Le Tchad conteste la nomination par le Cameroun du nouveau président de la Banque de développement régionale et exige le respect du principe de rotation.

Une vidéo de la présidence tchadienne dans laquelle s’expriment Hamid Tahir Nguilin, le ministre tchadien des Finances et du Budget, et son homologue de l’Économie, Mahamat Hamit Koua, remet en cause la nomination, le 13 avril dernier, du Camerounais Dieudonné Evou Mekou comme président de la Banque de développement de l’Afrique centrale (BDEAC).

Pas de consultations

« Nous avons appris avec une certaine surprise qu’un changement va s’opérer avec la nomination d’un nouveau président. Le Tchad, qui est membre historique de cette banque et qui est par ailleurs dépositaire des textes de la communauté, s’en tient au respect desdits textes et des procédures pour ce qui concerne la nomination des dirigeants de nos organisations. Ces nominations obéissent à un critère de rotation par ordre alphabétique. Le Tchad n’a pas dirigé la BDEAC depuis longtemps. Son tour est venu […] Le Tchad n’a pas encore présenté de candidature mais il va le faire. » Le propos insiste sur le fait que la nomination d’Evou Mekou a été décidée en dehors de la conférence des chefs d’État, du conseil des ministres ou du conseil d’administration de la BDEAC, les seules instances habilitées à le faire, selon lui.

« Les nominations des dirigeants des institutions communautaires donnent lieu à des concertations lors des sommets ou bien à des consultations bilatérales. Nous avons vainement attendu un émissaire de Yaoundé. En outre, le ministre camerounais de l’Économie [Alamine Ousmane Mey] était à N’Djamena l’année dernière. Nous lui avons posé la question sans obtenir de réponse concrète », confie une autre source gouvernementale tchadienne.

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La vidéo fait suite à l’audience accordée par Mahamat Déby Itno, le président du Conseil militaire de transition du Tchad, à l’Équato-Guinéen Fortunato Ofa Mbo Nchama, le président sortant de la BDEAC. La teneur de la rencontre n’a pas été dévoilée mais, selon nos informations, le message de l’Equato-Guinéen ne serait pas différent de celui porté par le grand argentier tchadien. Tant que le Cameroun – qui assure la présidence en exercice de la Communauté – ne convoque pas une conférence des chefs d’État, il ne saurait y avoir de changement à la tête des institutions communautaires. Puisque c’est cette instance qui l’avait désigné, ainsi que ses prédécesseurs.

Problème de rotation

Selon nos informations, plusieurs mandats arrivent à leur terme en 2022. Conformément au principe de rotation par ordre alphabétique, le Gabonais Daniel Ona Ondo devrait céder son fauteuil à la présidence de la Commission à un ressortissant équato-guinéen, tandis que la vice-présidence devrait revenir à un Camerounais. Quant au président de la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf), le Tchadien Nagoum Yamassoum, il devrait céder sa place à un Camerounais.

SELON UNE RÈGLE NON ÉCRITE, UN SEUL ET MÊME PAYS NE DEVRAIT PAS ÊTRE À LA TÊTE À LA FOIS DE LA BANQUE CENTRALE ET DE LA BANQUE DE DÉVELOPPEMENT

Mais l’application du principe de rotation va poser problème dans le cas de la BDEAC. Tout commence en 2015, lorsque vient le tour de la Guinée équatoriale de nommer le président de la Banque. À cette date, le gouverneur de BEAC, Lucas Abaga Nchama, est équato-guinéen. Or selon une règle non écrite, un seul et même pays ne devrait pas être à la tête à la fois de la banque centrale et de la banque de développement. Pis, le candidat proposé à la BDEAC par la Guinée équatoriale, Rafael Tung Nsue, ex-patron de la Cosumaf, avait mauvaise réputation à Brazzaville, siège de l’institution, à cause d’un litige. Les autorités congolaises ne lui pardonnaient pas d’avoir refusé de payer les indemnités de départ de son prédécesseur à la Cosumaf, le Congolais Alexandre Gandou.

C’est ainsi que la Guinée équatoriale recule et passe son tour. Pris au dépourvu, le Tchad doit proposer en urgence un candidat. Idriss Déby Itno donne séance tenante le nom de son neveu, Abbas Mahamat Tolli. « Le Tchad a eu à occuper le poste uniquement à la demande de la conférence des chefs d’État. Cela n’enlève rien au fait que c’est son tour à présent. Et on peut décompter le nombre d’années qui nous reste. Cela ne nous gêne pas », poursuit notre autorité de N’Djamena.

Abbas Tolli accepte de mauvaise grâce non sans rappeler à son oncle que son ambition s’orientait vers la Banque centrale, la BEAC. Il obtiendra gain de cause : il ne passera que 18 mois au siège de la BDEAC, à Brazzaville, et prendra les commandes de la BEAC en 2017. À Brazzaville, l’Equato-Guinéen Ofa Mbo récupère le mandat inachevé du Tchadien Abbas. « Cette décision avait en son temps été contestée par le Cameroun, qui a fini par se résoudre à l’évidence de cette nomination », relève un dirigeant communautaire, contacté par Jeune Afrique. Les Camerounais ont estimé qu’il était naturel de prendre la suite, conformément au principe de rotation.

Passage en force ?

N’Djamena est-il fondé à exiger un retour en arrière pour un nouveau mandat à la tête de la BDEAC ? « D’autant que le Tchad tomberait également sous le coup de la règle non écrite qui interdit de confier BEAC et BDEAC à un seul et même pays », explique un expert qui requiert l’anonymat. Car Abbas Tolli dispose encore d’une année et demie à la tête de la banque centrale. Le débat est ouvert et devrait être tranché par les chefs d’État pour éviter une crise.

LA DIPLOMATIE NE FONCTIONNE PLUS, ALORS LES TCHADIENS VONT AU CLASH

Selon un expert de la communauté qui a requis l’anonymat, « cette affaire montre que le principe de rotation ne fonctionne pas. Dans le même temps, elle est symptomatique du climat délétère qui règne au sommet de la Cemac. La diplomatie ne fonctionne plus, alors les Tchadiens vont au clash. » Un haut fonctionnaire communautaire estime qu’il appartient au président de la Commission de la Cemac, garant des textes de la Communauté, de donner une interprétation permettant de trouver une issue. Or, le 3 mai, Daniel Ona Ondo a notifié au président sortant de la BDEAC la nomination de son successeur, en la personne de Evou Mekou. Va-t-il donc se dédire ?

Le Gabonais vient d’être convoqué à N’Djamena, où il devra s’expliquer dès mardi prochain. « Il essaie de passer en force avec la complicité de certaines autorités camerounaises. En tant que dépositaire des textes, il est censé être à équidistance des États », martèle notre source dans la capitale tchadienne.

Rencontre urgente des chefs d’État ?

Le fait que la déclaration du Tchad se fasse alors que Fortunato Ofa Mbo séjourne à N’Djamena donne libre cours à un soupçon de manipulation de sa part. Et le dirigeant communautaire d’esquisser un scénario. « En l’absence de la conférence des chefs d’État, Ofa Mbo et le Tchad contestent la nomination de Evou Mekou, le temps nécessaire pour que le mandat du gouverneur de la BEAC prenne fin. Pendant ce temps, Ofa Mbo reste en poste. Ainsi, le Tchad met en avant l’argument de non cumul des postes de responsabilité et demande à présider la BDEAC. »

Pour démêler cet écheveau, le haut fonctionnaire suggère la tenue urgente d’une rencontre des chefs d’État. Le sujet ainsi que le dossier du Bitcoin en Centrafrique l’exigent. Pour l’heure, N’Djamena semble disposé à faire une concession. « Si le Camerounais [Evou Mekou] occupe le poste provisoirement, nous n’y voyons aucun inconvénient », glisse notre interlocuteur.

Jeune Afrique

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