
13 avril 2025 #Tchad #African Parks enchaîne les déboires au parc de Zakouma.
Ces trois derniers mois, de nombreux cas de braconnage ont été relevés à Zakouma, un parc souvent mis en avant comme la grande réussite d’African Parks. Le ministre de l’environnement évoque une « défaillance notoire » et menace l’ONG de la renvoyer.
Douze girafes, autant de buffles et deux rhinocéros braconnés sur le dernier trimestre. C’est le lourd bilan d’espèces protégées tuées dans le parc de Zakouma qui a poussé Hassan Bakhit Djamous, à mettre une forte pression sur l’ONG sud-africaine African Parks Network (APN). Le directeur général et cofondateur de l’organisation de conservation, Peter Fearnhead, est attendu en fin de semaine à N’Djamena, où il doit s’entretenir avec le ministre de l’environnement, de la pêche et du développement durable.
Dans une lettre datée du 25 mars, et consultée par Africa Intelligence, Hassan Bakhit Djamous a vivement dénoncé, auprès d’African Parks, une « défaillance notoire » dans la gestion du parc depuis le début de l’année. « Le gouvernement se réserve le droit de suspendre ou de résilier l’accord avec APN », a conclu Hassan Bakhit Djamous. Celui-ci est censé courir jusqu’en 2027. Par ailleurs, le 29 mars, le ministre a de lui-même suspendu, par arrêté, quatre membres de l’unité de gestion du parc, dont son directeur adjoint, Babakar Matar Breme, en poste depuis cinq ans.
La vaste aire de 3 000 km2 est administrée depuis 2010 par l’ONG basée à Johannesburg, spécialisée dans la gestion militarisée des espaces de conservation. African Parks, qui gère 23 parcs dans 13 pays différents, a fait de Zakouma l’une de ses vitrines, à travers de récurrentes opérations de communication dans la presse internationale. À partir de 2018, l’ONG a, en particulier, médiatisé la réintroduction de rhinocéros noirs d’Afrique du Sud, afin de compléter le « big five » : éléphants, lions, léopards, buffles et rhinocéros.
Asphyxie
L’envers du décor est moins reluisant. Depuis le début de l’année, le parc connaît une recrudescence préoccupante du braconnage. Le ministre a également déploré de ne pas en avoir été « informé officiellement ».
Si une partie des récents décès d’animaux a été relayée par la presse locale, un autre incident, potentiellement embarrassant pour African Parks, est cependant resté confidentiel. Toujours selon la missive du ministre, un troisième rhinocéros est mort asphyxié lors de la pose d’un émetteur destiné à le suivre à distance. APN n’a pas voulu confirmer ni infirmer ces informations et a refusé de répondre à nos questions. L’ONG confirme seulement la mort des deux rhinocéros femelles et annonce qu’une enquête est en cours.
Cette récente série noire met en péril le plan de retour des rhinocéros entamé en 2018. African Parks en a fait l’un de ses programmes phares, bien que le coût de sa gestion soit très élevé en comparaison des faibles bénéfices induits sur le plan écologique. De sorte que les autorités tchadiennes n’auraient pas les moyens de prendre le relais de l’ONG si elles le désiraient. Alors qu’une rétrocession à terme de la gestion du parc était envisagée lors de l’entrée en concession, ce scénario s’est éloigné au fil des ans.
Au total, onze animaux ont été transférés d’Afrique du Sud, en deux étapes : six en 2018 et cinq en 2023. Sur les six premiers, quatre sont morts peu après leur arrivée, en raison de problèmes d’adaptation. Après les pertes récentes, il n’en resterait plus que deux, exclusivement des mâles. De nouvelles importations seraient donc nécessaires à la survie de l’espèce au Tchad, éteinte depuis 1972.
Fiasco
Dans sa correspondance, Hassan Bakhit Djamous a exigé qu’une série de mesures soient prises par l’ONG, seule solution pour éviter la résiliation de la concession. Outre la suspension des responsables d’APN impliqués dans la gestion du parc, le ministre a demandé « la suspension de toutes les activités à risque […], y compris des activités touristiques, le renforcement du dispositif de surveillance et la production d’un rapport hebdomadaire sur la situation du parc » par l’ONG. Il a également annoncé « l’envoi d’une mission d’inspection et d’audit du ministère ».
Les performances régulièrement mises en avant par l’ONG dans sa gestion des parcs tchadiens sont sujettes à caution. En 2022, un transfert de buffles – « le plus grand jamais réalisé », selon African Parks – a tourné au fiasco. L’organisation avait déplacé 905 buffles depuis Zakouma vers Siniaka Minia, une autre aire protégée de l’organisation partageant le même écosystème, située à 150 km. Le coût de cette opération, initialement estimé à environ 600 000 dollars, s’est finalement élevé à près de 1,5 million de dollars. Le rapport annuel de 2022 a fait état de « quelques pertes », mais selon des sources internes, moins de 200 animaux ont finalement été recensés à Siniaka Minia.
Néanmoins, APN se targue d’avoir réussi, à Zakouma, sa mission concernant les éléphants. Au début de ce siècle, il y en avait encore quelque 4 000, avant que le braconnage à grande échelle ne décime la population. African Parks affirme avoir mis fin à cette spirale négative.
Or, là aussi, l’ONG a eu tendance à gonfler ses chiffres. Son rapport de 2022 avance que, sous sa gestion, la population a augmenté de 40 %, passant de 450 à 636 individus entre 2010 et 2021. En réalité, selon des informations qu’elle a elle-même diffusées, le parc comptait une centaine d’éléphants de plus lorsqu’elle en a pris les rênes. De sorte que l’augmentation n’est pas de 40 %, mais plutôt autour de 15 %. L’augmentation naturelle des troupeaux d’éléphants étant d’environ 6 à 7 % par an, leur nombre aurait pu doubler depuis le niveau le plus bas, constaté en 2011.