Tout homme attend « son jour ». Ainsi donc, le « jour » de notre frère Alhadj Hissein Koty Yacoub, ce fut ce samedi 02 février.

Ma première pensée va évidemment à son épouse et ses enfants, ainsi que ses compagnons de lutte du CNR et tous ses proches et amis. Il n’existe pas, dans le langage des humains, de mots pour faire oublier la perte d’un époux ou d’un père. En présentant mes condoléances, je ne prétends pas supprimer ou alléger leur douleur, mais au-delà du devoir social et religieux, dire que nous, ses amis, ses collègues et ses compagnons, ressentons une partie de l’immense douleur de sa famille ; et que l’écho du grand vide que sa disparition crée au sein du foyer, résonne aussi dans le cercle des amis,  dans les rangs de l’opposition, et au sein de la classe politique tchadienne en général.

Terribles coïncidences que celles du mois de février !

Mois du grand déchirement national de 12 février 1979de l’assassinat de Me Joseph Behidi (16 février 1992), de l’enlèvement d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, dont la date (03 février) est érigée symboliquement en journée de commémoration de toutes les victimes des assassinats politiques au Tchad. Voilà que désormais on doit y ajouter celle de la disparition du frère Hissein Koty. Mort de maladie pour les médecins, mais pour nous ses amis, ses compagnons sur cette route longue, sinueuse et sombre de la lutte et de l’exil, nous savons que ce sont  l’éloignement, les affres de la lutte et leur cortège de déceptions et de trahisons, qui l’ont tué, en réalité.

Depuis l’assassinat de son frère Abbas Koty, le 22 octobre  1993, en application du très mal nommé accord de « réconciliation », Hissein Koty et les autres cadres du CNR rescapés, ont connu, les séquestrations dans des « pays frères », les privations et les humiliations. Sauf Bichara Digui qui préféra rester à N’Djamena, malgré tout, cohabitant avec les loups  dans leurs tanières, et qui finira par être dévoré à son tour. De n’avoir pas suffisamment insisté pour dissuader les défunts Abbas et Bichara d’aller tomber dans ce piège prévisible, était devenu un mal silencieux qui l’avait rongé tout au long de ces années. La mort est toujours juste (al mowt haq). Que nous croyons à la transcendance de la Nature ou celle de la Loi divine, nous savons qu’elle n’est pas la négation de la vie mais une part constitutive de la vie.

Mais la mort hors de son pays, dans la lointaine et glaciale Suède, figurez-vous, est la plus terrible qui soit. Notre camarade Hissein est parti avant d’avoir vu se réaliser son espoir en un Tchad apaisé, où régneraient la solidarité nationale et l’harmonie sociale. Implacable injustice, qui vous sépare de la terre qui vous a vu naître, mais plus encore quand la mort vous sépare définitivement de la réalisation du rêve qui vous fait endurer tous ces sacrifices.

De Hissein Koty, ce qui nous manquera le plus, ce ne sont pas des formules révolutionnaires choc, ni des prises de position audacieuses, mais plutôt son visage toujours éclairé d’un large sourire, même dans les situations les plus éprouvantes, son regard plein de gentillesse et de compassion , qui transmet à l’interlocuteur, quel qu’il soit ,un message rassurant : « je te comprends » !
Elle nous manquera, sa personnalité pétrie de civilité et de modération, dans cette société tchadienne où ces qualités sont plutôt perçues comme des faiblesses, particulièrement chez un leader politique.

Tolérance.

Si je dois retenir une seule valeur, un seul principe parmi ceux qui lui tenaient le plus à cœur, c’est certainement celui de tolérance. Hissein Koty avait toujours été politiquement engagé au cours des soubresauts qu’a connus et que connaît encore notre pays, mais ceux qui l’avaient côtoyé, savent qu’il s’était engagé par devoir, pour ne pas rester en spectateur pendant que le pays était déchiré, et non pas par esprit partisan, encore moins par fanatisme. Il a toujours gardé des relations personnelles franches  avec tous ses amis et collègues, même dans les pires moments de division.

Il nous laisse la lourde responsabilité de perpétuer sa mémoire, et celle encore plus lourde de faire vivre cette valeur de modération et de tolérance qui émanait du plus profond de son âme.

Frère Hissein que la terre te soit légère.


Publié par Acheikh Ibn-Oumar, le 10 février 2013.
 

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