Nous avons été à la rencontre de cet intellectuel tchadien exilé politique aux USA.
 
Newsducamer.com : Une vague d’insécurité s’abat actuellement sur le Tchad. N’est-ce pas étonnant pour un pays qui veut s’illustrer comme une force militaire en envoyant des soldats sur plusieurs fronts de combat sur le continent ?
 
 
Abdallah Chidi Djorkodei : En effet, cela peut paraître paradoxal à première lecture. La sécurité est la responsabilité de la police et la gendarmerie, cependant les Tchadiens ont toujours vécu dans l’insécurité depuis l’arrivée d’Idriss Deby au pouvoir en décembre 1990. Quant aux interventions successives des forces d’Idriss Deby hors des frontières du Tchad, elles cachent d’autres réalités plus sombres et les observateurs attentifs de la scène politique tchadienne en savent quelque chose. Aussi bien au Congo pour soutenir Sassou contre Lissouba, en RDC pour secourir Kabila fils, au Mali contre les islamistes au nom de la lutte contre un certain terrorisme international et aujourd’hui en RCA, Idriss Deby n’a fait que répondre à l’appel de la France et ce au nom de la mystérieuse françafrique. Cela lui a même valu le sobriquet de Bob Denard de la Françafrique ! Sauf au Darfour et en Libye (soutien à son mentor Khadafi) où Deby a mené des guerres pour sécuriser son régime.

L’insécurité qui frappe ces derniers jours la capitale N’Djaména, nous la percevons comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase. En effet, la coupe est bien pleine au Tchad où l’injustice sociale, les crimes crapuleux et les violations massives des droits de l’homme, le détournement des deniers publics, l’impunité de la classe régnante, l’anarchie qui caractérise l’appareil d’Etat, le désarroi des jeunes face au chômage, autant de maux qui font que le Tchad pétrolier est toujours dernier élève de la classe au niveau … mondial.

Les Tchadiens subissent tout cela dans un silence imposé, répressif et ça dure 23 ans tout de même ! Les provinces sont quasi abandonnées et les populations vivent dans une insécurité chronique, à la merci des bandits mais aussi de ceux-là même qui devraient instaurer la sécurité. La capitale N’Djaména connait à nouveau des cas de braquage ayant entrainé la mort d’hommes. Nous avons connu des cas similaires, ces fameuses « bandes incontrôlées » qui tuent et volent de jour comme de nuit, sans être retrouvées mais du reste bien connues. Crimes que le ministre de l’intérieur de l’époque, Monsieur Ahmat Hassaballah Soubiane, qualifiait de « Bavure ».

Bref, Deby est devant son échec, le pays a sombré, il a abandonné la capitale, symbole du pouvoir politique et économique et se réfugie depuis plusieurs mois à son village natal Amdjarass qui se trouve à 900 Kms de Ndjaména. Exactement comme Mobutu, à Gbadolité, vers la fin de son règne.

 

Les événements de Bangui peuvent-elles avoir amené la rébellion tchadienne de désormais opérer à l’intérieur plutôt que depuis des bases à l’étranger ?
 

Ce qui se passe à Bangui n’a rien à voir avec la lutte armée contre le régime Deby. Cette lutte armée a commencé avec le MDD dans la région du Lac Tchad en 1991, s’est poursuivie au Sud avec le FARF, le MNSPD entre 1993-95, dans le Tibesti avec le MDJT entre 1998-2002 et puis à l’Est dans le Darfour à partir de 2005 avec l’UFDD, le FUC, etc. Aujourd’hui encore des mouvements de résistance existent mais il leur manque un soutien extérieur pour affronter l’armée d’Idriss Deby. Face à ce déficit, d’autres stratégies se développent notamment les mutineries, un coup d’Etat et pourquoi pas un soulèvement populaire. Tout est possible aujourd’hui.

En revanche, le peuple tchadien a été meurtri de voir en Centrafrique comment les Tchadiens ou les Centrafricains d’origine tchadienne ont été massacrés et contraints à l’exil, dépouillés de tous leurs biens. Ils sont près de 100.000 qui sont rapatriés au Tchad où le gouvernement ne sait comment gérer leur cas. Idriss Deby est grande partie responsable de ce drame.

 

Selon un récent rapport de la CIA, la manne pétrolière tchadienne va dans des comptes au nom de certains proches de Deby, plutôt que dans le trésor public tchadien. L’opposition ne tient-elle pas la une cartouche contre le Président Deby ?
 

Sous d’autres cieux, le peuple serait descendu dans les rues et exiger la démission du gouvernement, du parlement et du fameux Comité de surveillance des revenus pétroliers. Mais rien de tout cela ne s’est passé, ce fut juste un fait divers qui a nécessité quelques commentaires et on est passé à autre chose.

Les partis politiques (il y en a près de 200) et particulièrement ceux regroupés au sein de la CNDC n’ont même pas jugé utile de pondre un communiqué de presse pour exiger au gouvernement la lumière sur ces graves révélations de la CIA.

Je pense que les rapports sur les détournements des deniers publics, il y en a eu beaucoup et sont restés sans effets. Les Tchadiens vivent au quotidien ce pillage systématique des ressources de l’Etat. Tous les secteurs financiers (administration, armée, douanes, sociétés, commerces et marchés publics) du pays sont quadrillés et ponctionnés 24H/24 par le clan des Itno et leurs alliés, assistés par une mafia féroce d’étrangers qui se fout royalement du drame que vit le peuple tchadien.

Les tchadiens ne se reconnaissent plus en ces partis politiques alimentaires, incapables de jouer leur rôle et complétement dépassés par la situation actuelle du Tchad. C’est la diaspora qui mène la lutte et apportera le changement avec les populations.

 

Idriss vient d’effectuer une visite au Soudan. Ceci après des tournées en Europe et dans d’autres pays africains. A votre avis pourquoi le président tchadien devient ces derniers temps “un pigeon voyageur”, pour reprendre l’expression des certains militants de l’opposition ?
 

Idriss Deby est effectivement devenu un pigeon voyageur. Sauf que ses nombreux déplacements en Afrique, en Europe, sont sans intérêt et n’apportent rien au Tchad en termes d’affaires (investisseurs), de diplomatie, de solutions pour les problèmes des tchadiens de la diaspora, etc. En fait, Deby fuit les problèmes qui s’accumulent et s’amoncèlent sur son bureau. Je disais au début que Deby a abandonné la capitale centre du pouvoir politique et économique pour se réfugier à son village natal où il ne fout absolument rien sinon que se promener entre les vaches et les potagers, jouir des liqueurs et de bonnes compagnies bien loin des regards indiscrets de gens de la capitale.

Malgré les relations exécrables entre le Président Soudanais et la communauté internationale (Europe, Amérique), Idriss Deby doit continuer à fréquenter son homologue El Béchir, il en va de la survie de son régime car le Darfour regorge encore beaucoup de Tchadiens prêts à en découdre militairement avec lui.

 

Certains observateurs disent qu’Idriss Deby serait allé au Soudan pour rechercher un autre point d’accès à la mer et se détourner du port de Douala au Cameroun. Car Idriss Deby serait fâché contre son homologue camerounais d’avoir accueilli François Bozizé après sa chute en Centrafrique. Quel commentaire en faites-vous ?
 

Non, je ne pense pas que ce sont des raisons économiques qui dictent les rapprochements avec le Soudan. Ils sont plutôt politiques et sécuritaires. Le Mouvement pour la Justice et l’Egalité (MJE) dont le chef, Dr Khalil Ibrahim, tué par les hommes de Deby en 2009, n’a pas dit son dernier mot. Feu Khalil Ibrahim et Timane Deby, ex sultan du clan Itno et demi-frère d’Idriss Deby, sont des cousins, leurs mères sont des sœurs. Cet assassinat a provoqué une véritable fissure au sein du clan, ce qui a conduit Deby a destitué son demi-frère Timane et s’introniser sultan à sa place. Après l’indépendance du Sud Soudan, les Darfouris marchent sur leurs pas et ils ont le soutien des occidentaux, Israéliens et Américains.

Le Tchad est grand et d’autres ouvertures pour ses importations s’avèrent nécessaires. La voie soudanaise est possible dans la mesure où un projet de chemin de fer pour le transport de marchandises est en cour entre Abéché et Adré à la frontière soudanaise.

Quant aux relations entre Deby et son grand-frère Paul Biya, elles sont ambiguës. Les complications sont récurrentes au port de Douala, fait de la corruption qui gangrène ce secteur mais surtout fait aussi de l’incompétence des hommes de Deby de bien négocier avec les autorités camerounaises. Il me parait inopportun de délaisser le port de Douala pour celui de Cotonou ou même de Lagos.
 

Le Tchad se détache-t-il de l’Afrique Centrale ? Si oui quelles conséquences ?
 

Le Tchad ne cherche pas à se détacher de l’Afrique Centrale. Cependant, les errances politiques, économiques et l’instabilité chronique du Tchad sous Deby a fini par exacerber les pays de la sous-région. L’ingérence criarde dans les affaires centrafricaines a fait réagir les dirigeants de ces pays qui se sont ligués contre Deby pour stopper net l’aventure centrafricaine. L’accueil du Président déchu François Bozizé au Cameroun et les soutiens qu’il bénéficie des pays comme le Gabon, le Congo, la RDC et même l’Afrique du Sud, concourent à envoyer un signal clair à Idriss Deby. La France du Président Hollande n’affiche non plus beaucoup de sympathie à Idriss Deby. Et si on rappelle que le Colonel Khadafi n’est plus là, on peut aisément comprendre que Deby est dans des sales draps. Aussi, il ne prendra pas le risque de quitter la sous-région de l’Afrique centrale car les enjeux politiques et économiques sont importants.
 

Dans certaines étapes de ses multiples visites officielles, l’on a souvent remarqué des manifestants brandir des banderoles sur lesquelles il est écrit ceci : “Au Tchad, Idriss Deby c’est le terroriste”. Vous donnez raison à ces manifestants ?
 

Evidemment, ces compatriotes de la diaspora qui manifestent contre Idriss Deby et son régime ont raison de le faire. Je salue leur courage car ce n’est pas du tout évident. Le régime Deby s’en prend régulièrement aux familles des tchadiens qui le défient publiquement. Au Tchad, manifestation équivaut à un coup d’Etat.

Idriss Deby est un terroriste et il l’a démontré à plus d’un titre. Le Vice-président de la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH) a été abattu devant son domicile par des hommes cagoulés. Dr Guetti Mahamat, chef d’un parti politique a sauté sur une mine télécommandée. Pr Ibni Oumar Mahamat Saleh a été enlevé par la garde rapprochée de Deby depuis le 3 février 2008, on est sans nouvelle. Cette semaine, M. Hamit Loni a rendu l’âme quelques heures après une audience avec Deby durant laquelle il lui a été servi une boisson. Les résultats de l’autopsie sont attendus mais il ne fait aucun doute que c’est un empoisonnement. Des exemples de ces crimes crapuleux et odieux du régime Deby ne manquent pas, les ONG des droits de l’homme les ont recensés et un jour Idriss Deby répondra devant les tribunaux internationaux. Nous nous battrons pour cela.

 

Bernard Padaré l’ancien ministre de la Justice peuvent- elles compter des “actes terroristes” de Deby ? C’est de l’épuration politique ?
 

L’ancien Ministre de la Justice, Me Jean-Bernard Padaré, croupit depuis quelques semaines en prison. Il lui est reproché une sordide affaire de corruption et de détournement de biens publics. Dans ce régime, tout le monde vole. L’actuel Président de l’Assemblé Nationale Haroun Kabadi, l’ex Secrétaire Général de la Présidence de la République Mahamat Saleh Annadif, les maires De Ndjaména, le clan Itno, Mme Hinda Deby et la liste des voleurs en col blanc est longue. Sauf que tout le monde ne jouit pas de cette impunité. Me Padaré a été l’avocat de la famille d’Ibni Oumar avant d’aller flirter avec l’assassin de son client. Dans l’affaire Habré, il est avéré que Me Padaré avait collaboré avec les Avocats de l’ex Président Habré. Nommé ministre de la justice, il s’est distingué dans ce dossier par ses diatribes contre l’ancien Président Hissein Habré. Mais cela n’a pas été suffisant car Deby lui reproche d’avoir volontairement fermé les yeux sur l’Article 10 du statut des chambres africaines extraordinaires qui annule l’immunité présidentielle même si on est chef d’Etat en exercice !

Quant à l’affaire Habré, après les propagandes des organisations des droits de l’homme sur les crimes qu’auraient été commis sous le régime du Président Habré, les Juges peinent de prouver ces accusations. Neuf mois après, 4 commissions rogatoires au Tchad, mais toujours rien. Idriss Deby refuse que les enquêtes soient menées comme il le faut et que des personnes de l’ancien régime qui constituent la colonne vertébrale du pouvoir Deby soient interrogées. Qui paie commande. 18 milliards ce n’est pas rien.

Face à ce blocage, un budget de 560 millions de francs a été débloqué pour le recrutement des agences de communication avec comme objectif faire du dilatoire et masquer l’impasse des enquêtes des juges. Exercice difficile car la défense de son côté dénonce toutes ces violations dans la procédure et les deals politiques entre Deby, les chambres africaines et le régime de Macky Sall.

 

Écrit par  Celestin Ngoa Balla à New York.

 

 

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