Après avoir présenté la politique de défense du Niger, le rapport des FDS à la démocratie, dans ce nouveau billet, Laurent Touchard évoque la coopération sécuritaire entre le Niger et la France. * Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis.

Depuis plus d’une dizaine d’années, le péril du terrobanditisme s’amplifie au Sahel et, plus généralement, en de nombreux points du continent africain. Les autorités nigériennes, qui mènent une judicieuse politique de sécurité, dans la logique de la philosophie de l’approche globale, ont conscience qu’elles ne peuvent juguler seules les dangers inhérents à ce phénomène. En conséquence de quoi, elles ont opté pour une coopération appuyée aussi bien avec les pays voisins qu’avec des États plus lointains. Choix courageux sachant que la présence sécuritaire de ces derniers, "ex-colonialistes" ou "impérialistes" suscite souvent des suspicions, voire des critiques virulentes. Cette coopération porte sur le renseignement (dont nous parlerons dans un prochain billet), sur la défense, sur tous les aspects qui consolident la paix dans le pays et contribuent aux efforts de stabilisation dans la région.

Facteur déclencheur

Si les relations diplomatiques sont parfois tendues, la France reste un partenaire privilégié pour le Niger. Le propos de ses lignes n’étant pas de résumer l’histoire des relations militaires entre les deux États, choisissons de ne remonter que cinq ans en arrière. En novembre 2009, l’Armée de l’Air française dépêche quelques hommes dans le pays. Leur mission consiste à déterminer ce que vaut l’aviation nigérienne. De là sera établi comment améliorer ses capacités avec la mise en place d’un programme d’instruction en 2010.

Année 2010 qui est meurtrie par une recrudescence du terrorisme au Niger, conduisant à un déploiement d’un nombre croissant de militaires français. Ainsi, le 16  septembre de cette même année, l’enlèvement de sept employés d’Areva à Arlit constitue le facteur déclencheur. Quelques heures plus tard, quatre-vingts militaires français, deux Atlantique 2 destinés à des missions ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance) et un Falcon sont à pied d’œuvre à Niamey. Mais ce dispositif n’a pas vocation à rester.

Le Niger à défaut du Sahel

L’ampleur que prend le terrobanditisme au Niger préoccupe Paris plus que jamais

Ni le chef de la junte, Salou Djibo, ni le Président français Nicolas Sarkozy, ne souhaitent la création d’une base permanente. D’autant que cette présence temporaire est rapidement mal perçue par des hauts responsables des Forces de défense et de sécurité (FDS). Cependant, des élections libres et surtout, la situation régionale qui se dégrade, conduisent à son acceptation. En ce qui concerne la France, l’établissement d’une base dans la région se révèle indispensable. L’ampleur que prend le terrobanditisme au Niger préoccupe Paris plus que jamais : l’uranium extrait d’Arlit est d’une importance stratégique pour Paris. De cette éventuelle base, l’aviation pourrait mener des missions ISR, les forces spéciales pourraient intervenir contre les fauteurs de troubles…

Or, l’option du Mali considérée dans un premier temps est finalement caduque. En effet, le Mali refuse d’accueillir les Français (et les Américains). Son Président, Amadou Toumani Touré mise sur la "non-provocation" à l’égard des terrobandits en échange de l’illusion d’une certaine stabilité. Le Niger se révèle donc être une solution alternative intéressante. Géographiquement, le pays est situé au cœur du Sahel. Politiquement, les autorités de transition puis le nouveau chef d’État, Mahamadou Issoufou, apparaissent déterminés à prendre à bras le corps les problèmes sécuritaires. Il sait que sans aide étrangère, cette détermination est quasiment aveugle (manque de moyens de renseignement technique) et maigrichonne (FDS trop peu puissantes).

En conséquence de quoi, en 2011, des éléments du Commandement des opérations spéciales apportent un soutien discret à l’opération Malibéro. Menée par les FDS, Malibéro a pour objectif de contrôler au mieux la frontière libyenne. Il s’agit de désarmer les ex-mercenaires du "guide" qui rentrent dans leur pays, de saisir les armes pillées dans les dépôts du dictateur et qui circulent désormais en nombre dans la région. La crise qui survient au Nord-Mali début 2012, le succès des rebelles touaregs, puis des terrobandits d’Aqmi, du Mujao et d’Ansar Eddine, le risque de contagion de l’instabilité à tous les pays voisins, relancent la nécessité d’une base permanente. Suite à la prise d’otages massive d’In Amenas en Algérie le 16 janvier 2013, Paris décide d’acheminer des forces spéciales pour renforcer les FDS qui protègent déjà Arlit et la future mine d’Imouraren. Une soixantaine d’hommes du COS s’installent ainsi à Aguelal, non loin d’Arlit, en février 2013.

En appui de l’opération Serval

Dans le même temps est lancée l’opération Serval contre les jihadistes et islamistes qui tiennent le nord du Mali. La traque bat son plein et le besoin en renseignements tactiques est grand, tant pour la France que pour ses alliés africains au Mali, dont le Niger. Dès lors, des éléments de l’Escadron de drones 1/33, avec des Harfang sont acheminés sur la Base Aérienne 101 (BA 101) de Niamey. De là a lieu la première mission de reconnaissance d’un Harfang, le 17 janvier 2013. La centième survient cinq mois plus tard, dans la nuit du 5 au 6 juin 2013. Les Harfang ont alors plus de 1 600 heures de vol au compteur. Ils rendent de précieux services, collectant du renseignement lors des missions ISR, mais aussi ISTAR (Intelligence, Surveillance Target Acquisition and Reconnaissance). Dans ce cadre, sitôt les objectifs repérés (par exemple, une colonne de pick-ups jihadistes), ils désignent l’objectif au profit de chasseurs-bombardiers de l’Armée de l’Air ou de l’Aéronavale. Ceux-ci n’ont plus qu’à larguer leurs bombes guidées.

Par ailleurs, un détachement d’Atlantique 2 est déployé à Niamey, après avoir opéré depuis Dakar, au Sénégal. Dix équipages sont disponibles pour six avions, ce qui permet de mener, à tout moment, de nombreuses missions simultanées tout en ayant des équipages reposés. De janvier 2013 à janvier 2014, les équipages des Flottilles 21F et 23F effectuent eux aussi 1 600 heures de vol. En janvier 2014, ledit détachement est réduit. Il ne se compose alors plus que d’un appareil et d’un équipage. À noter que les Atlantique 2 peuvent aussi emporter un armement air-sol et ainsi, effectuer des frappes de précision à distance.

Enfin, des conseillers militaires français forment ou perfectionnent les FDS dans des domaines où existent des lacunes, comme face aux mines et aux engins explosifs improvisés (EEI). Par exemple, le Détachement d’Assistance Opérationnelle (DAO) normalement installé au Sénégal envoie un groupe d’instructeurs (un détachement d’instruction opérationnelle – DIO) du génie de la Légion, à Niamey, du 26 août au 5 septembre 2013. Ces actions contribuent à améliorer le niveau des hommes des Forces armées nigériennes (FAN) qui suivent les cours tout en permettant de cultiver de bons rapports entre professionnels. Actions qui ont donc également une valeur "diplomatique" non négligeable.

Reaper et Mirage 2000D au Niger

Le 1er janvier 2014, les premiers drones MQ-9 Block 1 Reaper MALE (Moyenne altitude et longue endurance) obtenus auprès des États-Unis rejoignent ceux des Américains sur la Base BA 101 (voir dans un prochain billet). À terme, les Reaper commandés permettront de remplacer les Harfang (dont quelques-uns ont déjà été cédés au Maroc) qui accumulent plus de 3 000 heures de vol au-dessus du Mali/Niger au 12 février 2014. D’un coût unitaire d’environ 16 millions de dollars, ces UAV augmentent sensiblement la capacité ISR/ISTAR française au-dessus du Sahel. Alors que la distance franchissable du Harfang est d’environ 1 000 kilomètres, celle du Reaper est quasiment le double, avec plus de 1 800 kilomètres !

Laurent Fabius, salue "l’engagement fort" du Niger pour la stabilité au Sahel.

Outre la collecte de renseignement et la reconnaissance, l’arrivée de Mirage 2000D est prévue sur cette même BA 101, tandis qu’un Atlantique 2 y sera fréquemment déployé. Plus proche du Mali et du Niger que les appareils basés au Tchad, ils peuvent intervenir plus vite mais aussi plus longtemps (la distance Tchad Niger/Mali consomme du carburant…). Les infrastructures de la base aérienne sont d’ailleurs en cours d’amélioration, avec notamment la construction d’un dépôt de munitions… La montée en puissance de l’aviation française au Niger est, évidemment, synonyme de personnels plus nombreux. Début 2014, ils s’élèvent à environ 300 hommes.

Au même moment, Français et Nigériens effectuent des patrouilles conjointes à l’ouest du pays, dans la zone frontalière avec le Mali tandis que Français, Nigériens et Tchadiens opèrent, cette fois-ci à l’est, dans la zone frontalière avec le Tchad. Surveillance qui n’est pas sans rappeler celle qu’exerçaient déjà Nigériens et Tchadiens, appuyés par les Américains dans le cadre de l’Operation Enduring Freddom – Trans Sahara (OEF-TS), dans le courant des années 2000. Activités qui témoignent, une fois encore, du formidable travail qu’accomplit Niamey en matière de sécurité, y compris avec des partenaires étrangers. Le 4 février, le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, salue "l’engagement fort" du Niger pour la stabilité au Sahel.

À la mi-janvier, le ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian confirme toute l’importance du pays dans le dispositif français. En visite sur la BA 101 à l’occasion de la mise en service opérationnelle du Reaper, il déclare : "Ici, nous nous implantons désormais dans la durée". A l’heure où certains chefs nigériens grognent au sujet de cette présence étrangère (française et américaine), le propos est maladroit. Mais au moins a-t-il le mérite d’annoncer la couleur. Et en dépit d’esprits chagrins, cette coopération franco-nigérienne est appréciée des dirigeants et de nombreux membres des FDS. Elle vaut d’autant plus que les rapports sont aussi excellents avec les militaires américains. De quoi faire du bon travail, même si les incertitudes que nous évoquions précédemment quant à l’avenir politique au Niger sont susceptibles d’avoir des conséquences négatives sur cette efficacité.

Jeuneafrique.com 

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