Premier Grand Invité de l’économie Jeune Afrique – RFI de l’année, le fondateur de la start-up Studely dévoile en exclusivité son projet de néobanque et réagit aux propos polémiques du candidat d’extrême-droite à la présidentielle française.

Les propos du candidat Zemmour l’ont fait bondir. Expulser les étudiants étrangers ! Quelle hérésie, même le président Trump ne l’a jamais envisagé, rappelle le Camerounais Duplex Kamgang. Le fondateur de la start-up Studely est un fervent défenseur de la mobilité internationale. Entrepreneur multirécompensé (AFD, Digital Africa, BPI…), lui-même ancien élève de Skema Business School, ce natif de Douala en a même fait le cœur de son activité.

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Les deux années de pandémie n’ont pas entamé l’élan de sa société qui, depuis 2015, a déjà accompagné 10 000 étudiants de 65 nationalités différentes, majoritairement des Africains, dans leur installation en France et en Allemagne. En se connectant à la plateforme, les candidats, bacheliers ou déjà titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, peuvent verser les fonds nécessaires à l’obtention de leur visa, obtenir une garantie bancaire pour trouver un logement, et ce en déboursant, selon l’entrepreneur, deux fois moins qu’ils ne le feraient en passant par une banque locale.

Grand Invité de l’économie Jeune Afrique-RFI, le trentenaire revient, dans l’émission « Éco d’ici éco d’ailleurs » diffusée sur RFI samedi 8 janvier, sur les projets de Studely qui, en 2022, prévoit de boucler une nouvelle levée de fonds d’environ 5 millions d’euros, d’ouvrir ses services en Belgique et en Italie, mais aussi de devenir une néobanque. Découvrez, en avant-première, les moments forts de cet échange où il est aussi question de licornes, d’investissement et de politique.

Les États-Unis investissent massivement dans les étudiants étrangers parce que c’est la promesse d’une manne financière

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Jeune Afrique : Expulser des étudiants étrangers comme l’a promis Éric Zemmour s’il était élu président, le propos vous inquiète-t-il ?  
Duplex Éric Kamgang : Doublement. En tant que patron de Studely, dont ce serait la fin, mais encore plus en tant que citoyen. Sans entrer dans une polémique et sans parler des autres migrations dont je ne suis pas expert, Éric Zemmour se trompe. Ce n’est pas là qu’il y a un problème. Il veut faire l’inverse de ce que les autres font, à commencer par les États-Unis. Les plus grosses entreprises technologiques du monde, Microsoft, Google, ont aujourd’hui à leur tête d’anciens étudiants indiens.

Les États-Unis investissent massivement pour faire venir des étudiants étrangers parce que pour eux, comme pour la France, c’est la promesse d’une manne financière. C’est un apport économique non négligeable. Éric Zemmour propose d’aller à contre-courant du sens de l’histoire. Après, je prends ces paroles pour ce qu’elles sont : des propos électoralistes. Une fois le scrutin présidentiel passé, la réalpolitique prendra le dessus. On ne pas tout remettre en cause comme ça. Pour les écoles de commerce françaises, les étudiants étrangers représentent 20 à 25 % de leurs effectifs et ce serait compliqué pour elles d’y renoncer. 

95 % des projets de poursuite d’études en France passant par studely aboutissent

Cette année, Studely veut devenir une néobanque. Quels nouveaux services entendez-vous offrir ?  
C’était une demande formulée par beaucoup d’étudiants. Studely apporte de bonnes solutions en amont de leur venue en France mais, une fois sur place, ceux que nous accompagnons doivent encore ouvrir un compte bancaire pour leurs opérations quotidiennes. L’objectif est de pouvoir leur offrir une solution qui leur permette de se consacrer uniquement à leurs études. À partir de cet été, nous serons en capacité de leur fournir avant même leur départ un compte bancaire français pour payer les frais de scolarité, leur logement, la mutuelle étudiante, en leur permettant de récupérer une carte de de paiement dès leur arrivée en France. Nous leur offrirons une expérience bancaire complète. Nous voulons aussi faciliter les transferts d’argent à moindre coût pour permettre à leurs parents de les aider. Tous cela grâce à un partenaire bancaire français.

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Comment mesurez-vous la qualité de votre accompagnement ? Les étudiants qui passent par vos services réussissent-ils mieux ?  
La valeur ajoutée de notre service se situe surtout avant que l’étudiant n’arrive en France. Quatre-vingt quinze pourcent des projets de poursuite d’études en France qui passent par Studely aboutissent. Lorsque les étudiants recourent à nos services, la qualité de leurs dossiers facilite l’appréciation des services consulaires qui délivrent les visas. Ensuite, lorsqu’ils sont en France, nous ne sommes pas garants de leur suivi administratif, mais nous leur fournissons des conseils, nous leur proposons des jobs via des partenaires et ils bénéficient d’une oreille attentive pour les écouter.

La France devrait rester fidèle à ses valeursL’attractivité de la France a reculé ces dernières années pour les étudiants étrangers. Elle est désormais au cinquième rang, derrière les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie et l’Allemagne. Est-ce que Paris doit s’inquiéter ?  

Oui, mais j’apporte un message assez positif. La France a pris de bonnes mesures, même si elles doivent encore être améliorées. Par exemple, le package “Bienvenue en France” de Campus France a permis de labelliser les écoles en fonction de leur expertise dans l’accueil des étudiants étrangers. Bien sûr, il y a le bémol de l’augmentation des frais d’inscription dans les universités.

Vous l’évoquez, en 2018 le gouvernement français a décidé d’augmenter très fortement les frais d’inscription à l’université des étudiants étrangers en provenance des pays situés hors de l’Union européenne. En Angleterre, ceux-ci paient depuis longtemps beaucoup plus cher que les autres, et on constate que cela ne nuit pas à l’attractivité du pays.


Je répondrai avec beaucoup de nuance. L’Angleterre a un modèle particulier. La France semble vouloir aller dans ce sens pour améliorer la qualité de l’accueil et la qualité de l’enseignement en internationalisant davantage ses cursus. Pour ma part, je pense que la France devrait rester fidèle à ses valeurs. Maintenir les frais d’inscription à l’université tels qu’ils étaient et encourager le secteur privé à proposer des formations de qualité plus chères. Le risque de la nouvelle politique française est de dissuader des étudiants africains de venir. Heureusement, certaines universités ont décidé de ne pas pratiquer cette augmentation, mais je ne sais pas pour combien de temps.

Nous africains, avons compris qu’il faut venir se former en Europe, y commencer sa carrière, puis rentrer

 

Est-ce qu’avec Studely, vous ne contribuez pas à alimenter une fuite des cerveaux dont l’Afrique serait victime ? 
C’est une question complexe. Si je prends ma situation personnelle, j’apporte aujourd’hui plus à l’Afrique que lorsque j’étais sur le continent. Je ne considère pas cela comme une fuite de cerveaux et je pense plutôt que tous les gouvernements africains devraient encourager la mobilité étudiante. Après, chacun à son parcours propre et beaucoup d’étudiants veulent rentrer après leurs études. Nous Africains, avons compris, comme les Chinois autrefois, qu’il faut venir se former en Europe, y commencer sa carrière, puis rentrer. C’est le cas pour moi. J’ai quinze sociétés, dans quinze pays différents, et j’emploie plus de 70 personnes en Afrique et je suis très fier de contribuer à l’essor de l’économie africaine.

LES GAFAM SONT DES PARTENAIRES POTENTIELS QUI VONT TIRER VERS LE HAUT NOTRE ÉCOSYSTÈME TECH

Aujourd’hui, vous êtes vous-même investisseur. Qu’est-ce qui retient votre attention en premier lieu dans un projet ? 
C’est son impact pour les populations. Permettez-moi de vous parler d’une start-up dans laquelle j’ai investi récemment et que j’accompagne. Elle s’appelle FindMe et va faire sensation dans le domaine de la gestion urbaine. En trois clics, son application permet à tout individu de créer une adresse normalisée avec un numéro de maison, un nom de rue, et un code postal. Ses fondateurs ont signé avec la poste du Sénégal, et ils vont maintenant aller à Abidjan.

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En matière de start-up, l’Afrique manque d’investisseurs, d’argent ou de bons projets  ? 
L’argent, cela arrive. Je vais citer Wave, une application de transfert d’argent qui a levé 200 millions de dollars, Flutterwave, au Nigeria, qui, dans ce domaine également, a aussi levé environ cette somme l’an dernier. Les Américains qui ont plus d’argent en venture capital commence à investir en Afrique. Il manque plus, selon moi, non pas des bons projets, mais une bonne qualité de formation, un bon mindset (mentalité) pour les entrepreneurs. À ce niveau, mon expérience française m’a beaucoup aidé.

Je lance un appel à toute la diaspora pour aller investir en Afrique

Jusqu’à présent, les géants d’internet ont peu investi en Afrique au regard de leur puissance financière. Est-ce que vous pensez que cela va changer et imaginez-vous ces entreprises comme d’éventuels partenaires ?  
Cette situation est amenée à changer. Google a créé un fonds de capital-risque pour l’Afrique et a investi dans pas mal de sociétés. Et ce sont effectivement pour Studely et d’autre start-up des partenaires potentiels, qui vont tirer vers le haut notre écosystème tech.

Vous avez parlé de la réussite des étudiants indiens aux États-Unis. Vous pensez qu’un Africain pourrait prendre la tête d’un de ces géants de la tech ou en créer un sur le continent ?  

Je travaille pour ça aussi. Mon rêve, c’est que le continent compte dans les dix ans non pas deux, mais peut être cinq licornes africaines (sociétés valorisées à plus de un milliard de dollars). Je suis intimement convaincu que des Africains vont créer des licornes. Et je lance un appel à toute la diaspora pour aller investir en Afrique. C’est le moment. J’y suis depuis cinq ans, et cela se passe très bien.

Vous êtes fan de football. La CAN débute dans votre pays. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?  

 
Je suis dans un état d’esprit très festif. Même si j’aurais aimé une CAN encore plus apaisée. Nous avons coutume de dire au Cameroun que la CAN est sucrée. Elle aurait pu l’être davantage avec la mise en place d’un vrai dialogue avec la partie anglophone du pays et les partis d’opposition.

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique & RFI

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