux sont devenus depuis la cible des jihadistes d’Aqmi, tous deux considèrent la Libye postrévolutionnaire comme la source de leurs maux et tous deux rappellent à l’envi, sur le mode du « je vous avais prévenu », les avertissements qu’ils avaient lancés à l’époque quant aux conséquences néfastes pour la région de la chute de Mouammar Kaddafi. Rendons au président tchadien ce qui lui appartient : il a été le premier, dès mars 2011, à formuler de telles mises en garde dans une interview à J.A., rejoint deux mois plus tard par son homologue nigérien lors du sommet du G8 à Deauville. Bon communicant, Mahamadou Issoufou est parvenu à faire oublier qu’il était allé plus loin encore que son voisin dans la défense d’un dictateur dont il souhaitait le maintien en Libye et dont il héberge aujourd’hui encore une poignée de proches.

Entre Aqmi et Boko Haram, N’Djamena retient son souffle.

Depuis, l’un et l’autre éprouvent à l’égard du nouveau pouvoir libyen une défiance qui ne se dément pas. Ainsi Idriss Déby Itno, qui se demandait lors d’un entretien avec J.A., en juillet 2012, si « l’autorité centrale libyenne exist[ait] vraiment », n’a toujours pas mis les pieds à Tripoli depuis la révolution. Début mai, N’Djamena et Niamey ont dénoncé au même moment la présence supposée de groupes terroristes dans le « sud incontrôlé » de la Libye, suscitant de la part de cette dernière une réplique immédiate. Si l’on en croit le Premier ministre Ali Zeidan, le Niger serait devenu un havre pour kaddafistes revanchards et le Tchad manipulerait les Toubous libyens du Fezzan dans leur lutte fratricide contre les tribus Ould Souleymane et Guedadfa. Reste que le même Ali Zeidan n’est pas crédible quand il soutient contre toute évidence que le Sud est « sous contrôle » (de qui, puisque les seules forces présentes sur place sont les katibas de miliciens venues de Zeitan et qui ne dépendent que d’elles-mêmes ?), pas plus qu’il ne l’a été quand il a démenti avec vigueur que les terroristes d’In Amenas en Algérie provenaient de Libye.


Si le Niger a subi de plein fouet la vengeance d’Aqmi depuis sa nouvelle matrice libyenne, il est donc tout à fait probable que le Tchad figure en tête de liste des objectifs jihadistes. Depuis l’incursion en 2004, entre Kanem et Tibesti, d’une colonne de ce qui s’appelait alors le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, l’armée tchadienne n’a eu à intercepter que des convois de trafiquants à travers le Sahara. Mais désormais, tout a changé. Le contingent tchadien a joué un rôle crucial dans la libération du Nord-Mali, notamment lors de la sanglante bataille de la vallée d’Amettetaï en février, et plus encore qu’Issoufou, Déby Itno est aujourd’hui l’homme à abattre sur les réseaux sociaux de l’internet « qaïdiste ». Entre deux foyers infectieux, celui d’Aqmi dans le Nord et celui de Boko Haram dans le Sud, N’Djamena retient son souffle.

Jeune Afrique.com

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