
5 mai 2025 TCHAD | Afrique centrale I Fonds de réhabilitation : la Beac avance sans accord, sous pression américaine.
Les industries extractives, principalement américaines, font traîner les négociations sur le rapatriement de leurs fonds de restauration à la Banque des États de l’Afrique centrale. D’autant qu’elles bénéficient du soutien de l’administration de Donald Trump.
L’épineux dossier du retour des fonds de restauration des sites miniers et pétroliers par les industries extractives actives dans les pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) n’est toujours pas clos. Dès ce 1er mai, la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) commencera à solliciter, auprès d’entreprises concernées, la signature de conventions de rapatriement progressif des provisions sur ses comptes.
Il s’agit notamment des firmes opérant au Gabon, dont Perenco, TotalEnergies ou Eramet, tous les trois sur une position plus conciliante. Pour rappel, les industries versent chaque année, sur des comptes séquestres domiciliés à l’étranger, des fonds de remise en état des sites, aussi appelés « fonds RES ». Le gouverneur de la Beac, le Centrafricain Yvon Sana Bangui, qui s’était donné jusqu’au 30 avril pour négocier avec les industries extractives, a donc décidé de se passer d’un accord global pour avancer, sans pour autant sanctionner les plus réticentes, en particulier américaines.
Celles-ci bénéficient de la pression nouvelle de l’administration de Donald Trump. La réunion du 22 avril à Washington, coprésidée par le ministre équato-guinéen des finances, Ivan Bacale Ebe Molina, et la présidente et le vice-président du US-Africa Business Center, Kendra Gaither et Guevara Yao, s’est déroulée en présence d’invités de dernière minute.
Accents trumpiens
Aux équipes de la Beac, aux ministres des finances représentant les États de la Cemac et aux compagnies minières et pétrolières, se sont joints Corina Sanders, nouvelle sous-secrétaire d’État adjointe aux affaires africaines du Département d’Etat, et trois représentants du Trésor américain, dont Eric Meyer, sous-secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Il s’agissait d’une première depuis le début des négociations, il y a cinq ans.
Quand Corina Sanders a regretté, avec des accents trumpiens, une future réglementation hostiles aux intérêts des entreprises américaines, Eric Meyer s’est interrogé sur la pertinence de considérer ces fonds de restauration comme de potentielles réserves de change. Autant d’éléments déjà présents dans le Cemac Act, déposé le 25 mars au Congrès américain par le républicain William P. Huizenga. Ce projet de loi vise à s’opposer au soutien du Fonds monétaire international (FMI) envers les pays de la Cemac, en cas d’imposition du rapatriement des fonds (AI du 11/04/25). Cette pression sur le FMI semble avoir eu des effets, puisque l’institution songe à renverser sa position sur les réserves de change.
Principe de cogestion
Pour montrer patte blanche sur son rôle de simple dépositaire des fonds rapatriés, et pour prouver que ceux-ci ne seront pas utilisés à d’autres fins, Yvon Sana Bangui a proposé que les comptes séquestres logés à la Beac soient cogérés par la banque et les sociétés, incitant les deux parties à une certaine transparence.
Cette nouvelle proposition n’a toutefois pas été acceptée en l’état par l’avocat londonien Steven Galbraith, conseil d’un groupe de travail conjoint au service des industries extractives, principalement anglo-saxonnes, et sceptique sur les intentions de la Beac. Dans une réponse, en date du 28 avril, l’avocat a précisé que le principe de cogestion était acceptable à condition que les fonds soient déposés sur un compte en dehors de la banque centrale régionale et non sur un compte séquestre.
Les discussions du 22 avril sont également revenues sur un autre point d’achoppement apparu ces derniers mois. Yvon Sana Bangui, qui avait fait un pas vers une éventuelle levée de l’immunité de juridiction, ouvrant la voie à des poursuites à l’encontre de la Beac, a maintenu son refus de toucher à l’immunité d’exécution, qui protège la Banque centrale régionale d’éventuelles saisies.
Contrôle serré des réserves de change
Ces négociations ont été engagées à partir de 2020, dans le cadre d’une politique de contrôle serré des réserves de change menée par la Beac, et ce, sous l’impulsion du FMI et de la Banque mondiale. Pour atteindre son objectif de six mois de couverture d’importations en devises internationales, la Banque centrale a instauré un programme de contrôle de sortie des devises, qui pèse cependant sur l’activité économique.
Le rapatriement des fonds RES devait en théorie permettre à la Beac de relâcher la pression sur le reste des opérateurs. En 2022, les firmes concernées ont accepté de rapatrier 35 % de leurs revenus en zone Cemac. Elles estiment toutefois le rapatriement total de ces provisions irréaliste (AI du 23/07/24).