Au Tchad, les femmes victimes de la fistule obstétricale, meurtries par la maternité et rejetées par leurs proches, reprennent espoir et vie.

Au Centre national de santé de reproduction et de prise en charge de la fistule obstétricale, dans la capitale, 194 d’entre elles ont été opérées depuis mars 2011 avec un taux de guérison de 83%, selon sa responsable, Dr Aché Haroun Seïd.

"Une fistule est une communication anormale entre l’appareil génital et l’appareil urinaire de la femme. Ainsi, les urines sont détournées de leur voie d’écoulement normale de miction et coulent en permanence par la voie génitale", déclare Dr Aché Haroun, gynécologue obstétricienne, coordinatrice du Programme national de lutte contre la fistule obstétricale au Tchad et responsable du Centre national.

"La fistule intervient pendant l’accouchement. La femme a eu un temps de travail plus prolongé que normal; l’enfant entraîne une compression au niveau de la vessie et la compression se traduit par la fistule obstétricale", explique-t-elle avant d’ajouter que la fistule gynécologique survient également après une opération chirurgicale.

Selon Dr Aché Haroun, les effets sont souvent dévastateurs: le bébé meurt dans la plupart des cas et la femme souffre d’une incontinence chronique. Elle est incapable de contrôler l’écoulement de l’urine ou l’excrétion des matières fécales.

"J’étais tombée enceinte dans un village au Sud du pays, très loin d’un centre de santé. Quand je voulais accoucher, ma belle- famille a fait venir une accoucheuse. J’ai eu des contractions pendant de longues heures, mais le bébé n’est pas sorti. On a dû m’ amener, presque mourante, au centre de santé. Le médecin m’a fait une césarienne, mais l’enfant était mort-né", se souvient Néloum Louise, la trentaine révolue. Quelques après son opération, la jeune femme est tombée malade, victime d’une fistule obstétricale.

Selon Mme Hinda Déby Itno, très engagée dans lutte contre ce fléau, la fistule constitue réellement une tragédie à de nombreux égards. En plus de leurs lésions physiques, ces femmes en viennent souvent à connaître de graves problèmes sociaux dont le divorce. Elles sont rejetées par leurs maris, par leurs familles ou par toute la société. Elles sont tenues à l’écart de toutes les activités, même religieuses.

"J’étais comme une pestiférée à la maison. Personne ne voulait s’approcher de moi à cause de mes défécations et urines", témoigne Néloum Louise, en tentant d’écraser une larme. Et quand elle a appris que dans la capitale, il y a un hôpital qui soigne la maladie dont elle souffre, elle s’est dit qu’elle a "enfin une chance de retrouver [sa] valeur d’antan".

Lors d’une soirée de gala, animée samedi par l’artiste congolais Papa Wemba en faveur des femmes fistuleuses, la Première dame du Tchad a fustigé le manque d’affection, de solidarité et d’ amour des hommes à l’égard de leurs épouses.

"Chers frères et soeurs, je vous demande de ne pas stigmatiser les femmes fistuleuses. Elles ont besoin de votre soutien, de votre charité. Donnons-leur la main. Aidons-les à avoir l’espoir de vivre", a exhorté Mme Hinda Déby Itno.

Selon la Coordinatrice du Programme national de lutte contre la fistule obstétricale, les femmes qui vivent dans les zones rurales sont les plus exposées, à plus de 90%. Jeunes, pauvres et illettrées, elles ont un accès limité aux soins médicaux. Beaucoup d’entre elles n’ont pas recours aux services de traitement, soit parce qu’elles ne savent pas que la fistule peut être guérie, soit parce qu’elles ne peuvent pas honorer le coût de l’opération.

"De mars 2011 à nos jours, nous avons opéré 194 patientes avec un taux de guérison de 83%", révèle la responsable du Centre national de prise en charge de la fistule obstétricale.

Sur les 194 patientes, 133 ont été opérées par la mission du Pr Magueye Gueye, un gynécologue sénégalais qui travaille dans le cadre du projet Fistules appuyé par le Fonds des nations unies pour la population (UNFPA).

"Tous les cas qui sont opérables, nous le faisons. Au contraire, nous attendons la mission du Pr Gueye. Au Centre, les opérations des fistules s’effectuent chaque mardi et jeudi", indique Dr Aché Haroun.

Trois semaines après l’ablation de la sonde, la patiente rentre chez elle si elle est domiciliée dans la capitale. Au cas échéant, elle est gardée au Centre pendant la convalescence où son alimentation est assurée jusqu’à ce qu’elle rentre chez elle, munie d’une note du Centre qui lui permet d’être suivie dans son milieu d’origine.

"Nous leur conseillons la contraception soit de courte durée, soit de longue durée. La contraception proposée est souvent acceptée par les patientes, puisque la grossesse n’est pas la bienvenue avant quatre années", affirme Hadjé Maïmouna, sage-femme au Centre national.

"Après l’opération, nous faisons un travail de réinsertion socioéconomique et psychologique de la malade", indique Dr Aché Haroun.

Pour la réinsertion psychologique, explique-t-elle, c’est des conseils et des accompagnements pour permettre à la femme fistuleuse de se sentir femme après cette longue période de traumatisme. La réinsertion socioéconomique est de faire en sorte que la femme ne soit pas désorientée quand elle regagne son milieu d’origine sur le plan économique.

"Si la femme veut apprendre un métier avant de rentrer, nous l’aidons à se former", poursuit Dr Aché Haroun.

Selon la responsable du Projet Fistules, la Première dame du Tchad accorde régulièrement à ses patientes une assistance financière, soit 100.000 francs CFA par personne.

L’UNFPA, qui appuie le Projet, leur donne également 70.000 francs CFA chacune. Enfin, depuis quelques temps, le Diocèse de N’Djaména a employé certaines porteuses de fistule et le Centre en a recruté quelques-unes comme femmes de ménage.

Dr Aché Haroun veut faire de la lutte contre la fistule l’un des grands axes du combat contre la mortalité maternelle.

"La campagne contre la fistule est celle de la réduction de la mortalité maternelle. Nous sommes en train de voir avec nos partenaires si on peut avoir des relais dans les provinces ou des animatrices dans les campagnes pour prévenir la fistule et les autres complications de l’accouchement", explique-t-elle.

Selon la stratégie nationale de lutte contre la fistule, la campagne doit être menée tous trois mois. Mais faute de moyens, elle peine à démarrer. "Nous nous préparons à aller à Sarh (dans le Sud du pays, Ndlr) pour cela", confie Dr Aché Haroun.

Enfin, la Stratégie nationale en a prévu sept centres de prise en charge de la fistule à travers tout le pays. Mais mis à part le Centre national de N’Djaména, seuls deux autres fonctionnent à Abéché (est) et à Mao (centre-ouest).

"Nous envisageons installer cette année deux centres à Sarh et à Mongo (centre). Ces deux centres pourront opérer des cas de fistules simples, mais les cas compliqués doivent être orientés vers le Centre de N’Djaména", conclut la coordinatrice du Programme national de lutte contre la fistule obstétricale au Tchad. 

Par Geoffroy TOUROUMBAYE

 

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