Ce mémorandum est le fruit d’une analyse de la situation de crise au Tchad, les causes, les responsabilités et une approche de sortie de crise mais il serait nécessaire de donner un bref aperçu historique.

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 La période précoloniale


Le Tchad a une superficie de 1.284.000 km² et une population avoisinant les 12 millions. Il est limité par le Soudan, la Libye, le Niger, le Nigeria et la RCA. Il est enclavé au cœur même de l’Afrique, trait d’union entre les mondes arabo-musulman et négro-africain, avec quelques dizaines d’ethnies et clans intimement imbriquées comprenant une diversité culturelle à l’instar de beaucoup d’Etats africains ayant hérité de frontières tracées par les colonisateurs à la suite du Congrès de Berlin de 1885.

Avant la colonisation le territoire actuel du Tchad avait connu des sociétés issues de trois royaumes musulmans du Kanem, du Ouaddaï et du Baguirmi au nord et au centre, et des sociétés de croyances traditionnelles et sans Etat, ainsi que des sociétés à vocations nomades et semi-sédentaires ; avec des attaches plus ou moins fixes.

2.   
La période coloniale

Au début du siècle passé (22 avril 1900), le Tchad devient une colonie française, certaines provinces de la zone méridionales ayant connu quelques détachements et rattachements entre le Tchad, le Cameroun et la RCA.

Il faut signaler au passage que le Tchad, avec le gouverneur Felix Eboué, fut le premier territoire à se rallier à la France Libre et la Deuxième Division Blindée dite la Colonne Leclerc, partit de là pour atteindre Koufra combattre l’Allemagne et l’Italie.

3.   
La période post coloniale


A partir des années 40, dans le cadre de la Communauté française, le Tchad connut l’autonomie et un début de vie politique. A partir des années 50, le Tchad connut une véritable démocratie multipartite ; une douzaine de partis politique se disputaient les suffrages ; à partir de 1958, après la proclamation de la République, le pays connut une certaine instabilité chronique qui aboutit successivement dès le début de l’indépendance au parti unique, débouchant sur une dictature, un coup d’Etat, la guerre civile, l’anarchie, la restauration, une seconde dictature, un second coup d’Etat et l’autocratie actuelle en 1990.


Le régime hybride actuel est à la fois
dictatorial et anarchique, caractérisé par l’amateurisme, la mauvaise gestion, le népotisme, la kleptocratie.


Il faut remarquer que le régime est le fruit du hasard. En 1989 avec le discours de La Baullé, le président français ayant fortement recommandé la  démocratie et le respect du droit de l’Homme, les chefs d’Etat Malien et Tchadien étaient parmi les seuls à dire non car il n’était pas question pour eux d’accepter un diktat et cela de manière péremptoire et catégorique. Ce qui leur valut la fin de leurs régimes respectifs ; pour le Tchad, commença la préparation d’une alternative et non une alternance. Les péripéties de cet épisode ont été bien expliquées par Silberzan, ancien Directeur Général de la DGSE dans son ouvrage intitulé « Au cœur du secret ». La France, la Libye et le Soudan se sont coalisés pour faire venir au pouvoir l’actuel chef de l’Etat qui a fui après une tentative de coup d’état qui a fait échec (ceci après avoir étroitement collaboré au plus haut niveau avec le régime au pouvoir à l’époque). Il a été armé, soutenu à bout de bras ; ayant accepté les conditions des commanditaires : défendre les intérêts de ceux qui l’ont fait venir au pouvoir : l’avènement de la démocratie et le pétrole etc.


Le régime fut bien accueilli car le peuple tchadien avait souffert des affres de la guerre et de la dictature. Il avait soif de liberté et de stabilité.


C’est ainsi qu’il y a eu l’avènement du multipartisme et la Conférence Nationale Souveraine. L’enthousiasme et l’euphorie furent de courte durée ; ce fut une démocratie de façade conçue pour l’opinion étrangère.


Survint  alors la période sombre qui continue de se dégrader.

 

I.              Le bilan du régime est plus que sombre

 

A. Sur le plan politique

 

v
Les élections :


Le multipartisme existe au Tchad pour la façade puisqu’il y a plus d’une centaine de parti politiques ; mais ce ne sont presque tous que des coquilles vides : certains ne sont que l’émanation d’un individu ou un groupe d’amis ou de parents ; ils sont sans moyens, sans assises ; un parti politique a pour vocation de conquérir le pouvoir alors que la plupart au Tchad n’ont même pas de siège.  Cette situation a été créée par le régime pour faire croire qu’il y a une démocratie au Tchad : il encourage des individus, ses agents, ses militants à créer des partis qui n’ont pour rôle que de défendre les positions du parti au pouvoir ; ils constituent ce qu’on appelle pompeusement la « mouvance présidentielle » ; les autres n’ont pas les moyens; soit ils n’ont pas beaucoup de militants, soit ceux-ci n’ont pas la culture démocratique, soit ils sont démunis ou encore ne paient pas les cotisations qui permettraient de faire fonctionner les partis ; les financements étrangers étant interdits, les subventions insignifiantes ne venant pas, il n’y a pas une véritable vie politique. Il y a des élections sans partis politiques forts et dynamiques.


Par ailleurs,  les recensements sont toujours faits pour le holdup électoral, les chiffres sont gonflés à dessein, les cartes d’électeurs sont fictifs et la CENI est complice parce que le régime utilise à l’égard de ses membres la politique du bâton et de la carotte ; ils doivent tous rentrer dans l’ordre en vue d’obtenir des postes importants à l’issue des élections quand les résultats sont en faveur du régime (voir le livre édité  par Survie intitulé « Holdup électoral ») ; certaines régions du pays de la zone  septentrionale sont inaccessibles aux partis politiques, au regard de  l’immensité du pays, l’inexistence des routes. C’est ainsi que pour refuser de légitimer les mascarades électorales, les partis de l’opposition ont refusé de participer (2006 et 2011). Il en est de même aux élections législatives et locales. Nous savons tous qu’il n’y a pas de démocratie sans élections libres et transparentes.

 

v
Droits et libertés 


Le peuple tchadien ayant connu des régimes de dictature, de parti unique, de guerre civile n’a pas pu acquérir une culture démocratique, il n’a fait que subir passivement. Il est rare qu’il réclame ses droits. Les rares personnalités qui ont cherché à lutter contre les injustices et la dictature ont soit payé de leurs vie, nous pouvons citer le cas de Maitre Behidi (militant de droit de l’Homme), Youssouf Togoimi, président du MDJT, Dr Mahamat Gueti, président de parti, Abbas Koty, président de mouvement rebelle, ainsi que Kette Nodji Moise, Laokein Bardé, le professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh, président du PLD etc.,  soit ils ont connu la prison ou l’exil, on peut citer entre autres les cas des membres des mouvements rebelles qui sont des milliers ou encore le cas de Mahamat Abdoulaye, président fondateur du MPDT qui a été deux fois candidat aux présidentielles ; il a connu la prison, l’assignation à résidence et qui a pu fuir et vit en exil à Dakar.


La justice est entièrement sous ordre comme le prouvent les derniers procès (2012) contre les Députés et chefs de partis politiques Gali Goté et Saleh Kebzabo ; les rares magistrats qui ont dit non sont soit radiés de la magistrature, soit sanctionnés ou menacés.

 


Un des cas les plus flagrants est également celui des syndicats qui n’ont que réclamé l’application de l’accord signé avec le gouvernement en 2011 ; ils viennent d’être condamnés lourdement par la soit disant justice. Il en est de même du journaliste de Ndjamena

–Bi hebdo, condamné et le journal suspendu.


Il faut signaler la situation des prisons qui sont des mouroirs où les prisonniers sont enchainés, maltraités, affamés, malades, soumis à la diète noire et meurent quotidiennement ; cette situation, celles des prisonniers et de la Justice viennent d’être sévèrement dénoncés dans un rapport accablant d’Amnesty International qui avait effectué une mission d’enquête sur le terrain.

 

B.   Sur le plan économique


Le Tchad est un pays relativement riche : bétail, coton, gomme arabique, pétrole etc. Les potentialités sont énormes et non encore exploitées. Mais le peuple Tchadien est l’un des plus pauvres de l’Afrique comme le prouvent les rapports annuels du PNUD.  L’espérance de vie est de 49 ans, sur le plan de l’IDH, il est classé 183 sur 187 pays, sur le plan compétitivité, il est classé 183 sur 183 pays, sur le plan de la gouvernance il est 53eme sur 54 pays africains,  juste avant la Somalie, et 7eme sur 7 en Afrique Centrale ; s’agissant de l’indice de perception de la corruption il est 178eme sur 187. Le taux de PIB par habitant et par jour est de moins de 2$. La plupart des foyers se contentent d’un seul repas par jour ; le Tchad est un pays agro-sylvo-pastorale; puisque le monde rural est abandonné à lui-même malgré les slogans creux; l’insécurité, le manque d’infrastructures routières, sanitaires, scolaires et les moyens de culture rudimentaire sont les causes de l’exode rural ; les villes et grands centres sont envahis par les chômeurs, habitants les bidonvilles,  nids d’épidémies, délinquances et chômage chronique irrémédiable etc.


Avec l’ajustement structurel, les grandes unités industrielles sont bradées ou démantelées ou en faillite. Les dernières et seules grandes industries sont la Coton Tchad pour le coton, la société des Postes et Télécommunications et la Société d’Electricité et des Eaux. 
Elles sont lourdement endettées et ruinées, pour avoir été exploitées comme de vache à lait et caisses noires.


Avec la crise alimentaire, les sècheresses, les inondations, l’inflation galopante avec les richesses du pétrole, le peuple tchadien est en train de mourir à petit feu ; les manifestations sont étroitement surveillées et sévèrement réprimées pour prévenir un éventuel « printemps tchadien ».

 

C. Sur le plan financier


En dehors des finances publiques classiques, le Tchad est entré depuis 2003 dans le cercle restreint et privilégié des pays producteurs de pétrole. Il faut aussi signaler qu’il y a  des puits
en exploitation depuis la date citée ci-dessus, destiné à l’exportation intégralement brut, il y a celui du centre du pays raffiné pour la consommation et l’exportation à partir de la raffinerie de Djermaya à 40 km de la capitale ; il en reste encore d’autres champs partout à travers le pays d’après les indices (notamment celui de Sedigui au Kanem …).


L’ensemble des finances est géré comme un patrimoine familial ; les recettes sont gérées soit hors budget (25% d’après Jeune Afrique d’avril 2012), soit réquisitionnées sans suivre le circuit classique étant donné que tous les trésoriers payeurs généraux (TPG) sont soit des parents, fils ou beaux fils exclusivement du Président.


Les recettes sont destinées à l’achat massif d’armes pour le maintien d’un régime illégitime et impopulaire ou au financement des lobbys auprès des chefs d’Etat étrangers, des medias, des services de renseignement ainsi que des intermédiaires porteurs de valises comme Bourgi et autres. Elles servent aussi à la traque des opposants sérieux en exil.

 
 

D.Gouvernance


La corruption et les détournements sont les pratiques quotidiennes ; un ministère du contrôle général d’Etat est créé mais il sert seulement à amuser la galerie en s’occupant de quelques menus détournements médiatisés et dont les auteurs sont aussitôt relâchés et oubliés ou promus à de très hautes fonctions. S’agissant des marchés publics, les plus grands sont attribués de gré à gré, avec de surfacturations à des parents, des amis (tel Goudiaby qui vient d’obtenir un marché de 235 milliards de francs pour la construction d’un centre d’affaires) ; les Directions générales des Impôts des douanes, des domaines, des fiscalités pétrolière sont monopolisés par les enfants, les beaux fils, les gendres et cousins ; c’est un système de népotisme le plus flagrant du monde (voir la liste). L’argent ainsi drainé par les parents et amis est destiné à la thésaurisation, gaspillages, aux constructions immobilières au Tchad ou à l’étranger, versé dans des banques étrangères etc.

E.   Sur le plan militaire


Il n’existe pas une armée nationale ; elle n’est constituée que d’une milice surtout la garde présidentielle dénommée pompeusement DGSIE : elle ne comprend que les éléments proches du président, gérée par ses enfants, ses neveux, ses cousins et frères ; elle a un budget colossal ; les éléments sont bien et régulièrement payés, bien habillés, logés et promus à de grades les plus élevés ; l’armée dite nationale n’existe que sur le papier ; la plupart des membres sont mal payés, ignorés, clochardisés, démobilisés et dégradés injustement.


F.  
Sur le plan administratif


Depuis 1992, l’intégration des diplômés à la fonction publique est contingentée suite à l’accord avec les bailleurs de Bretton Wood. Ce qui a permis de n’accorder la priorité qu’aux parents, militants et amis ; ceci a permis la naissance de véritables réseaux d’intermédiaires et trafiquants d’influence  au niveau de la fonction publique ; l’utilisation des officines de faux diplômes est devenue monnaie courante ; les vrais diplômés ayant reçu des formations pointues utiles pour le développement du pays viennent chaque année gonfler les rangs des « diplômés chômeurs ».


Les nominations ou les promotions au sein de la haute administration ne se font que sur ordre du Président lui-même, celui de la « première dame » ou quelques affidés ; l’administration est truffée de semi analphabètes, des incompétents, des agents inexpérimentés, se contentant de détourner allègrement les deniers publics sans risque d’être inquiétés par les services de contrôle.


Au vu de ce tableau si sombre prouvant la catastrophe nationale qui risque d’aboutir à la cessation d’existence de l’Etat (« Etat néant ») ou le chaos généralisé ; il est temps, voire extrêmement urgent de chercher des solutions.

 

II.           Approche de sortie de crise

 


Il faut signaler qu’il n’existe pas de solution magique mais il faut une volonté sincère de l’opposition extérieure et intérieure, la société civile, avec l’aide des pays amis et des organisations internationales pour s’assoir autour d’une table en y faisant venir le régime au pouvoir.


Il faut un dialogue inclusif où tous les acteurs se concerteront pour trouver une solution consensuelle en dépassant les clivages ou ambitions régionaux, ethniques culturels ou individuels.


Pour y arriver il faut une forte pression sur le plan international surtout de la part de la France en l’occurrence le nouveau régime qui a promis d’aider à mettre
fin à la « Nébuleuse Françafrique » où le Tchad est le concentré même de ces réseaux qui se contentent de sucer le sang du peuple qui croupit dans la misère ; il n’y a ni droit ni liberté ; il n’y a que gaspillage, corruption, injustice, insécurité, impunité, paupérisation, crise alimentaire, économique, sociale, politique et de confiance.


Il faut tout faire pour éviter une catastrophe nationale.


Au bout de l’éventuelle rencontre ne sortira qu’une solution : instaurer une période de transition permettant de revoir la Constitution et les institutions, une réconciliation nationale sincère ; instaurer un véritable système de liberté, d’élections transparentes ; ainsi le peuple sera sensibilisé et exprimera sa volonté véritablement souveraine.


La première démarche consiste à faire admettre le principe même du dialogue par chacun des acteurs ; c’est difficile à prime abord mais c’est une nécessité impérative. Il faut un médiateur de taille pour y parvenir ; il y a dans l’ordre, compte tenu de la situation, la France qui présente le maximum d’atouts ; on peut faire recours à l’organisation Sant’ Egidio qui a une longue expérience et des résultats concrets en la matière ; il faut absolument l’implication ou l’intervention de la CEMAC, de l’UA, de l’ONU, du Qatar etc.


Quant aux modalités, les méthodes, la durée des rencontres, les institutions de la transition etc. elles seront déterminées à l’issue des discussions. Ce qui nécessite des concessions de taille de part et d’autre, un dépassement, une volonté véritable et sincère.


Nous sommes en présence d’une situation inouïe : un Etat en état de déliquescence avancée, vers une mort programmée d’une « République bananière » pour ne pas dire pétrolière voire «mercenaire». Il faut se rappeler les précédents des troupes tchadiennes envoyées au Rwanda, en RDC, en RCA, au Togo, en Libye etc. Le malheur est qu’à cause de la tragédie malienne, tout le monde, en particulier la France, ancienne puissance colonisatrice, patrie des droits de l’Homme est en train de faire les yeux doux à Idriss Deby qui est en train de devenir fréquentable mais nous mettons en garde : personne ne pourra plus jamais dire « on ne savait pas » devant les jugements de l’histoire et du peuple Tchadien, car leur jugement est implacable et sans appel.


Ici c’est une piste qui est ouverte, elle peut être élargie, approfondie, amendée, enrichie et présentée au moment opportun.

 
 
 

Contact : mpdj2012@yahoo.fr

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