En discussion depuis trois ans, le revirement français sur le Sahara occidental a été porté personnellement par les chefs de l’État Mohammed VI et Emmanuel Macron. Le rôle de la diplomatie française et, côté marocain, celui du conseiller du roi, Taïeb Fassi-Fihri, ont été déterminants dans les négociations.
Après trois années de négociations, la reconnaissance par la France du plan marocain comme solution la plus viable pour l’avenir du Sahara occidental ne devait pas être annoncée en pleins Jeux olympiques de Paris 2024. L’annonce était initialement prévue début juillet lors d’une rencontre de haut niveau censée sceller les retrouvailles diplomatiques entre Paris et Rabat. La dissolution de l’Assemblée nationale en France et les élections législatives anticipées ont toutefois perturbé les agendas ministériels.
Paris a finalement profité du 25e anniversaire de l’accès au trône du roi Mohammed VI, le 30 juillet, pour faire part de son alignement avec la proposition marocaine, à travers une lettre du chef de l’État français Emmanuel Macron adressée au souverain du royaume chérifien. Si d’habitude le roi ne manque pas d’aborder le sujet de l’intégrité territoriale lors de ses interventions, celle du lundi 29 juillet a fait exception. La primeur de l’annonce a ainsi été laissée à l’Élysée.
Chasse gardée du cabinet royal, le dossier français a été suivi de près par le conseiller de longue date aux affaires étrangères de Mohammed VI, Taïeb Fassi-Fihri. Au sein du gouvernement marocain, personne, pas même le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, n’est directement intervenu sur le sujet. Seul Nasser Bourita a pris part aux négociations en sa qualité de ministre des affaires étrangères, travaillant directement sous l’égide du cabinet royal.

Un désamorçage des tensions bilatérales.

Côté français, l’accélération du dégel entre Paris et Rabat est le fait, en premier lieu, du diplomate français Christophe Lecourtier, nommé en décembre 2022 à l’ambassade de France au Maroc. L’ancien directeur général de Business France est en relation directe avec le chef de l’État Emmanuel Macron. Ses déclarations sur le Sahara occidental s’éloignaient de la ligne officielle de son pays. En février 2024, il avait notamment appelé publiquement de ses vœux à une clarification de la position française sur la question.
Proche de la droite française, il a œuvré dans l’Hexagone pendant plusieurs années aux côtés de deux fervents défenseurs de la marocanité du Sahara : l’ancien chef de l’État français Nicolas Sarkozy (2007-2012) et l’actuelle ministre de la culture, Rachida Dati. L’ancien président français s’est même fait accompagner par l’ambassadeur au cours de trois déplacements dans le royaume depuis décembre 2023, tandis que Rachida Dati s’est rendue à la fête du Trône organisée par Christophe Lecourtier à Rabat pour célébrer l’annonce.
Un autre acteur politique français, Jean-Louis Borloo, a quant à lui beaucoup insisté auprès d’Emmanuel Macron pour aligner la position française sur celle de Washington, Madrid et Berlin. L’ancien ministre d’État sous Nicolas Sarkozy a ses habitudes à Marrakech et est bien introduit dans les sphères d’affaires marocaines.
Bien que mis à l’écart par les officiels marocains peu après sa nomination (AI du 21/03/23), Christophe Lecourtier, en tant qu’émissaire français à Rabat, est parvenu à tisser un réseau de relations stratégiques jusqu’au plus haut niveau de l’État marocain, désamorçant progressivement les tensions bilatérales.
Chassés-croisés ministériels.
La présence du chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné, et du ministre de l’intérieur français, Gérald Darmanin, à la réception organisée mardi 30 juillet par l’ambassadrice du Maroc à Paris, Samira Sitaïl, à l’occasion de la fête du Trône, peut être interprétée comme le signe d’un virage radical dans les relations bilatérales. L’an dernier, seul le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, avait fait le déplacement, dépêché par Paris alors qu’il était en congé. Le coup de froid sur les relations bilatérales a duré trois ans.
Ce récent changement de cap, orchestré par Emmanuel Macron, n’a néanmoins rien d’inattendu. Déjà amorcé à l’été 2023 et se nourrissant des échanges téléphoniques entre le chef de l’État français et Mohammed VI (AI du 29/11/23), le dégel s’est opéré ces derniers mois à la faveur de visites princières et de chassés-croisés ministériels (AI du 23/02/24) entre la France et le Maroc.
En dépit de la position officielle de l’Élysée, la présence française au Sahara occidental s’est déjà développée au cours des dernières années. Malgré la désapprobation de l’ambassadrice d’alors, Hélène Le Gal, l’ancien président de la Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc (CFCIM), Philippe-Edern Klein, avait poussé pour l’ouverture de deux antennes de son institution sur place. D’abord à Laâyoune, en 2017, puis à Dakhla, en 2019.
La France dispose dans ces deux villes d’écoles françaises gérées par la Mission laïque française (MLF), inaugurées en 2011. Le parti présidentiel La République en marche (LREM, désormais Renaissance) avait par ailleurs émis la volonté d’ouvrir une antenne à Dakhla en avril 2021. Mais l’initiative avait été aussitôt désapprouvée par l’ancien secrétaire d’État français aux affaires européennes, Clément Beaune.

Des éléments de langage prudents.

Pour le secteur privé, le leader tricolore de l’énergie Engie œuvre au Sahara occidental depuis plusieurs années aux côtés de la société royale Nareva, avec laquelle il a créé la joint-venture Dakhla Water & Energy Co (Dawec), spécialisée dans le dessalement de l’eau de mer. La position ambiguë de Paris sur le dossier du Sahara occidental avait néanmoins réduit les chances de succès de nombreuses entreprises françaises s’étant montrées intéressées par des projets phares dans la région, à l’instar du spécialiste du BTP Eiffage, écarté de la construction du port de Dakhla (AI eu 30/04/21).
Consciente que cette décision allait froisser l’Algérie, qui a d’ores et déjà ordonné le retrait de son ambassadeur à Paris, la France a veillé à garder des éléments de langage prudents. Si elle continue à parler de « Sahara occidental » et non de « Sahara marocain » comme le souhaiterait le royaume, Paris considère toutefois que le plan proposé par Rabat est la seule solution crédible aujourd’hui sur la table pour développer la région. La diplomatie française estime en outre que cette décision s’inscrit dans le sillage d’un consensus global de plus en plus large sur la question, notamment en Afrique.
Jugeant cette position en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, la France plaide parallèlement pour une relance du processus de table ronde incluant toutes les parties prenantes du conflit, sous l’égide de l’envoyé spécial de l’ONU, l’Italien Staffan de Mistura. Alors que son passage en Afrique du Sud en février avait fortement irrité le Maroc – Pretoria étant un soutien du mouvement indépendantiste du Sahara occidental –, celui-ci dispose toujours de l’appui de Paris. La diplomatie française affirme d’ailleurs se tenir à l’écart du Front Polisario, avec qui aucun contact n’aurait été établi.

Tchadanthropus-tribune avec Africa Intelligence

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