Mutualiser les moyens pour assurer aux jeunes nations africaines des liaisons aériennes entre elles et à l’international. Le 28 mars 1961, à Yaoundé, onze pays posent les jalons de leur compagnie commune.

28 mars 1961. Cela fait moins d’un an que la plupart des anciennes colonies françaises sont indépendantes. La Conférence internationale des États indépendants d’Afrique n’a pas encore posé les jalons de ce qui deviendra l’Union africaine – il faudra attendre la réunion d’Addis-Abeba, en 1962.

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Mais de Léopold Sédar Senghor à Patrice Lumumba, nombre de dirigeants portent à bras-le-corps l’idée que l’union fera la force. D’autant qu’à l’Est comme à l’Ouest les puissances empêtrées dans la guerre froide cherchent à s’assurer le contrôle – ou du moins le soutien – des nouvelles nations.

C’est dans ce contexte qu’est signé, à Yaoundé, le Traité relatif aux transports aériens en Afrique, qui donnera naissance à la compagnie Air Afrique et qu’Afrique Action (devenu depuis Jeune Afrique) qualifie, dans sa livraison du 17 avril 1961, de « deuxième tentative africaine importante après celle du Mali » – après l’éphémère Fédération du Mali (rassemblant le Sénégal et le Mali), qui n’aura tenu que quelques mois.

Créer et maintenir l’amitié et la compréhension entre les États

« Le développement de l’aviation civile et en particulier du transport aérien peut contribuer puissamment à créer et à maintenir l’amitié et la compréhension entre les États contractants », assure le texte qui donnera naissance à Air Afrique.

LE PRÉSIDENT FÉLIX HOUPHOUËT-BOIGNY S’ÉTAIT FAIT LE COMMIS VOYAGEUR DE CE PROJET

Parmi les leaders des Indépendances qui signent le texte, on retrouve : Ahmadou Ahidjo (Cameroun), David Dacko (Centrafrique), l’abbé Fulbert Youlou (République du Congo), Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), Hubert Maga (Dahomey), Léon M’ba (Gabon), Maurice Yameogo (Haute-Volta), François Tombalbaye (Tchad), Moktar Ould Daddah (Mauritanie), Hamani Diori (Niger), et Mamadou Dia (Sénégal).

« En raison du poids économique de la Côte d’Ivoire en Afrique francophone, le président Félix Houphouët-Boigny, entouré d’une équipe très efficace, s’était fait, en quelque sorte, le commis voyageur de ce projet », relate Gervais Koffi Djondo dans ses mémoires, baptisées l’Afrique d’abord (2019, Présence africaine).

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L’union ne rassemble alors que d’anciennes colonies françaises, et celles-ci ne sont pas au complet : manquent le Togo, la Guinée, le Mali et Madagascar. Alors présidée par Philibert Tsiranana, la Grande Île était partie prenante des premières discussions sur le sujet, le 25 octobre 1960 à Abidjan et du 15 au 19 décembre à Brazzaville, mais avait fini par s’en retirer pour fonder Madair, qui deviendra Air Madagascar.

AIR AFRIQUE A ÉTÉ L’ILLUSTRATION CONCRÈTE DU PANAFRICANISME

« Il suffit de regarder une carte de l’Afrique pour comprendre l’abstention de Madagascar, la Grande Île de l’océan Indien, très nettement décentrée par rapport aux autres pays francophones fondateurs d’Air Afrique, largement ouverts sur l’océan Atlantique », écrit Gervais Koffi Djondo.

Ambitions politiques

« Moi, et, j’en suis persuadé, tous les jeunes de ma génération, nous avions vivement applaudi à la création d’Air Afrique », poursuit le Togolais, fondateur d’Ecobank et d’Asky, dans ses mémoires. « Air Afrique avait été exactement l’illustration concrète du panafricanisme. Elle avait été la fierté de notre jeunesse et apparaissait comme la manifestation évidente et l’aboutissement effectif de la volonté et de la capacité de nos États et responsables africains de transformer les discours et les idéaux panafricains en actes concrets et en institutions viables et utiles pour les peuples du continent ».

LES FRANÇAISES AIR FRANCE ET UAT S’ENGAGENT À ASSURER UN SOUTIEN TECHNIQUE À LA JEUNE COMPAGNIE

Dans sa livraison du 17 avril 1961, Afrique Action lie la décision de créer une compagnie aérienne africaine aux efforts des nations du continent pour mener une politique commune à l’ONU, construisant par exemple un « bloc africain » pour soutenir la candidature de la Mauritanie à l’ONU et résister avec plus de force aux pressions de l’Est et de l’Ouest.

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Si les motifs qui président à la création d’Air Afrique « sont plus politiques qu’économiques », comme le souligne Didier Bréchemier, associé chargé de la division transports chez Roland-Berger, le traité prévoit tout de même que les tarifs des services doivent être établis « de façon à assurer une rentabilité normale d’exploitation ».

Pari tenu

La compagnie, considérée comme une personne morale de droit privé, doit démarrer avec un capital social de 500 millions de F CFA, dont 66 % seront détenus à égalité par chacun des États fondateurs, le reste provenant des compagnies françaises Air France et Union aéromaritime de transport (UAT, qui deviendra l’Union de transports aériens – UTA – en 1963), qui en outre lui assureront un soutien technique.

DOUZE QUADRIMOTEURS DE TYPE DC DOIVENT CONSTITUER LA FLOTTE DE DÉPART

Les États signataires s’engagent à confier à la compagnie l’exploitation de leurs droits de trafic et de transports aériens à l’international – les liaisons internes pouvant, s’ils le souhaitent, rester de leur compétence.

Douze quadrimoteurs de type DC doivent constituer la flotte de départ de la compagnie, dont le siège social est fixé à Abidjan, mais qui sera dotée « dans chaque État d’un établissement ayant les attributs d’un siège social ».

 

Air Afrique, qui prévoit dans ses statuts d’« utiliser par priorité du personnel de la nationalité des États contractants possédant les compétences techniques et les brevets nécessaires », n’oublie pas la formation, sur laquelle doivent également coopérer les États-membres.

Les signataires du pacte comptent sur une mise en exploitation rapide, avant la fin de l’année 1961. Un pari tenu : les premiers vols long-courriers auront lieu en octobre.

 

 

 

 

 

 

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique.com

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