13 mai 2014 Sénégal: Pourquoi Wade menace toujours Macky Sall.
L’arrivée en fanfare d’Abdoulaye Wade à Dakar, le 25 avril, n’est pas de bon augure pour Macky Sall. En tentant vainement d’entraver, sinon d’empêcher, le retour de son prédécesseur au pays, le chef de l’Etat sénégalais a commis une véritable bourde politique. Outre le fait qu’il a subitement réactivé une lutte sans merci avec son ancien mentor, Macky Sall vient, par ce faux pas, de rebooster tous ses adversaires et de fragiliser ainsi un peu plus sa gouvernance. Décryptage.
Le PDS ressoudé – Rusé comme à son habitude, Abdoulaye Wade a su profiter de la fausse note de ses plus farouches contempteurs pour faire le buzz auprès d’une opinion publique sénégalaise en proie au scepticisme généralisé. Deux ans après avoir sévèrement mordu la poussière au second tour de la présidentielle de 2012, le "Gorgui", 88 ans, requinqué comme jamais après vingt-deux mois d’exil volontaire passés dans son pavillon de Versailles, s’est soudainement remis en selle pour livrer une nouvelle bataille : laver l’honneur de son fils et pointer le bilan – forcément négatif – de son successeur. Après avoir vainement tenté de torpiller sa venue à Dakar, le régime sénégalais vient bien malgré lui de placer le vieil homme dans une posture victimaire et en véritable chef de file de l’opposition. L’ex-président octogénaire n’en demandait pas tant. Au-delà du symbole, ce retour a débouché sur la cohésion retrouvée du Parti démocratique sénégalais (PDS), menacé d’imploser ces derniers mois par les défections en cascade. En attestent les personnalités présentes sur le tarmac de l’aéroport international de Dakar comme Pape Diop, ex-président du Sénat, ou Abdoulaye Baldé, ex-ministre des Forces armées sénégalaises (FAS) et actuel maire de Ziguinchor. Ces derniers avaient pris leurs distances avec le PDS après la double défaite aux derniers scrutins présidentiel et législatif. Ils sont désormais en passe de retrouver leur statut dans les instances dirigeantes de ce parti ou, à défaut, au sein d’une grande coalition opposée à Macky Sall.
Doutes – Ce come-back intervient de surcroît au moment où le pouvoir montre de sérieux signes d’essoufflement voire d’autisme. Les Sénégalais portent un jugement sévère sur les années Wade, mais Macky Sall ne parvient pas davantage à redresser la barre. Au point de soulever la perplexité des personnalités dont le ralliement avait contribué à sa victoire. Le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, ne cache plus, mezza voce, ses doutes, tout comme le premier secrétaire du Parti socialiste sénégalais (PSS), Ousmane Tanor Dieng. Quant à l’ex-premier ministre Idrissa Seck, il vient carrément de fustiger l’incompétence du régime en place à Dakar. Deux ans après sa victoire, l’insondable Macky Sall n’a toujours pas trouvé ses marques et relancé la machine économique. Le chômage se situe à près de 12%, selon un document "stratégique" national portant sur la période 2013-2017. Les délestages et les coupures d’eau n’ont pas faibli. Après avoir succédé au banquier Abdoul Mbaye comme chef du gouvernement, le 1er septembre 2013, Aminata "Mimi" Touré serait à son tour sur le départ.
Maigre butin autour du dossier Karim – Ce contexte est alourdi par la perspective du procès de Karim Wade, prévu en juin et sur lequel le chef de l’Etat sénégalais compte pour renforcer sa popularité. Or, le résultat de cette procédure s’avère incertain. La moisson de deux années de traque aux "biens mal acquis" et aux supposés enrichissements illicites du fils Wade est maigre. Les dix-neuf commissions rogatoires internationales délivrées par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) vers une vingtaine de pays (Singapour, îles Vierges, îles Caïmans…) n’ont pas produit de résultats probants. L’enquête enclenchée en France à la demande du Sénégal contre Karim Wade, en détention préventive depuis plus d’un an, se révèle tout aussi infructueuse, selon les conclusions de la police judiciaire française que nous publions en exclusivité (lire p.5). De quoi, là aussi, regonfler Abdoulaye Wade et son parti, qui célébrera son quarantième anniversaire le 8 août.
La Lettre du Continent.
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