En pointe dans les mouvements de la société civile, les activistes sont de plus en plus réprimés par les gouvernements. 

Les défenseurs africains des droits de l’homme sont-ils en danger ? Société civile, avocats, journalistes et autres militants sont victimes de persécutions et de menaces « sans précédent » notamment en Afrique de l’Ouest et centrale, selon le rapport d’Amnesty International publié en mai. « Depuis quelques années, il y a une forte croissance des mouvements qui luttent pour des causes sociales comme le manque d’eau », explique Evie Francq, chercheuse sur la République démocratique du Congo à Amnesty International.

« Les gouvernements n’ont pas l’habitude de ces manifestations citoyennes très différentes de celles organisées par les oppositions politiques il y a quelques années. La réaction est donc d’arrêter systématiquement les militants », poursuit l’experte. « Il y a un nouvel esprit. Ces mouvements redonnent du souffle aux luttes du passé. Ils sont ultra-connectés et mondialisés », ajoute Laurent Duarte, coordinateur de la coalition Tournons la page, fondée en 2014.

Pour y voir plus clair, Le Point Afrique a répertorié le nombre de personnes arrêtées et officiellement inculpées, puis condamnées ou relaxées, et a passé au crible les rapports des ligues des droits de l’homme présentes dans chaque pays du continent. Au total, nous avons comptabilisé 770 personnes qui ont eu maille à partir avec la police ou la justice depuis janvier 2017.

Pourquoi cette augmentation des arrestations ?

Prenons le cas du Tchad. Nadjo Kaina et Bertrand Solloh Ngandjei en sont la retentissante illustration. Le 6 avril, ces deux membres de la coalition Tournons la page ont été arrêtés au lendemain d’une journée de mobilisation « contre la mauvaise gouvernance, la pauvreté, l’injustice et l’impunité qui prévalent » dans leur pays. Ils ont été condamnés à six mois de prison avec sursis pour « provocation à un attroupement ». « Nous avons fait appel », précise Me Frédéric Dainonet, qui ne décolère pas. L’avocat des deux activistes dénonce des manquements à la loi en vigueur. « Ils ont été kidnappés, séquestrés et torturés par des agents de l’Agence nationale de sécurité (ANS) avant d’être mis à disposition de la police judiciaire », dénonce-t-il. Plus récemment, Maoundoe Declador, membre du collectif Ça doit changer, a été interpellé le 5 mai par deux éléments armés en civil de l’ANS en marge d’une conférence donnée à Moundou, la capitale économique du Tchad. Depuis, plus de nouvelles.

Une législation ambiguë

« Qu’est-ce que le gouvernement va en tirer ? » s’interroge un conseiller proche de l’exécutif tchadien. « Aujourd’hui, on ne peut plus détenir quelqu’un au cachot pendant des mois. Ces formes d’intimidation sont intolérables », précise cette même source. Le face-à-face s’engage alors sur le terrain législatif. Si les défenseurs des droits de l’homme brandissent l’article 27 de la Constitution tchadienne et l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui garantissent à « toute personne le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques », les autorités brandissent de leur côté le décret 193 de 1962. Ce dernier interdit « tout attroupement non armé susceptible de troubler l’ordre public ». « Il faut également déposer une demande préalable de manifester », souligne un membre du ministère de la Justice. « Elles ne sont quasiment plus accordées. Pour eux, il n’y a plus de solution : alors, ils vont quand même manifester », déplore-t-il.

Au motif de la lutte contre le terrorisme ?

« Ces manifestations ne sont souvent pas maîtrisées par les organisateurs et il y a des débordements », justifie Paul Manga, porte-parole de la police nationale au Tchad. « Nous sommes dans une situation particulière : le pays est menacé par le terrorisme, il faut être extrêmement prudent », ajoute le commissaire. Mais Amnesty International réfute cet argument. Pour l’organisation, ces pays « ont adopté des législations qui pourraient être utilisées pour cibler les défenseurs des droits humains, les journalistes et les lanceurs d’alerte en raison de leurs actions, souvent au nom de la lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité », peut-on lire dans le rapport. « Ces manifestations vont se poursuivre malgré les arrestations, car il y a désormais plus de pression de la communauté internationale et un réel désir de changer les choses aujourd’hui en Afrique », conclut Laurent Duarte.

PAR

Le point Afrique

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