15 février 2023 #TCHAD #Centrafrique : Hassan Bouba, l’ex-espion tchadien devenu intouchable à Bangui.
Formé au Tchad, engagé dans la rébellion en Centrafrique, le ministre de l’Élevage de Faustin-Archange Touadéra est aujourd’hui l’un des partenaires privilégiés du groupe Wagner à Bangui. Une histoire digne d’un roman d’espionnage.
À l’étage du bâtiment principal du ministère de l’Élevage et de la Santé animale, Hassan Bouba règne en maître sur les quarante mètres carrés qui lui servent de bureau. Sur sa large table de travail fabriquée en Chine, quelques piles de dossiers, trois téléphones et un ordinateur à écran plat. Un confortable fauteuil à roulettes est réservé au ministre, tandis que deux sièges sont installés face à lui pour ses visiteurs.
Dans le petit salon attenant, un frigo est branché, chargé de maintenir l’eau et les jus de fruits au frais. Sur le petit appareil, une bouteille d’alcool blanc est aussi posée. De la vodka. Hassan Bouba en est friand et déguste régulièrement quelques verres avec ses interlocuteurs, en particulier russes. Le breuvage lui a d’ailleurs été offert par l’ambassade de Russie en Centrafrique. La récompense de bons et loyaux services ? Depuis 2018, l’ancien rebelle s’est imposé à Bangui comme l’un des partenaires privilégiés des hommes de Moscou et du groupe Wagner.
Informateur de l’ANS
Rien ne l’y prédestinait pourtant. Né à N’Djamena en 1983, Hassan Bouba grandit dans la capitale tchadienne, où il obtient son baccalauréat et s’engage dans des études de journalisme. Au début des années 2000, il multiplie les petits boulots, notamment dans la vente de bétail, tout en travaillant pour Dja FM, une radio associative et privée fondée en 1998. Le Tchadien y intervient alors dans des émissions en langue arabe, très écoutées par la jeunesse. Mais sa vie dans le monde des médias va tourner court.
Il va en effet embrasser la cause d’une figure montante au Tchad, Baba Laddé. Mahamat Abdoul Kadre Oumar, de son vrai nom, a fondé en 1998 le Front populaire pour le redressement (FPR) afin de défendre les intérêts des éleveurs peuls de sa région d’origine, le Mayo-Kebbi Est. Après un séjour en prison, il s’est exilé au Nigeria puis a travaillé à étendre son influence et son mouvement au Cameroun, en Centrafrique et, bien sûr, au Tchad, où une nouvelle rébellion composée de Mahamat Nouri, Mahamat Nour Abdelkerim et Timan Erdimi s’attaque à Idriss Déby Itno.
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Courtisé, Baba Laddé saisit l’occasion et négocie son ralliement. Il devient l’un des personnages clés du sud et de l’est du pays. Or l’un de ses bras droits n’est autre qu’un certain général Nyem, un oncle d’Hassan Bouba, dont ce dernier est très proche. Au milieu des années 2000, le journaliste intègre donc le FPR et la lutte armée. Sa vie vient de basculer. D’autant que, dans le même temps, le natif de N’Djamena est approché par l’Agence nationale de sécurité (ANS), qui se cherche un informateur auprès de Baba Laddé. L’animateur radio devient espion.
Infiltré dans la Séléka
Dans les carnets de la tentaculaire agence de renseignement tchadienne, Hassan Bouba prend peu à peu de l’importance, sous les directeurs généraux Mahamat Ismaïl Chaïbo (2004-2010) et Abdramane Ramadan Erdebou (2010-2013). Mais c’est Djiddi Saleh Kedellaye qui va donner une nouvelle impulsion à sa mission. Arrivé à la tête de l’ANS en mars 2013, celui-ci va charger Hassan Bouba d’infiltrer la Séléka, la nouvelle coalition rebelle qui, en Centrafrique, menace de renverser le président François Bozizé.
Hassan Bouba est le candidat parfait. Au sein du FPR, il a déjà commencé à se rapprocher d’un autre rebelle, Ali Darassa. Ce dernier est le principal lieutenant de Baba Laddé en Centrafrique et il a noué des liens étroits avec la Séléka dès le début de 2012. L’infiltration se met en place, au-delà des espérances des maîtres-espions de N’Djamena, qui y voient l’opportunité de garder un œil sur la rébellion anti-Bozizé. Hassan Bouba se rend rapidement indispensable auprès d’Ali Darassa. Lorsque la Séléka conquiert le pouvoir à Bangui en 2013, il est aux premières loges.
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« Il s’est imposé auprès d’Ali Darassa, qui a fini par en faire son premier lieutenant », explique l’un de ses proches. La Séléka est chassée du pouvoir début 2014 par l’intervention de l’armée française, sous mandat de l’ONU, mais Ali Darassa et Hassan Bouba rebondissent facilement. Contrôlant en partie la région de Bambari, prétextant la défense des populations peules, Ali Darassa reprend son indépendance, rassemble ses troupes et fonde l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC). Hassan Bouba en devient l’un des cadres.
Intermédiaire d’Ali Darassa
Francophone, il prend encore du galon. « Ali Darassa, qui ne parle pas vraiment français, a fait de lui son intermédiaire auprès de l’opération Sangaris et des Français comme l’ambassadeur Charles Malinas et l’attaché de défense Jean-Luc Jamin », poursuit notre source. Il se rapproche également de Jean-Jacques Demafouth, le conseiller de Catherine Samba-Panza, présidente de la transition au pouvoir à Bangui. De Bangui à Bambari, il est le visage de l’UPC.
IL ASSISTAIT À TOUS LES RENDEZ-VOUS DE DARASSA AVEC LES FRANÇAIS
Il n’est alors pas rare de le voir effectuer des allers et retours dans un hélicoptère des Nations unies avec Jean-Jacques Demafouth, ou dans un Transal en compagnie du général français Francisco Soriano. « À Bambari, il assistait à tous les rendez-vous de Darassa avec les Français », se souvient un autre de ses proches. En 2015, le voilà même devenu le grand argentier de l’UPC. Signe de son importance, Hassan Bouba prend progressivement la main sur la distribution des soldes aux « gradés » de l’UPC et supervise le ravitaillement des troupes.
Surtout, il organise le prélèvement de taxes sur le terrain, sur le bétail ou le café. Selon un membre de son entourage, il est également à la manœuvre lors des négociations avec la Sucrerie africaine de Centrafrique (Sucaf RCA, filiale de la Somdiaa, appartenant à 87 % au groupe français Castel). « C’est lui qui a négocié la taxe sécuritaire que l’UPC a fait payer à la Sucaf, notamment pour son site de Ngakoko », précise notre source. Selon l’ONG américaine The Sentry, le montant des sommes touchées par l’UPC s’élève à plusieurs dizaines de milliers d’euros entre 2014 et 2021.
L’ami de Moscou…
Alors que Faustin-Archange Touadéra arrive au pouvoir en 2016, Hassan Bouba se présente comme le coordinateur politique de l’UPC. Mais il reste impliqué en tant que donneur d’ordre dans certaines opérations de terrain, comme l’attaque du camp de réfugiés de la ville d’Alindao, le 15 novembre 2018 , qui fera au moins 112 morts et qui lui vaut d’être suspecté par l’ONU de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Interlocuteur des puissants, il va surtout faire la connaissance des futurs maîtres de Bangui : des Russes employés par une société dont l’Afrique ignore encore le nom : Wagner.
Dès 2017, le groupe de mercenariat a en effet envoyé ses premiers hommes en Centrafrique, notamment Valery Zakharov et Dmitri Sytyi, qui vont profiter du chaos centrafricain pour s’imposer. Au cours de 2018, ils prennent contact avec chacun des groupes armés du pays. Par l’intermédiaire d’un autre seigneur de guerre, Noureddine Adam, ils se rapprochent d’Ali Darassa au nom de leur patron, Evgueni Prigojine, et du gouvernement centrafricain. Les Russes ont un objectif : amener les rebelles à la table des négociations et parvenir à des accords de paix, tout en s’implantant eux-mêmes, grâce à des sociétés créées pour l’occasion, sur le territoire centrafricain.
Une opération « gagnant-gagnant », expliquent-ils aux Centrafricains. Et comme précédemment avec Sangaris, Ali Darassa choisit Hassan Bouba comme intermédiaire. Entre les hommes de Prigojine et le natif de N’Djamena, le courant passe. En septembre 2018, Hassan Bouba convainc donc Ali Darassa de se rendre à Khartoum, au Soudan, pour approuver le processus de réconciliation entre les groupes armés et le gouvernement. Quelques mois plus tard, le 6 février 2019, les accords de paix sont signés et ratifiés par Faustin-Archange Touadéra. L’idylle entre Bangui et Moscou a débuté.
… et le partenaire de Wagner
Hassan Bouba se croit-il alors à l’apogée de son influence ? Grâce au groupe Wagner, il est devenu encore plus incontournable. Comme il l’avait fait auprès de la Sucaf, il négocie pour l’UPC l’autorisation accordée aux Russes d’exploiter la mine d’or géante de Ndassima. Une rente non négligeable, pour le groupe armé comme pour lui. Pourtant, les accords de février 2019 le laissent sur sa faim.
À PARTIR DE 2019, LE FOSSÉ S’EST CREUSÉ ENTRE ALI DARASSA ET LUI
En contrepartie de sa signature, Ali Darassa a en effet obtenu un poste de conseiller à la primature. Un cadre de l’UPC, Amadou Bi Aliou, a également été nommé ministre de l’Élevage et de la Santé animale, tandis qu’un autre, Souleymane Daouda, se retrouve propulsé à l’Enseignement secondaire. Hassan Bouba, lui, doit se contenter d’un poste de ministre-conseiller à la primature. « Il l’a mal vécu et a progressivement affiché son mécontentement », se souvient un de ses proches. Quelques mois plus tard, il décide de prendre les choses en main.
Fin 2020, il rédige une lettre à en-tête de l’UPC, au nom d’Ali Darassa, afin d’obtenir le remplacement d’Amadou Bi Aliou par… lui-même. La manœuvre fonctionne. Faustin-Archange Touadéra le nomme au ministère de l’Élevage, malgré la protestation du numéro un du groupe armé, qui affirme ne pas être l’auteur de la missive. « C’est à partir de là que la relation entre Ali Darassa et Bouba s’est clairement détériorée », poursuit notre interlocuteur. Lorsque l’UPC rompt les accords de paix de 2019, le ministre choisit de rester au gouvernement et de jouer un peu plus sa propre carte à Bangui.
Intouchable
Fin 2020, l’UPC et Ali Darassa intègrent la nouvelle Coalition des patriotes pour le changement (CPC), qui s’est donné pour mission de renverser Touadéra et de conquérir Bangui. Hassan Bouba, qui s’est éloigné de son ancien chef, prend alors une nouvelle fois de la valeur. « Touadéra et les Russes de Wagner ont saisi l’occasion de le récupérer. Ils l’ont maintenu au gouvernement. En échange, Hassan Bouba leur donnait tous les renseignements dont il disposait sur l’UPC », confie un de ses visiteurs réguliers.
« Son objectif était de pousser certains lieutenants à déserter. Il soulignait qu’Ali Darassa était allié à François Bozizé, l’ancien président qui avait fait tuer leurs familles par les anti-balaka », poursuit notre source. Progressivement, le ministre prend sous son aile une partie des troupes de l’UPC. Des combattants dont il va monnayer l’engagement aux côtés de ses alliés russes. « Wagner cherche depuis fin 2021 surtout à recruter des locaux pour s’étendre dans le pays et sécuriser ses sites commerciaux et miniers. Hassan Bouba offre ce service », explique un spécialiste du groupe.
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Lors de chacun des recrutements, le ministre prélève bien entendu sa commission. Selon nos sources, il est rémunéré directement en argent liquide par le patron de Wagner à Bangui, Vitali Perfilev, lors de discrets mais réguliers rendez-vous au bureau de ce dernier, au camp de Roux. « Cela s’ajoute à ce qu’il touche grâce aux accords conclus autour des sites miniers », assure un de ses proches, qui évoque une « très confortable » fortune personnelle, étoffée grâce à des partenaires d’affaires au PK5 de Bangui.
Où s’arrête son influence ? Interpellé le 19 novembre 2021 par la Section de recherches et d’investigations dans le cadre d’une enquête de la Cour pénale spéciale (CPS) sur les massacres d’Alindao, il avait été libéré quelques jours plus tard après une intervention de ses alliés de Wagner et sur décision de Faustin-Archange Touadéra. Un événement hautement symbolique dénoncé au plus haut lieu dans les instances onusiennes.
Depuis, Hassan Bouba a réintégré ses quarante mètres carrés du ministère de l’Élevage et son domicile du PK5. S’il semble avoir mis fin à sa relation avec l’ANS tchadienne, il dispose aujourd’hui d’un des carnets d’adresses les plus redoutables de Centrafrique, dans lequel figurent en bonne place Bertrand Arthur Piri (ministre de l’Énergie), Jean-Claude Rameaux-Bireau (Défense) – deux neveux de Faustin-Archange Touadéra – ainsi qu’Obed Namsio, ministre-directeur de cabinet et confident du chef de l’État. « L’épisode de son arrestation l’a consacré comme un intouchable », sourit un de ses visiteurs.
Jeune Afrique
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