Les pressions incessantes qu’exerce le président ougandais Yoweri Museveni sur les leaders de l’Intergovernmental Authority on Development (IGAD) pour qu’ils endossent l’intervention de ses troupes aux côtés du président sud-soudanais Salva Kiir, commencent à indisposer le chef d’Etat kenyan Uhuru Kenyatta et le premier ministre éthiopien Haile Mariam Desalegn. Ces deux dirigeants, dont les forces armées sont déjà engagées en Somalie, ne veulent pas d’un nouveau conflit dans la région. Du coup, Museveni risque fort de s’isoler des autres pays de l’IGAD, maintenant que l’ancien vice-président sud-soudanais Riak Machar, aujourd’hui à la tête de la rébellion contre Salva Kiir, a ouvertement réclamé le départ des troupes ougandaises de son pays.


Museveni indispose ses alliés –
 Lors de la réunion de l’IGAD à Nairobi le 27 décembre, Museveni a donné le ton, en soumettant un véritable ultimatum à Riak Machar (LOI nº1370). Cette prise de position tout comme l’engagement militaire de l’Uganda People’s Defence Force (UPDF) ont d’abord reçu l’aval du Kenya et de l’Ethiopie, mais les dirigeants de ces deux pays ont ensuite été gagnés par le doute. La méfiance des Etats-Unis envers le "coup de torchon" de Salva Kiir contre ses opposants, ainsi que la décision de Beijing de revoir son plan de financement du grand pipeline pétrolier Jongleï/Lamu, ont contribué à faire réfléchir le gouvernement Kenyan, de plus en plus indisposé par l’intervention militaire de Kampala dans ce conflit. De son côté, le gouvernement éthiopien, qui a accepté de parrainer les conversations de paix, qui ont péniblement débuté à Addis-Abeba le 3 janvier, n’apprécie guère d’être piégé dans un processus de médiation de l’IGAD dont l’un des membres est devenu juge et partie.


L’UPDF défend Salva Kiir –
 Officiellement, les soldats de l’UPDF ont été envoyés à Djouba pour évacuer les ressortissants ougandais. Mais dans la foulée, leurs hélicoptères Mi-24 ont survolé et mitraillé Bor, ville tenue par les partisans de Machar, ce qui a amené ces derniers, le 21 décembre, à tirer par méprise sur trois CV-22 Ospreys américains venus de Djibouti pour réellement évacuer les civils bloqués à Bor. Museveni a continué à envoyer des troupes (estimées aujourd’hui à près de 3 000 hommes) pour sécuriser les points stratégiques à Djouba (aéroport, pont sur le Nil, bâtiments publics dont le palais présidentiel). L’UPDF contrôle également le camp militaire de Malenga, à 50 km à l’ouest de Djouba, un autre camp à 30 km au sud de cette ville et a établi un corridor de 150 km entre Djouba et Nimule surveillé par un hélicoptère qui assure la sécurité des bus empruntant cette route pour aller vers l’Ouganda. Par ailleurs, le 6 janvier, dix tanks et 1 200 soldats de l’UPDF ont franchi le Nil et obliqué vers le nord pour tenter de reprendre Bor, toujours aux mains des rebelles qui entendent utiliser cette ville comme base arrière pour marcher sur Djouba. Les partisans de Machar ont résisté par deux fois, le 5 janvier, aux hommes de Salva Kiir qui ont essayé, par la route et par le fleuve, de reprendre le contrôle de Bor. Museveni a même menacé la guérilla du Sudan Revolutionary Front(SRF) au nord Soudan, de lui couper les vivres si elle ne rejoignait pas sa croisade anti-Riak Machar.
 


Le Bismark de Kampala –
 Ce soutien diplomatique et militaire de Museveni à Salva Kiir reflète bien son comportement de Bismarck de l’Afrique. Outre les conflits au Rwanda, en République démocratique du Congo (RDC) et en Somalie, le président ougandais s’est également mêlé de la politique intérieure kenyane en soutenant le président Kenyatta contre la Cour pénale internationale (CPI) et en critiquant à demi-mot son rival Raila Odinga. Cet interventionnisme régional relève d’une stratégie floue qui superpose les propres rêves de grandeur de Museveni avec la défense de certains intérêts commerciaux ou territoriaux de son pays. Mais avec son implication dans le conflit au Soudan du Sud, Museveni joue gros, car son pays est un important exportateur vers Djouba (1,3 milliard de dollars en 2012). Or depuis le début du conflit, ces exportations sont en chute libre, de même que les taxes perçues sur les camions qui transportent ces marchandises. Sans compter que ce soutien militaire à Salva Kiir amène Museveni à se retrouver en position d’allié objectif de son ennemi historique, le Soudan du président Omar el-Béchir.


La Lettre du Continent. 

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