Commis par L’Union Africaine afin de convaincre le Tchad sur l’envoi d’un contingent militaire au Mali, Alioune Tine, président de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADHO), lève le voile sur la question. Dans la mêlée, il aborde également avec votre hebdomadaire, les questions liées aux conditions d’incarcération dans la prison de Moussoro, les cas Mahamat Saleh Annadif, Zen Bada et de Hissein Habré.


Quel est l’objet de votre visite au Tchad ?


Ce n’est pas pour la première fois que je viens au Tchad. Mon séjour du 14 au 16 juillet dernier se situe sur trois palettes : l’affaire Hissein Habré, la question de l’insécurité au Mali et l’affaire Mahamat Saleh Annadif.


La poursuite de l’ex-président Hissein Habré à la Cour Pénale Internationale à la Haye a duré plus de 20 ans sans suite. Les victimes courent derrière la justice sénégalaise pour le voir juger, sans succès. Certains parmi elles, sont déjà mortes, d’autres sont en train de mourir sans le moindre espoir. Aujourd’hui avec l’ère Macki Sall, l’espoir de voir un jour HH jugé soit au Sénégal soit en Belgique vient de renaître. En ce moment, les experts sénégalais et ceux de l’Union africaine travaillent sur son dossier pour accélérer la procédure et rattraper le retard. Le président Déby nous a confirmé, pour sa part, qu’il aidera la commission tchadienne mise sur pied pour les investigations, à avancer dans son travail.


S’agissant globalement de l’insécurité et de la fragilité de la sous région, plus précisément de la crise malienne, nous avons le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Djihadisme en Afrique de l’Ouest). Dans ce pays, il y a des organisations terroristes qui sont au Nord et qui organisent des crimes et trafic de drogues, de cigarettes et d’armes. C’est sur cette lancée que nous avons discuté  de ces  questions avec le président Déby, connaissant bien l’impuissance de la CEDEAO devant cette insécurité dans la bande Ouest africaine. C’est ainsi, aussi, que l’UA a porté son choix sur moi, en tant qu’émissaire, pour venir demander au Tchad de s’y impliquer pour résoudre au plus vite cette crise qui, si elle perdure, aura des conséquences néfastes incalculables. D’ailleurs, je ne vous le cache pas. En toute franchise, les soldats tchadiens ont une excellente réputation pour ces types de terrain, et sont de grands combattants.


C’est pourquoi, l’Afrique de l’Ouest compte beaucoup sur le Tchad pour sécuriser le Mali. C’est au vue de la détermination de l’UA et de la communauté internationale, que le Tchad est sollicité pour engager des pourparlers diplomatiques entre les concernés, pour aboutir à la cohésion nationale malienne. Cela dit, Bamako a de sérieux problèmes de gouvernance avec la junte malienne qui a depuis toujours eu des visées politiques. Malheureusement, le gouvernement qui a été formé, est très peu consensuel, peu représentatif et très contesté. Ce sont tous ces paramètres qui expliquent le choix porté sur le Tchad comme interlocuteur crédible et neutre pouvant prendre de bonnes décisions et les appliquer.


D’où viennent la menace et l’insécurité qui frappent présentement le Mali ?


Cette situation qui sévit aujourd’hui au Mali, provient de la guerre de la Libye, engagée par l’OTAN où la population s’est armée dans un laps de temps pour combattre le régime Kadhafi sans prévoir les conséquences. Après avoir atteint son objectif, l’OTAN s’est retirée, laissant la Libye dans un grand désordre et désastre provoqués par des mercenaires bien armés. Donc, la responsabilité des pays de l’OTAN est éminente dans l’existence aujourd’hui, d’une espèce d’Afghanistan en plein cœur de l’Afrique de l’Ouest. La guerre en Libye est une menace non seulement pour l’Afrique, mais aussi pour tous les Occidentaux. Ceux-ci ont pour seul but de déstabiliser l’Afrique de l’Ouest et L’Afrique en général par des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. C’est pour prouver cette allégation que la FIDH et Human Right Watch sont à Dakar en ce moment pour réunir des documents de ces crimes et éventuellement saisir la Cour pénale internationale. Donc, nous estimons que sur le plan diplomatique comme, militaire, le Tchad peut jouer un rôle fondamental avec la CEMAC et l’UA, pour former une troupe capable de sécuriser le Mali.


Le président Déby a-t-il accepté d’envoyer les soldats tchadiens au Mali?


Pas forcement. Quand nous avons rencontré le président Déby, il a été très sceptique. Il nous a posé beaucoup des questions sur la nature du pouvoir au Mali. Nous lui avons répondu que le pouvoir actuel au Mali est très faible et ne peut résoudre les questions fondamentales. C’est ainsi que l’UA a compris la nécessité d’avoir des interlocuteurs crédibles qui respectent leur parole et engagements afin d’éteindre le feu au Mali. Il faut comprendre que le président Déby est très sensible sur la question de la crise malienne et est d’avis pour accompagner ce pays dans sa recherche d’une paix durable. Le chef de l’Etat Idriss Déby Itno a fait une bonne déclaration lors du dernier sommet extraordinaire de l’UA en appelant le peuple malien au pardon et à la réconciliation nationale.


Vous étiez allé visiter la prison de Moussoro. Quelles sont les conditions de détention des prisonniers ?


Les conditions de vie et de traitement des prisonniers à Moussoro sont acceptables pour ne pas dire mieux. Les prisonniers sont traités selon les normes nationales exigées par les organisations des droits de l’Homme.


Avez-vous rencontré l’ex secrétaire général de la présidence Mahamat Saleh Annadif ? Si oui, qu’est ce que vous vous êtes dit ? NDLR, au moment où cette interview était réalisée, MSA n’était pas encore libéré.


Oui, mon séjour à Moussoro visait effectivement à rencontrer Annadif. Il vit dans des conditions assez correctes et acceptables. Il a le moral d’acier. Mais, il faut comprendre que l’arrestation d’Annadif nécessite beaucoup d’explications qui sont pour le moins difficiles à expliquer. J’ai rencontré assez de diplomates et organisations de la société civile africains avant de venir au Tchad. Ils m’ont exprimé leur préoccupation à ce sujet et m’ont demandé de faire beaucoup de plaidoyer pour sa libération immédiate. D’ailleurs, on a assez discuté de cela avec le président de la République dont nous attendons de voir les retombées dans bientôt.


Pourquoi dites-vous qu’il est difficile d’expliquer la cause de l’arrestation d’Annadif?


La question des droits de l’Homme nécessite un grand effort du gouvernement tchadien et des organisations de la société civile. Evoquant le problème de son arrestation avec le président Déby, il nous a fait comprendre qu’il laissera la justice faire son travail sans complaisance.


Est-ce que l’affaire de l’ex directeur des grands projets à la présidence de la République, Mahamat Zen Bada, ne vous préoccupe pas?


L’affaire Zen Bada est liée à celle d’Annadif évidement. Mais les deux personnalités n’ont pas le même gabarie sur le plan diplomatique au Tchad, en Afrique et dans le monde. Zen Bada m’a appelé au téléphone le 14 juillet dernier quand il a appris mon arrivée au pays. Nous n’avions pas assez discuté sur son arrestation mais plutôt sur son état de santé. Néanmoins, nous faisons le plaidoyer pour tout le monde afin que les droits humains soient respectés.


J’en profite pour lancer un appel aux autorités et dirigeants politiques et publics tchadiens de promouvoir la démocratie et les droits humains. Aussi  rappeler aux journalistes et autres organisations de la société civile à beaucoup plus de professionnalisme. Car, l’Afrique est un continent qui est extrêmement riche en ressources humaines. Il ne lui manque que la paix durable et définitive pour son développement.

Interview réalisée par Golbé Augustin Calas

 

 

 

 

 

 

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