
29 septembre 2025 TCHAD : Afrique centrale – Le représentant d’António Guterres pour l’Afrique centrale visé par une enquête interne.
En poste à Libreville, le chef de l’Unoca, le diplomate nigérien Abdou Abarry, est soupçonné de faits « d’exploitation et d’atteintes sexuelles ». Il a cependant été reconduit dans ses fonctions. Un dossier embarrassant pour le secrétaire général des Nations unies.
Pour les employés du Bureau régional des Nations unies pour l’Afrique centrale (Unoca), la rentrée se fait dans un climat quelque peu anxiogène et teinté de colère à l’égard du siège de l’organisation. Déjà secoué par une crise de leadership et une situation financière fragile qui hypothèque son avenir (AI du 18/07/25), le bureau situé à Libreville fait face à une enquête interne contre son chef, en poste depuis 2022, le diplomate nigérien Abdou Abarry.
Confidentielles, les investigations ont été ouvertes il y a près de neuf mois après un signalement pour des faits « d’exploitation et d’atteintes sexuelles » perpétrés dans la capitale gabonaise par celui qui est également le représentant pour l’Afrique centrale du secrétaire général des Nations unies, António Guterres. L’enquête, sensible, fait suite au témoignage d’une fonctionnaire onusienne qui s’est rendue d’elle-même au quartier général à New York. Elle s’est appuyée sur le code de conduite de l’ONU, qui souligne que « tout membre du personnel qui a connaissance d’une suspicion d’exploitation ou d’abus sexuel a le devoir de le signaler immédiatement […]. Le défaut de signalement peut constituer en soi une faute disciplinaire ».
En dépit de ces accusations et des investigations, l’administration centrale de l’organisation internationale a décidé mi-août de reconduire Abdou Abarry à la tête de l’Unoca. Par prudence, son mandat de représentant spécial du secrétaire général de l’ONU n’a été étendu que de six mois au lieu d’un an.
« Tolérance zéro »
Ce maintien suscite une vive inquiétude parmi les cadres et le personnel civil étranger comme local du bureau qui, pour certains d’entre eux, ont fait confiance au système onusien de protection des lanceurs d’alerte et des témoins. Ce programme renforcé doit permettre de donner des garanties dans le cadre de la politique « tolérance zéro » à l’égard de tout comportement sexuel contrevenant au règlement.
Le diplomate nigérien, dont la fonction lui confère le rang de très haut fonctionnaire international, est exposé à « une responsabilité aggravée ». D’autant que les faits dont il est accusé relèvent de possibles infractions pénales. Il est en effet suspecté d’avoir sollicité et obtenu à plusieurs reprises des faveurs sexuelles monnayées avec des jeunes filles à Libreville durant son mandat. Ce qui est strictement prohibé et l’expose à de lourdes sanctions, comme le stipule le règlement du personnel de l’ONU.
À la gravité des prétendues infractions rapportées s’ajoute le risque que certaines des victimes présumées aient été mineures au moment des faits. Ce qui a déclenché l’ouverture d’une enquête par le Bureau des services de contrôle interne (BSCI). Des fonctionnaires de cet organe – qui rend compte au secrétariat général – se sont discrètement rendus sur place en juillet, profitant d’un congé d’Abdou Abarry pour mener à bien leur enquête. Ils ont recueilli la parole de potentiels témoins directs disposés à se livrer, à condition de bénéficier de la protection prévue par le règlement de l’ONU.
Soupçons d’entraves
À Libreville, les enquêteurs du BSCI ont constaté un climat de peur renforcé par de fortes pressions exercées sur des témoins, dont du personnel de l’Unoca, des collaborateurs directs d’Abdou Abarry, ou des employés exerçant dans sa résidence. Ces faits pourraient s’apparenter à des tentatives d’intimidation, notamment à travers des appels anonymes invitant d’un ton ferme, voire menaçant, à ne pas collaborer avec les enquêteurs. Certaines de ces communications ont été retracées comme émises depuis la Tunisie d’où est originaire un cadre sécuritaire de l’Unoca, considéré comme proche d’Abdou Abarry, et auquel s’intéressent les envoyés du BSCI.
Ces derniers ont également eu la surprise de constater la disparition, la destruction ou la manipulation d’éléments matériels qui auraient pu faire office de preuves. Il en va ainsi de certaines données de caméras de vidéosurveillance, de relevés de déplacements du chef de l’Unoca ou encore de quelques pages du cahier recensant les entrées et les sorties des visiteurs de sa résidence personnelle. Ce qui, selon plusieurs sources au fait du dossier à New York, éveille les soupçons sur un éventuel dessein d’entraver les investigations et d’y exercer une forme d’« ingérence ».
Si ces faits présumés sont caractérisés, ils peuvent là encore constituer une autre infraction lourde au règlement onusien de même qu’à la loi gabonaise. Interrogé par Africa Intelligence sur chacune des accusations le visant, Abdou Abarry, qui reste présumé innocent, n’a pas souhaité réagir.
Peur et écœurement
Au siège des Nations unies, à New York, ce dossier est jugé particulièrement délicat et embarrassant. Dans un tel contexte, la reconduction jusqu’en février 2026 d’Abdou Abarry, actée à la dernière minute par le secrétariat général malgré les vives réticences d’António Guterres, suscite une certaine gêne. D’autant que ce dernier plaide, depuis sa désignation en 2016, la « tolérance zéro » sur de tels griefs. En de telles circonstances, le règlement intérieur de l’institution prévoit, en plus du déclenchement d’une enquête, « une possible mise à pied immédiate ».
Or, au grand dam de témoins, aucun congé administratif n’a été imposé au chef de l’Unoca. Celui-ci a même effectué sa rentrée et pris part au sommet des chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), à Sipopo, près de Malabo, en sa qualité d’émissaire d’António Guterres.
Au sein du bureau de l’Unoca, des employés ayant accepté de se confier aux enquêteurs travaillent désormais dans la crainte d’être démasqués, pour ceux qui ne l’ont pas déjà été, et redoutent de nouvelles intimidations. La reconduction d’Abdou Abarry et l’absence de mesures disciplinaires préventives à son égard renforcent l’incompréhension teintée d’un « écœurement », notamment de la part du personnel international féminin. Le secrétariat général de l’ONU n’a, semble-t-il, pas encore pris de mesures particulières en matière de protection des témoins. Le règlement prévoit, entre autres, la réaffectation temporaire d’employés exposés et des dispositions pour « ordonner au responsable présumé d’éviter tout contact avec le témoin ».
« Abus d’autorité aggravé »
Les présumées tentatives d’obstruction de l’enquête, mais aussi d’intimidations sur des employés ayant accepté de livrer leur témoignage constituent de potentielles « fautes graves distinctes de l’infraction initiale ». De tels agissements peuvent « accélérer des mesures conservatoires » et exposer à des « mesures disciplinaires maximales ». Pour un haut responsable tel que le représentant spécial du secrétaire général, c’est aussi considéré comme « un abus d’autorité aggravé avec implication directe du secrétaire général ».
Sollicité à plusieurs reprises par Africa Intelligence, António Guterres à travers son porte-parole, Stéphane Dujarric, n’a pas souhaité réagir sur l’enquête en cours et sur les probables failles du processus onusien en matière d’application de sa politique « tolérance zéro ».
Entre 2017 et 2024, selon le rapport de 2025 du Corps commun d’inspection du système des Nations unies, 3 129 personnes ont été visées par une enquête après des allégations « d’exploitation et d’atteintes sexuelles ». Parmi elles, 34 % ont été reconnues coupables. Quant aux plus de 4 000 victimes reconnues, 26 % étaient âgées de moins de 18 ans.