Le mois d’octobre dernier a été marqué au Tchad par un phénomène pour le moins étonnant dans un pays qui fait partie depuis 2003 du cercle restreint des pays producteurs de pétrole et qui a engrangé depuis, grâce à l’or noir, plus de 10 milliards de dollars. Quand le bruit a couru que la raffinerie de Djermaya, située à environ 80 kilomètres de N’Djamena, allait provisoirement cesser son activité pour cause de maintenance des installations, la psychose de la pénurie s’est répandue comme une traînée de poudre. Cette raffinerie est détenue conjointement, depuis sa construction en 2011, par la compagnie chinoise China National Petroleum Company Illimited (CNPIC) à hauteur de 60 % et par l’État tchadien à hauteur de 40 %. Depuis le mois d’août, la directrice de la raffinerie, côté tchadien, n’est autre que la nièce du président Idriss Deby Itno, Haoua Daoussa Deby. La psychose se concrétise rapidement dans les stations-services avec des files d’attente interminables : entre automobilistes et motocyclistes, qui pullulent dans la capitale, c’est la foire d’empoigne pour arriver à remplir son réservoir.

Cette pénurie : mythe ou réalité ?

Boukar Moustapha, responsable de l’Autorité de régulation du secteur pétrolier Aval du Tchad (ARSAT) est catégorique : "Les citernes partent de Djermaya, gasoil et super confondus, entre 60 et 70 sont chargées d’approvisionner N’Djamena. Sachant que chacune contient 36 000 litres, on a largement de quoi couvrir les besoins de la population." Problème : si les citernes quittent effectivement la raffinerie, certaines semblent ne jamais arriver à destination : sans qu’il soit possible de déterminer précisément leur nombre et leur propriétaire, une chose est sûre, c’est qu’elles ne livrent pas les stations-services. Au mépris de toutes les règles de sécurité les cas de dépottages "sauvages" se multiplient. C’est au cours d’une telle opération qu’un incendie s’est déclaré dans une concession. Une étincelle au cours du transvasement du contenu de la citerne vers des fûts où est stocké le carburant : un drame est évité de justesse même si tout le matériel et le chargement sont partis en fumée.

Les risques de spéculation perturbent le marché

Un incident qui illustre les dangers de détournements motivés par un seul objectif : la spéculation. Conséquence : si dans les stations-services encore ouvertes le litre d’essence reste à 480 F CFA (73 centimes d’euro) celui écoulé par des vendeurs à la sauvette dans de simple bouteilles en plastique atteint 2000 F CFA (environ 3 euros). Face à cette situation, le gouvernement réagit. Le ministère de l’Énergie et du Pétrole décide que désormais seule la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) est habilitée à livrer du carburant à 54 stations-services. Les forces de l’ordre sont mobilisées. Une décision qui met en lumière le problème de toutes ces stations (on en compte environ 300 dans N’Djamena) qui en principe doivent recevoir une autorisation du ministère du Commerce et de l’Industrie mais qui, dans la pratique, exercent leur activité sans aucun contrôle. Là encore sans se soucier des règles de sécurité applicables au stockage de produits inflammables dans une ville de près de 2 millions d’habitants.

Les responsables : qui ?

Qui sont les responsables de cette pénurie artificielle déclenchée avant même que la révision de la raffinerie n’ait débuté ? Le gouvernement désigne les coupables : ceux qui se voient qualifiés de "commerçants véreux". Mais à ce jour hormis 3 employés d’une station-service arrêtés et condamnés pour vente illégale de carburant, aucune poursuite n’a été engagée. Pour les associations de la société civile, les vrais responsables sont "intouchables". Une douzaine d’entre elles appelaient à une journée ville morte le jeudi 9 octobre pour protester contre cette pénurie artificielle. Un appel qui s’est soldé par un échec, faute de préparation suffisante. 

Mahamat Nour Ibedou, de la Convention tchadienne pour la défense des droits humains, constate : "Ni le Premier ministre, ni le ministre du Pétrole n’ont d’autorité sur les grands commerçants." Dans un communiqué publié alors que ce 15 octobre débute la période de révision de la raffinerie pour une durée maximum de 45 jours, le directeur général de l’établissement, Xu Zhihong, se veut rassurant : rien n’a été négligé, affirme-t-il, le public ne doit pas s’inquiéter, les stocks sont suffisants. Reste à voir si le message sera entendu… 

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