Le royaume du Ouaddai était un ancien empire du cœur de l’Afrique de plus de trois siècles d’existence. Cet ensemble historique avait pour capitale la grande cité de Ouara, puis Abéché jusqu’à nos jours.  Au niveau géographique actuel, les régions de l’Ennedi et du Borkou le limitent au Nord, au Sud-Est celle du Salamat, au Sud-Ouest Guéra, à l’Ouest le Batha et à l’Est la région soudanaise du Darfour. Avant les découpages successifs, les composantes ethniques des populations Ouaddaiennes s’avéraient très variées ; elles formaient toutefois un ensemble où la religion, les genres de vie, le passé historique, l’appartenance au Sultanat du Ouaddai ont créé une quasi-unité. Tous ces faits confèrent à la région une position de véritable carrefour culturel et des communautés disparates. Il y a beaucoup de similitudes anthropologiques entre le Dar Ouaddai et le Darfour.

Depuis plus de deux ans, sévissent des milices dans l’Est tchadien, une situation qui semble s’être empirée depuis le drame Darfouriens et accentuée par la chute du dictateur soudanais Omar El Bachir. Ces drames interviennent dans une région marginalisée aux plans politique et économique et où coexistent sédentaires et nomades. Il faut dire que depuis l’avènement du Président Idriss Deby Itno au pouvoir, la grande et historique ville d’Abéché vit son plus grand cauchemar.

Hormis, les premières heures de la crise humanitaire Darfouriens qui ont permis un léger décollage de l’activité économique à Abéché, le manque d’eau demeure sans pareil et les infrastructures sont quasi-inexistantes. Une situation qui s’est sérieusement dégradée depuis que les scores électoraux du parti au pouvoir sont devenus de plus en plus médiocres ; que les innombrables jeunes de la région ont été contraints de rejoindre les rangs de la rébellion armée ; et enfin que la villa Du Président Deby de Goz-Amir, quartier huppé d’Abéché a été saccagée lors de la prise de la ville par la rébellion par une foule furieuse de dérives tyranniques de M. Deby à son égard.

De plus, cette zone est en proie à des violences graves des droits humains depuis 1993 : les assassinats ciblés et les disparitions forcées des leaders civils et militaires issus du Ouaddai parmi les plus emblématiques l’on peut citer l’érudit Mahamat Yakhoub Dobio, le Col. Adouma Hassaballah, le Dr. Harris [1], et le Pr. Ibni n’ont fait que creuser davantage l’immense fossé qui séparait l’ancien lycéen d’Abéché, I. Deby, devenu Président et le grand Ouaddai.

Ces derniers jours, des affrontements meurtriers sans précédent opposent des éleveurs nomades à des autochtones sédentaires : le bilan provisoire pour les deux provinces réunies est d’environ 46 morts dont 24 dans la province du Sila et 22 dans celle du Ouaddai. On dénombre environ une cinquantaine de blessés dont une dizaine de cas graves et au moins trois villages incendiés.

Bien qu’éloigné des évènements d’Ogossogou au Mali, ce qui se passe au Tchad n’a provoqué pratiquement aucun émoi de l’opinion internationale, si ce n’est une grande émotion et une immense consternation dans les cœurs des personnes issues de ces communautés et des tchadiens dans leur ensemble.

Pour en revenir à la similitude entre le conflit du Darfour et celui dont on est en train d’entrevoir les prémices dans le Dar Ouaddai, des témoignages rapportent que des renforts d’hommes en armes en provenance du Soudan continuent d’affluer dans la zone pour prêter main forte à l’une des parties en belligérance. Et avec l’accès à internet et à la téléphonie mobile, à travers la plate-forme WhatsApp, des appels sont lancés par les communautés pour attiser la haine.

Selon le Bureau de l’ONG AHA d’Abéché, si rien n’est fait, la situation dans les régions de l’Est tchadien engendrera  » l’une des plus grandes catastrophes humanitaires « . La CTDDH, quant à elle, se dit « profondément préoccupée par la dérive meurtrière qui a cours actuellement dans les provinces du Ouaddai et du Sila. »

Au regard de l’embrasement rapide de la région et surtout de la passivité suspecte des forces armées tchadiennes face à ces attaques, des interrogations subsistent sur la volonté de l’État à stopper ces tueries de masse. Certains se demandent si cela ne relève pas d’une stratégie conçue et planifiée et dont la mise en œuvre est effectuée dans le dessein de satisfaire des objectifs inavoués.

On connaît la peur bleue que voue le chouchou de Paris et l’intelligentsia Zaghawa dans son ensemble de la montée spectaculaire des fameuses Daam alséri [2] du Gal Hemiti. Les intellectuelles Arabes et Ouaddaïens quant à eux murmurent depuis 2017 que c’est une stratégie savamment montée par Deby, une manière délibérée d’affaiblir leurs communautés déjà proches pour les éloigner davantage de la course du pouvoir au Tchad.

On se rappelle qu’en 2018, le Gouverneur du Ouaddai avait pris un acte interdisant le défrichage des champs, une décision injuste, jamais vue nulle part ailleurs.

Les autorités tchadiennes manquent de réponse à cette crise sans précèdent, qui ne fait que s’empirer depuis sa genèse. Le Gouvernement tarde à prendre de sérieuses mesures en vue de l’éradication rapide de cette vague meurtrière qui demeure largement à sa portée.

Dans la fuite en avant du Gouvernent, le Ministre de l’intérieur s’est empressé de déclarer la suppression de la diya [3], un droit pourtant consacré par la loi et la coutume et dont il est difficile d’en suspendre même la pratique. Il faut sortir du silence et aller plus loin.

La guerre civile au Darfour est un conflit armé qui a touché l’Ouest soudanais depuis 2003. Ses origines sont anciennes et le conflit est présenté comme opposant les tribus « arabes » dont sont issus les Janjawid [4] et les tribus « noires-africaines » non-arabes. Cette crise, qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts ; 300.000 selon l’ONU et transformé deux millions sept cent mille de personnes en déplacées et réfugiés, intervient dans une région marginalisée aux plans politique et économique et où coexistent sédentaires et nomades.

Cette partie du Tchad est régulièrement le théâtre d’affrontements violents, parfois à l’arme automatique, entre différents groupes de la population.

On ne pourrait finir ce descriptif sans pour autant pousser un grand cri : celui de l’enseignement de l’histoire qui, à elle seule, permettra aux différentes constituantes du Ouaddai d’antan de garantir la concorde entres-elles et de renforcer leur résilience pour un avenir radieux.

CADES (Centre Africain du Dialogue et d’Études Stratégiques)

[1] Le Dr Harris Bachar est le leader du Front National du Tchad/Front de Libération du Ouaddaï (le FNT/FO), un mouvement né sous les cendres d’un mouvement fondé dans les années 80 par Mahamat Nour Adam Barka et se situe dans les confins soudano-tchadien. Elle a été active au début de 1992 dans les régions d’Abéché et d’Adré ainsi que dans le Darfour.

[2] Le Daam alséri dont la traduction littérale en français est force d’intervention rapide, est une importante milice parallèle à l’armée soudanaise créée pour surveiller la frontière soudano-libyenne et soudano-tchadienne. Elle est dirigée par celui qui a ravi le poste à Moussa Hillal (Ex chef des Janjawid).

[3] La diya ou « le prix du sang », est une pratique musulmane consistant à verser une compensation financière à la famille de la victime par la famille du coupable en cas de meurtre ou de blessure grave.

[4] Les djandjaweeds sont des milices armées, utilisées par le gouvernement de Khartoum contre la rébellion de l’Ouest soudanais. Ils tiennent leur nom de la contraction de deux mots arabes, signifiant « diable » et « cavalier », ou les « cavaliers du diable ».

CADES (Centre Africain du Dialogue et d’Études Stratégiques)

Tchadanthropus-tribune

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