Après plus de six mois de flottement, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov s’apprête à nommer un nouvel ambassadeur à Bangui. Dans le même temps, le groupe paramilitaire russe Wagner, dont l’éminence grise Evgueni Prigozhin s’est rendu en RCA, revoit son dispositif sur place. Révélations.

Un visage bien connu des correspondants des médias internationaux à Moscou s’apprête à s’installer sur les bords de l’Oubangui : Alexander Bikantov, 61 ans, est pressenti pour devenir le nouvel ambassadeur russe à Bangui. Il devrait poser ses valises dans la capitale centrafricaine au mois de janvier. Si ce diplomate est un familier des journalistes, c’est parce qu’il est depuis 2014 le directeur adjoint du service de communication du ministère des affaires étrangères russe. Il a, à ce titre, régulièrement joué les avocats de la présence russe en Centrafrique.

C’est donc davantage un profil de communicant que de spécialiste de l’Afrique que privilégierait le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, au moment où l’activisme russe dans le pays doit essuyer de violentes critiques internationales. Alexander Bikantov succédera à Vladimir Titorenko, dont les pratiques ont été jugées « peu diplomatiques » et qui est reparti cet été à Moscou. Titorenko a commis plusieurs dérapages de communication, allant jusqu’à prendre à partie l’opposition centrafricaine (AI du 14/05/21).

Un contretemps lié à Wagner

La venue d’Alexander Bikantov semble cependant connaître quelques contretemps. Le diplomate devait initialement prendre ses fonctions à l’occasion de la fête nationale, le 1er décembre, à Bangui. Le défilé militaire s’est finalement déroulé sans lui. L’avant-veille de l’événement, le président russe Vladimir Poutine avait néanmoins pris soin de téléphoner en personne au chef de l’Etat centrafricain Faustin Archange Touadéra durant une trentaine de minutes.

Si l’arrivée de Bikantov a pris du retard et est encore sujet à caution, c’est que d’importantes dissensions ont émergé ces dernières semaines entre des diplomates et Wagner sur le dossier centrafricain (AI du 28/10/21). Vladimir Titorenko avait lui-même fait les frais de la diplomatie parallèle de la société paramilitaire russe dans le pays, qui l’avait obligé à collaborer avec l’ancien tout-puissant conseiller spécial à la sécurité nationale à la présidence, Valery Zakharov.

Prigozhin et Utkin à Bangui

De son côté, Wagner procède également à une réorganisation. Depuis le départ de Zakharov, qui en était le chef officieux, le dispositif de près de 2 000 hommes est dirigé par un trio : Dimitri SytyiVitaly Perfilev et Alexander Vassili, ancien membre des forces spéciales russes.

Comme l’avait révélé Africa Intelligence, l’éminence grise de Wagner, Evgueni Prigozhin, intime de Vladimir Poutine, a fait le déplacement en personne à Bangui au début du mois d’octobre (AI du 19/10/21). Il y a évoqué les conditions financières de l’engagement de la société russe dans le pays.

Quelques jours plus tard, c’est Dmitri Utkin qui s’était rendu dans la capitale centrafricaine. Arrivé le 1er novembre à bord d’un Tupolev, le cofondateur de Wagner est resté près d’un mois en RCA. Il a pris ses quartiers au palais de Berengo, base d’entraînement des instructeurs russes située à une centaine de kilomètres de Bangui, et le camp de Roux, niché au cœur de la capitale.

Utkin a notamment été aux premières loges de l’arrestation le 19 novembre du ministre de l’Élevage Hassan Bouba, libéré peu après. Homme clé du renseignement russe dans le pays, le chef de guerre avait été officiellement incarcéré dans ce même camp de Roux pendant cinq jours. Il s’agissait en réalité d’un stratagème pour échapper à la procédure judiciaire déclenchée par la Cour pénale spéciale (AI du 02/12/21).

Durant son séjour, Utkin a rencontré le ministre des Sports Aristide Briand Reboas, ancien directeur général du renseignement sous François Bozizé, qui continue de jouir d’un certain entregent dans tout le pays. Il s’est également entretenu avec le ministre de la Défense Jean-Claude Rameaux Bireau, neveu du président Touadéra, et l’ancien premier ministre Firmin Ngrebada. Les deux hommes sont au centre du dispositif russe dans le pays (AI du 10/06/21).

Redéploiement des troupes

Le séjour prolongé d’Utkin à Bangui avait notamment vocation à aplanir les relations entre le groupe paramilitaire et les autorités centrafricaines mises à mal ces derniers mois. Côté russe, les rentrées financières, issues des revenus douaniers et miniers, sont insuffisantes au vu de l’engagement de Wagner en RCA. La présentation publique par le ministère de la justice d’un rapport évoquant des exactions des instructeurs russes au mois de septembre avait, par ailleurs, irrité au plus haut niveau Moscou.

Le réaménagement du dispositif militaire russe dans le pays comprend un renforcement de la sécurisation des sites miniers. Utkin a également procédé à un redéploiement des troupes. Au cours des dernières semaines, les instructeurs ont quitté Bakouma, Nzko, et Bria dans l’est du pays, pour Bangui et surtout Bambari, dans le centre. Il s’agit du territoire actif de l’Union pour la Paix en Centrafrique d’Ali Darass, cible numéro 1 des Russes (AI du 17/11/21).

En ce début de saison sèche, les déplacements des groupes armés en provenance du Tchad et du Soudan inquiètent l’état-major de Wagner, tout comme le renforcement du dispositif militaire tchadien à la frontière centrafricaine, au nord-ouest.

Miss Centrafrique et vodka

Malgré ce contexte tendu et incertain, le « soft power » russe continue de tourner à plein. Un deuxième volet du film Tourist, tourné en Centrafrique, est sorti au début du mois de décembre. Depuis plusieurs jours, la capitale s’est couverte de publicités vantant la nouvelle marque de vodka Wa na Wa (« Le feu, rien que le feu »), « fabriquée en Centrafrique avec la technologie russe ».

Enfin, comme peu après l’arrivée de Wagner en 2018, la Russie sera le principal parrain financier de la nouvelle édition du concours de Miss Centrafrique. Prévue pour le 30 décembre, l’édition 2021 est organisée par Jihane Service, l’épouse du directeur général de la sécurité présidentielle, le général Alfred Service.

Tchadanthropus-tribune avec Africa intelligence

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