Libéré en septembre au Tchad, Baba Ladé s’est depuis exilé au Cameroun, au Nigeria et maintenant au Sénégal. Depuis Dakar, il affirme vouloir rentrer à N’Djamena et tourner la page des années Déby.

Au bout du fil, la voix semble fatiguée. Ce 10 mars, Mahamat Abdoul Kadre Oumar, alias Baba Ladé (un surnom hérité de sa grand-mère), revient d’une visite chez son médecin, qui lui a une nouvelle fois prescrit du repos. De retour à son domicile, qu’il occupe depuis un peu plus d’un mois, l’ancien gendarme puis rebelle, qui a combattu entre 1998 et 2012 au Tchad mais aussi en Centrafrique, ne peut toutefois s’empêcher de replonger dans la bataille qu’il mène actuellement pour revenir dans le jeu politique tchadien.

Fin février, depuis le Sénégal où il se trouve désormais, il a présenté sa candidature à l’élection présidentielle du 11 avril au nom du Front populaire pour le redressement. Las, le 3 mars, la Cour suprême a rejeté son dossier, estimant que son parti n’avait pas été dûment reconnu par le ministère de l’Administration du territoire. La Cour a également indiqué que l’extrait de casier judiciaire fourni par l’intéressé n’était pas conforme aux exigences légales.

« Le pouvoir veut me faire comprendre que je ne dois pas me mêler de politique et que je ne dois pas chercher à relancer mon parti, affirme Baba Ladé. Pourtant, ce sont les termes de l’accord que j’ai signé avec le Tchad en 2012 sous l’égide de l’ONU : je renonçais aux armes pour privilégier les moyens politiques. » À la suite de cet accord, Baba Ladé (« père de la brousse » en langue peule) avait été nommé conseiller à la primature tchadienne début 2013, mais la bonne entente avec le pouvoir de N’Djamena n’a pas duré.

En exil depuis décembre

Un temps exilé, il voyage au Nigeria, au Niger ou au Bénin avant de rentrer une nouvelle fois au Tchad et d’y être nommé préfet quelques mois, fin 2014. Nouvelle fuite, vers la Centrafrique, où ses hommes prennent part à des combats. Arrêté début décembre par la Minusca, il est transféré à N’Djamena le 2 janvier 2015 et placé en détention à Koro Toro, avant d’être condamné en 2018 à huit ans d’emprisonnement pour, entre autres, « association de malfaiteurs » et « viol ».

Transféré à N’Djamena puis à Moussoro, il est libéré le 7 septembre 2020, grâce à une remise de peine présidentielle. « Pendant ma détention, j’ai été en contact avec un haut gradé de l’armée et un représentant de l’ANS [Agence nationale de sécurité, les services de renseignement]. On m’avait assuré que je pourrai sortir et être pris en charge pour vivre correctement. Mais rien n’a été fait. C’est ma famille qui s’est organisée pour me loger et je n’ai pas pu faire un vrai bilan de santé », raconte l’ex-rebelle.

Baba Ladé se sent menacé. Au fil de discussions avec des proches de la présidence, il acquiert la conviction qu’il n’est pas le bienvenu à N’Djamena. Sous prétexte d’aller se faire soigner à l’étranger de séquelles de ses années de prison, l’ancien patron de milice – qui a notamment eu pour bras droit en Centrafrique un certain Ali Darassa – décide de prendre la route le 3 décembre. Sans passeport valide, le sien ayant expiré, il passe la frontière camerounaise en voiture avec une simple carte d’identité et se dirige vers Yaoundé, où il arrive le 6 décembre.

Facilitateur pour le compte du Nigeria.

Prudent – les présidents Idriss Déby Itno et Paul Biya entretenant d’excellentes relations -, Baba Ladé envoie un émissaire auprès de Martin Mbarga Nguélé, le délégué général à la Sûreté nationale. Officiellement, il prévient le premier flic du pays de son « intention » de se rendre au Cameroun, alors même qu’il loge déjà dans un hôtel de la capitale camerounaise. Un conseiller de Paul Biya reçoit le même message. La démarche est infructueuse : les autorités le déclarent discrètement persona non grata. « Sous pression de N’Djamena », affirme l’intéressé.

Contacté par Jeune Afrique, Yaoundé se refuse à commenter ces soupçons. Toujours est-il qu’une semaine après avoir posé ses valises dans les environs de la colline d’Etoudi, Baba Ladé reprend la route, direction le Nigeria. Toujours muni de sa seule carte d’identité, il arrive à Abuja mi-décembre. L’ancien rebelle y a quelques amis, pour y avoir vécu quelques années, et dispose d’entrées parmi les proches du président Muhammad Buhari. Le pouvoir nigérian lui est a priori plus favorable que son voisin camerounais.

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On lui conseille toutefois de « faire profil bas ». Pas question pour les autorités de froisser outre mesure les Tchadiens, avec qui elles combattent l’État islamique en Afrique de l’Ouest sur les rives du lac Tchad. Logé par ses contacts nigérians, Baba Ladé, toujours bien connecté avec les réseaux peuls de la sous-région, effectue discrètement quelques missions d’intermédiation pour le compte d’Abuja, notamment auprès d’un chef rebelle, Mallam Kabirou, dans l’État de Zamfara.

« Tourner la page du système Déby »

Mais sa présence finit par déranger, raconte-t-il. Aux alentours du 20 janvier, il décide de reprendre la route, direction le Bénin puis le Sénégal. Il pose ses valises à Dakar le 28 janvier. Le lendemain, il écrit au président Macky Sall : « Si vous me voyez entrer dans votre pays incognito, c’est parce que je suis traqué par les autorités tchadiennes [qui] me perçoivent comme un ennemi, en continuant à me harceler ». Dans le même courrier, il sollicite une audience auprès du chef de l’État, requête restée sans réponse.

Courrier de Baba Laddé à Macky Sall, le 6 mars 2021.

Dans trois autres missives entre le 14 février et le 6 mars, il explique sa situation aux ambassadeurs de France et des États-Unis à Dakar, ainsi qu’au médiateur de la République sénégalaise, Alioune Badara Cissé. Le 19 février, il expédie même un autre courrier au Congo-Brazzaville, détaillant son cas et sa position d’« ennemi public » et de « bouc-émissaire » au président Denis Sassou Nguesso, à qui il demande de favoriser, via la Cemac, un « dialogue pré-électoral avec les forces politiques et sociales » au Tchad avant le scrutin du 11 avril. Ces courriers sont tous restés sans réponse.

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« Mon objectif est de parvenir à un accord avec Idriss Déby Itno pour reprendre mes activités politiques au Tchad », assure Baba Laddé. L’ancien rebelle est, à distance, en contact avec un haut cadre du Mouvement patriotique du salut (MPS, au pouvoir), ainsi qu’avec l’ANS, où le même officier traitant le suit depuis des années. Il discute également avec Mahamat Abdelkerim Charfadine, directeur général des Douanes et surtout ancien numéro deux des renseignements tchadiens.

Via son avocat à N’Djamena, Alain Kagombé, l’ancien rebelle de 50 ans se prépare également à contester son éviction de la prochaine présidentielle devant la Cour suprême tchadienne ainsi que devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. « Le pouvoir me criminalise en voulant créer une rupture entre le Front populaire pour le redressement et l’opinion nationale tchadienne, conclut-il depuis son refuge de Dakar. Mais je suis déterminé à agir pour provoquer l’alternance et tourner la page du système Déby. »

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique

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