Pour les réfugiés tchadiens.

 

Il a fallu du temps pour comprendre ce drame, pour le digérer, l’expliquer. Pourtant, il y en a eu, des immolations par le feu, des tentatives de suicide causées par le désespoir, la révolte contre un monde injuste et inique. En France, on se souvient des chômeurs du Pôle Emploi qui allumaient la mèche parce qu’ils n’avaient pas coché la bonne case, rempli le bon formulaire, déclaré plus d’heures qu’il n’en aurait fallu et à qui on supprimait les allocations chômage, leur seul moyen de survivre. On se remémore avec émotion, plus loin, dans d’autres pays, les gestes héroïques de Jan Palach et Mohamed Bouazizi, des moines tibétains et birmans, se déversant sur la tête un bidon d’essence et l’embrasant, pour que d’autres Hommes puissent vivre libres.

 

Jusqu’ici, dans la société hexagonale, les immigrés, et plus particulièrement les demandeurs d’asile demeuraient des citoyens de seconde zone, des fantômes dont on se préoccupait pas beaucoup, des indétectables – la formule est ici empruntée à Jean-Noël Pancrazi qui en a fait le titre de son dernier roman, narrant l’errance puis l’expulsion d’un sans-papier malien. Beaucoup croyaient que se rendre à Val-de-Fontenay, à l’OFPRA (l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides), puis à Montreuil, à la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) était aussi simple que de passer prendre son pain à la boulangerie. Une formalité un peu ennuyante, une journée de perdue, tout au plus. Et puis il y a eu, la semaine dernière, Ahmad Akbar Moussa Adam. A part pour les initiés tchadiens que nous sommes, il n’est pas possible de connaître son nom. La presse hexagonale, BFM TV et Direct Soir en tête, l’ont affublé du sobriquet de « demandeur d’asile tchadien », sans plus creuser. Certains journaux peu regardants ont même mis en parallèle son geste de désespoir avec les menaces d’immolation d’un forcené contre la police à Rennes. Honteux. Déplacé. Alors, citons son nom, rendons lui son humanité que tous lui ont niés et faisons en sorte que son sacrifice ne soit pas vain, qu’il marque une nouvelle ère dans la prise de conscience par l’opinion française et internationale du sort des réfugiés en France, et notamment de ceux ressortissant de notre nation.

 

Certes, il n’appartient pas au Mouvement du 3 février, parti politique de l’opposition tchadienne, de se prononcer sur la politique d’asile menée par les autorités françaises. Fidèle à son idéal de souveraineté, qui veut qu’aucune puissance étrangère ne puisse s’ingérer dans les affaires du pays de Toumaï, il n’a nulle habilitation pour retourner le paradigme et faire de même à l’étranger. Il comprend que la France n’a pas vocation à accueillir « toute la misère du monde », et que les demandes d’asile, plus de 60 000 chaque année, doivent être vérifiées au cas par cas. Les demandeurs tchadiens ne représentent d’ailleurs qu’une infime minorité face au flux d’afghans, de pakistanais, de kurdes, de congolais, de maliens qui déposent un dossier à l’OFPRA. Pourtant, il y a matière à s’insurger. Le Tchad, et c’est confirmé par les nombreux rapports des organisations de défense des Droits de l’Homme (ACAT, Amnesty, Human Rights Watch…) ploie sous le joug d’une véritable dictature où tous ceux qui oseraient s’opposer au pouvoir tyrannique d’Idriss Deby sont systématiquement intimidés, menacés, contraints de fuir pour sauver leur vie et celle de leur famille. Il n’est donc pas anormal que des compatriotes se retournent vers la France pour lui demander protection.

 

Etrangement, force de constater que la politique prend à ce niveau le pas sur la sincérité du demandeur et les considérations humanistes. Nul n’ignore les liens ignobles de collusion qui lient l’Etat français avec son homologue tchadien, au nom d’une soi-disant lutte contre le terrorisme au Sahel. Cela explique donc le grand nombre de demandes rejetées pour des compatriotes, qui restent pourtant en danger s’ils retournent dans notre pays mais qui sont refoulés par l’Etat français, de peur qu’ils ne viennent grossir les rangs de l’opposition en exil. Et cela explique aussi les titres d’asile accordés à des personnalités n’étant nullement inquiétés au Tchad et exerçant même des fonctions dans les plus hautes sphères du pouvoir. On trouve pêle-mêle plusieurs ministres ou anciens ministres, des directeurs de sociétés publiques, des gens de médias favorables au régime, tous appâtés par les avantages pécuniers que confère le statut de réfugié et la complaisance de certaines autorités françaises qui remplissent de cette manière le quota normalement dévolu aux vrais réfugiés tchadiens. Alors, le drame qui s’est déroulé il y a quelques jours est aussi de leur responsabilité. Et le M3F lance un appel aux instances s’occupant des demandeurs d’asile et qui trop souvent, sont gangrenées par la politique politicienne. Revenez aux fondamentaux, à l’esprit de tolérance et de fraternité qui a façonné la France républicaine, celle de 1789, celle qui a accueilli sans distinction les républicains italiens, les juifs russes victimes de pogroms, les arméniens victimes d’un génocide, pour que jamais, plus jamais, il n’y ait d’Ahmat Akbar Moussa Adam.

 

Fait à Paris le 13 octobre 2014, 

Collectif
 

PS : pour ceux qui souhaitent découvrir les dessous de la politique de l’asile en France, à signaler le très bon roman de Shumona Sinha, ancienne traductrice à l’OFPRA, qui s’intitule Assommons les pauvres ! (Ed. De l’Olivier)

 

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