Le coup d’État qui a renversé le président Alpha Condé et installé une junte menée par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya n’a pas, à ce jour, eu d’impact sur la production minière, qui continue. Dans les états-majors des grands groupes, on attend de voir les premières décisions des militaires, et on planifie pour gérer la transition.

Le coup d’Etat qui a renversé le président guinéen Alpha Condé, le 5 septembre, a eu un premier impact très direct sur la communauté d’hommes d’affaires active en Guinée. En plein embarquement du vol Air France Paris-Conakry, les cadres qui se préparaient à quitter la France ont tous été invités à rentrer chez eux, le trajet se voyant annulé à la suite de la fermeture de l’espace aérien par les putschistes du Groupement des forces spéciales (GFS), menés par Mamady DoumbouyaLes frontières aériennes et maritimes ont, depuis, été rouvertes.

Un putsch rapide, mais pas étonnant

De nombreuses entreprises minières présentes en Guinée avaient anticipé des troubles potentiels, sans savoir à quel moment ils auraient lieu, et ralenti le rythme des projets. La tension était en effet palpable depuis plusieurs mois dans le pays, le troisième mandat d’Alpha Condé n’ayant jamais été accepté par une large frange de la population et la répression de manifestations d’opposants ayant achevé de crisper la situation.

Face à cela et à une économie affectée par la pandémie de Covid-19, le lancement de nouveaux projets se faisait rare depuis début 2021, les investisseurs étrangers ayant pour la plupart pris le pari de patienter. Aucun, néanmoins, ne s’attendait à une intervention armée si rapide, alors que les vacances des Guinéens comme des expatriés se terminaient à peine, certains n’étant pas encore revenus dans le pays.

Premières mesures

Au lendemain du coup d’Etat, certaines entreprises doivent régler des problèmes concrets, comme la récupération de marchandises arrivées juste avant le putsch au port de Conakry pour de grands groupes n’ayant pas de bureaux ou d’employés sur place. Néanmoins, les entreprises attendent pour l’instant de voir l’évolution des événements pour prendre des décisions.

Ainsi, les grandes mines de bauxite du nord-ouest du pays demeurent en activité, à l’instar de celles de Société minière de Boké (SMB), de Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), de l’émirati Guinea Alumina Corp (GAC) et du russe Rusal. Les villes alentour, Boké et Sangarédi, sont restées le jour du coup d’Etat tout comme le lendemain, lundi 6 septembre, relativement calmes, malgré des mouvements populaires. De même, la ville portuaire de Kamsar, essentielle pour le secteur minier, n’a pas connu de débordements. Dans la zone de Siguiri, haut lieu de l’exploitation aurifère et fief d’Alpha Condé, la société sud-africaine Anglogold Ashanti poursuit la production d’or sur sa mine.

De premières mesures ont toutefois été prises pour assurer la sécurité des équipes. Certains, comme le producteur de bauxite sino-guinéen Alliance guinéenne de bauxite d’alumine et d’aluminium (AGB2A, AI du 16/06/20), ont demandé à leurs employés sur site d’y rester. D’autres évoquent simplement un protocole de sécurité renforcé pour protéger les actifs, comme le maintien des véhicules au sein des bases vie et un suivi régulier de la situation. A Conakry, peu d’employeurs ont enjoint aux salariés de se confiner chez eux. Après de fortes pluies au petit jour, la capitale guinéenne était assez calme au matin du 6 septembre, fonctionnant plutôt normalement malgré la fermeture de commerces. Le centre-ville de Kaloum était accessible, malgré des check-points.

La « neutralité » vis-à-vis des événements et des autorités politiques est de mise pour tous.

Bis repetita

Si peu d’industriels semblaient inquiets dans les heures qui ont suivi le coup d’Etat contre Alpha Condé, c’est aussi que la situation n’est pas neuve. Ainsi, comme le confiait à Africa Intelligence un ex-cadre de la CBG, qui exploite depuis les années 1970 la bauxite de Sangarédi, l’entreprise a déjà vécu plusieurs coups d’Etat – en 1984 par Lansana Conté, en 2008 par Moussa Dadis Camara – et des mutineries, notamment en 1996.

De même, Mamady Youla, ancien premier ministre de Guinée aujourd’hui à la tête de la Société des mines de fer de Guinée (SMFG), opérateur contrôlé par le magnat canadien Robert Friedland du projet de fer de Nimba (AI du 24/12/19), dirigeait la mine de GAC lors du putsch de 2008.

Quid des investissements futurs ?

Il n’empêche, l’avenir des mégaprojets miniers ou d’infrastructures encore en exploration et développement est soumis à l’évolution de la situation. Les banques, institutions internationales et autres fonds d’investissement devraient être prudents avant d’accorder des financements à des développements d’envergure. Le projet phare du pays, celui du gisement de fer géant de Simandou – opéré sur ses blocs 1 et 2 par Winning Consortium Simandou (dont les actionnaires singapouriens, chinois et guinéens le sont également de la SMB) et sur ses blocs 3 et 4 par l’australien Rio Tinto et le chinois Chinalco – est particulièrement concerné, nécessitant environ 15 milliards de dollars pour être mis en route.

La prise de position des gouvernements chinois et émiratis est attendue aussi, car ils participent à plusieurs projets en cours. Plusieurs sociétés publiques chinoises se sont positionnées pour appuyer le développement de Simandou comme d’infrastructures clés en Guinée. Abou Dhabi s’intéresse quant à lui à la construction des corridors d’évacuation ferroviaire dits « sud » et « central », pour lesquels l’émirati Ghantoot Group avait conclu un accord en mai avec le gouvernement guinéen (AI du 01/07/21).

Pour l’instant, la junte s’est voulue rassurante avec les investisseurs. Le 6 septembre, Mamady Doumbouya a annoncé que le couvre-feu en place dans le pays à partir de 20 h ne s’appliquait pas au secteur des mines, que les frontières maritimes étaient ouvertes à nouveau, afin de leur permettre de fonctionner, et qu’il respecterait les accords déjà signés. Néanmoins, personne ne sait encore véritablement comment les nouvelles autorités de Guinée réagiront avec les opérateurs, notamment ceux réputés proches d’Alpha Condé.

Le précédent changement de régime reste dans les têtes. Arrivé au pouvoir en 2010, Alpha Condé avait engagé, peu de temps après, la revue des contrats miniers en vigueur, ce qui avait notamment mené au retrait du permis détenu par Beny Steinmetz Group Resources (BSGR, de l’homme d’affaires israélien Beny Steinmetz) et le brésilien Vale sur les blocs 1 et 2 de Simandou, puis une série de combats judiciaires à plusieurs milliards de dollars (AI du 13/05/21).

Tchadanthropus-tribune avec La Lettre du Continent

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