À l’heure où s’affrontent les troupes du dirigeant Abdel Fattah al-Burhan et de son numéro deux, Mohamed Hamdan Dagalo, surnommé « Hemiti », certains pays de la sous-région (mais pas seulement), ont pris position.

C’est le genre de déclaration qui, lâchée de la sorte, fait l’effet d’une bombe. Sans doute était-ce l’effet escompté par celui qui l’a prononcée, le 18 avril. « Nous avons des informations confirmées selon lesquelles deux pays voisins fournissent un soutien aux Forces de soutien rapide [FSR, dirigée par Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemiti »], dont l’un est situé à l’ouest », a déclaré au Soudan Tribune Shams al-Din Kabbashi, membre du Conseil souverain transitoire, un organe dirigé par Abdel Fattah al-Burhane.

Livraisons de munitions

« Deux avions ont livré des munitions et des fournitures, qui ont été transportées vers une autre zone. Il y a eu une autre tentative d’atterrissage d’un troisième avion à l’aéroport de Merowe [située à 350 km du nord de Khartoum] », a précisé Shams al-Din Kabbashi.

Il n’a pas souhaité préciser l’identité des deux pays concernés – toutefois, si l’un est situé à l’ouest, il ne peut s’agir que du Tchad, de la Centrafrique ou de la Libye –, mais a néanmoins évoqué d’autres types d’acteurs, armés mais non étatiques cette fois, « qui disposent d’une autonomie et d’un pouvoir suffisants ». Parlait-il du groupe russe de mercenaires Wagner ?

Ces accusations viennent en tout cas confirmer une donnée importante d’un conflit à l’issue incertaine : les enjeux de la guerre ouverte que se livrent les généraux Burhane et Hemiti depuis le 15 avril dépassent déjà les frontières du Soudan. C’est en partie lié au fait que, depuis plusieurs années, les ports locaux suscitent la convoitise de nombreux acteurs internationaux – les États-Unis, la Russie, les Émirats arabes unis, le Qatar, l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Chine, mais aussi la Turquie. Et cet intérêt, les frères ennemis de Khartoum ont su en jouer.

Présence égyptienne

L’Égypte a proposé d’entamer une médiation entre les belligérants, mais le président Abdel Fattah al-Sissi ne fait pas mystère de son soutien au général Burhane, qui, à Khartoum, dirige à la fois l’armée et le Conseil de souveraineté. Quand les violences ont éclaté, des soldats égyptiens étaient d’ailleurs présents sur place, en vertu d’un accord de coopération militaire. Ils ont été arrêtés le 15 avril sur la base de Merowe. Le porte-parole de l’armée égyptienne a beau avoir déclaré qu’ils s’y étaient rendus pour effectuer des exercices conjoints avec leurs homologues soudanais, certains soupçonnent les forces égyptiennes, lesquelles étaient intervenues en soutien à Omar el-Béchir lors de la guerre du Darfour en 2003, de soutenir activement Burhane.

Un autre pays frontalier s’est positionné, lui, en faveur du patron des FSR : l’Érythrée. En mars, Hemiti a rendu visite à Issayas Afewerki. Allié à l’Éthiopie mais globalement isolé sur le plan diplomatique, Asmara exerce une influence certaine sur l’est du Soudan et la mer Rouge, où elle aide les tribus qui contrôlent ce carrefour stratégique à s’équiper et à s’armer. À l’issue de cette visite, et alors que les tensions couvaient depuis plusieurs semaines, l’Érythrée avait néanmoins rappelé « sa ferme conviction que le problème du Soudan ne pouvait être résolu que par le peuple soudanais lui-même, sans l’intervention d’acteurs étrangers ».

Le jeu du Golfe

Les pays du Golfe ont également des intérêts dans cette crise. Hemiti bénéficie du soutien des Émirats arabes unis, puisque ses forces ont combattu par milliers au Yémen à partir de 2016 pour lutter contre les rebelles houthis, aux côtés de la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats. Des émiriens sont en outre impliqués dans la contrebande d’or issu de la région occidentale du Darfour, à laquelle sont mêlés les miliciens de Hemiti.

Le président des Émirats, Mohammed Ben Zayed (dit MBZ), s’est par ailleurs rendu au Caire le 12 avril. A-t-il tenté de rallier l’Égypte à la cause de Hemiti ? Au cours des derniers jours, l’armée soudanaise a en tout cas publié une vidéo montrant des munitions saisies aux Rapid Support Forces (RSF) de Hemiti. Il s’agit d’obus thermobariques de 120 mm avec fusées UT M18 produits par la Serbie et initialement vendus à l’armée émirienne.

MBZ est-il prêt à faire davantage ? Non, répond le spécialiste du Moyen-Orient arabe et de la Corne de l’Afrique Marc Lavergne. « Les Émirats ne veulent pas intervenir directement, car ils ne disposent pas des forces militaires nécessaires et savent que les RSF sont incapables de diriger le pays », explique-t-il.

« CE QUI IMPORTE À MOHAMMED BEN SALMAN, CE SONT LES RICHESSES DU SOUDAN, DONC L’EAU DE LA VALLÉE DU NIL »

Interrogée sur les rapports de force régionaux, Dalia Ziada, analyste sécuritaire égyptienne spécialiste des Émirats, estime quant à elle que l’Arabie saoudite et la Turquie sont susceptibles de soutenir Burhane. Le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, a pour objectif de faire de la côte de la mer Rouge le centre de son projet Vision 2030, ajoute Marc Lavergne. « Il ne veut pas d’ennui et ne compte pas dépenser d’argent dans cette crise, estime le géo politologue. Ce qui lui importe, ce sont les richesses du Soudan, donc l’eau de la vallée du Nil. Or, la situation actuelle l’empêche de l’exploiter. »

La Russie sur les deux tableaux ?

Quid de Moscou ? La Russie entretient des liens étroits avec les deux belligérants, et lors de son dernier séjour au Soudan, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est entretenu à la fois avec Burhane et Hemiti. L’État russe a par ailleurs signé un protocole d’accord avec le gouvernement soudanais pour construire une base militaire sur la mer Rouge, un projet au long cours qui n’est pas vu d’un bon œil par les Émirats, Israël, ni même l’Arabie Saoudite.

Et Wagner ? Si les mercenaires opèrent au Darfour, c’est avec le soutien de Hemiti, bien que ce dernier tente de se démarquer de son image de « pro-Wagner ». Le soutien que lui apporte le groupe paramilitaire est en effet à double tranchant. Il pousse notamment les États-Unis à jouer la carte Burhane contre lui. Ces derniers mois, le patron de la CIA, William Burns, a même tenté de dissuader le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, de nouer une quelconque alliance avec le patron des RSF, qui dispose pourtant d’importants relais à Bangui, au premier rang desquels se trouve le ministre de l’Élevage et de la Santé animale, Hassan Bouba.

En décembre 2022, cet ancien espion tchadien, partenaire privilégié de Wagner à Bangui, s’était déplacé à la frontière entre la Centrafrique et le Soudan pour y rencontrer des responsables des RSF. Selon nos sources, Hassan Bouba était sur le point d’engager de nouvelles discussions avec l’entourage de Hemiti, dans le but d’obtenir un appui militaire, avant que les combats n’éclatent à Khartoum.

La CIA a également suggéré à Mahamat Idriss Déby Itno de se ranger du côté de Burhane. Au Tchad, la situation est suivie de très près au palais présidentiel, inquiet d’une déstabilisation régionale et en particulier de la délicate zone du Darfour. Le président de la transition, qui s’efforce depuis plusieurs mois d’entretenir une relation avec les deux généraux ennemis, a décrété la fermeture de la frontière avec le Soudan.

Jeune Afrique  

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