« On se défend. » Ces quelques mots résonnent sans cesse dans les rues poussiéreuses de N’Djaména. Cet après-midi-là, le brouillard de sable et de pollution, « Adjadj », enveloppe la capitale politique du Tchad, assombrissant le ciel et plombant l’air. Selon les dires, cette brusque apparition est un signe précurseur de malheur. Un augure qui prend, cette année, une résonance toute particulière. Depuis quelques mois, la ville de deux millions d’habitants tourne au ralenti, frappée par une crise économique sans précédent. Les terrasses ombragées des bars peinent à se remplir, les clandos (taxis-motos) scrutent l’arrivée de clients potentiels, et les allées labyrinthiques du marché du centre-ville, d’habitude bondées, sont presque désertes. Pour attirer les clients, les commerçants ont cruellement revu les prix à la baisse. 

Comme ici, au marché de Dembé. « Mon maquereau est à 1 000 francs CFA alors qu’ il était à 3 000 francs CFA il y a quelques mois », déplore Fatime, vendeuse de poissons, installée à même le sol sablonneux. La jeune femme de 27 ans, affublée d’un tablier délavé, renchérit : « Les clients négocient de plus en plus les prix, et on est obligé de l’accepter pour vendre nos produits. » À quelques mètres de là, Abasa, une quarantaine d’années, plie minutieusement ses pagnes à vendre. « Les temps sont très durs. Le tissu est passé de 6 000 à 9 000 francs CFA les cinq mètres. Je ne fais quasiment plus de bénéfices », explique la Tchadienne qui tient son étale en bois depuis près de dix ans. 

Vivre au jour le jour 

« La grande majorité de la population se débrouille au jour le jour pour survivre », observe Daouda Elhadj Adam, président de l’association de défense des droits des consommateurs au Tchad (ADC). « Par le passé, la ménagère faisait des stocks et dépensait sans compter notamment à l’approche des fêtes. Elle achète désormais des quantités journalières et les négocie. Ce comportement, de plus en plus rationnel, tire les prix de vente vers le bas alors que les grossistes, eux, n’ont pas baissé leurs prix », poursuit-il. Ainsi, la viande, aliment le plus consommé du pays, a subi une baisse de 20 % depuis 2008. « Il y a eu plusieurs tentatives de régulation du marché depuis 2008. Faute de contrôle, les mesures prises n’ont pas fonctionné », conclut l’expert en consommation. 

De fait, le mal ronge le pays depuis la brusque chute des cours du pétrole. Le baril de brut est tombé de 100 à moins de 50 dollars il y a deux ans. C’est la conséquence d’une addiction à l’or noir qui a débuté en juillet 2003 avec l’exploitation du gisement de Doba dans le sud du Tchad. Les recettes du pays ont baissé de 45 % en 2016, tandis que le déficit budgétaire affiche 274 millions de francs CFA (environ 411 millions de dollars), selon les estimations du ministère de l’Économie. L’État ne reçoit presque plus rien de la vente de son pétrole, qui est absorbée par le remboursement des créances colossales contractées auprès du trader suisse Glencore : un emprunt de plus d’un milliard de dollars. Les différentes tentatives pour obtenir le rééchelonnement de la dette ayant échoué. 

Seize mesures d’urgence 

Partout à N’Djaména, chacun y va de son astuce pour « se défendre », s’en sortir. « Je vais aller chercher du travail en Guinée, ce sera plus facile pour faire vivre ma famille », explique Idriss, installé au volant de son taxi jaune décoré de moumoutes beiges qu’il fait rouler depuis quatre ans. Quant à Tara, une gardienne de résidence d’une trentaine d’années, elle enchaîne les petits boulots pour payer l’école de ses deux enfants. « Après ma journée de travail, je propose à des clients de leur faire à manger ou le ménage pour gagner un petit billet en plus », confie la maman célibataire, toujours un large sourire aux lèvres. 

Depuis le 31 août, les tensions de trésorerie du pays sont apparues au grand jour lorsque le conseil des ministres extraordinaire a adopté « seize mesures de réforme d’urgence ». Objectif : réduire les charges, augmenter les recettes et améliorer l’efficacité de la dépense publique. Car le Tchad a vécu longtemps au-dessus de ses moyens, dopé par une croissance record d’environ 13 % de son produit intérieur brut (PIB) en 2010. Tablant sur d’importants revenus pétroliers, les autorités ont gonflé les dépenses budgétaires en augmentant notamment le salaire des fonctionnaires. « La réalité nous a rattrapés, maintenant, on refuse de revenir en arrière. Mais on est obligé de revenir en arrière, on va être là où on était en 2003 », avait alors annoncé sans détour le président Idriss Déby Itno lors d’une assemblée générale des opérateurs économiques du Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir, tenue mi-novembre. 

Une déclaration qui a fait grincer bien des dents, jusque dans les bureaux de l’Union des syndicats du Tchad, aux portes du quartier populaire et mouvementé de Kabalaye. Installé à son bureau sur lequel trônent un drapeau tchadien miniature et des piles de dossiers, Younous Mahadjir, le vice-président, ne décolère pas. « La pauvreté va davantage s’aggraver », tempête-t-il avant de poursuivre : « En diminuant le salaire des fonctionnaires et leurs indemnités, l’argent ne circulera plus dans l’économie du pays et les travailleurs informels se tireront difficilement un salaire. » Pour le syndicaliste, il est avant tout nécessaire de s’attaquer à « la mauvaise gouvernance ». Le pays figure à la 147e place sur 168 du baromètre de la corruption 2015 (il était à la 163e place en 2013) établi par Transparency International.

« Rationaliser l’économie »

Un constat partagé par Issa Mahamat Abdelmamout. Dans sa maison, assis sur son canapé à l’abri du soleil ardent, cet ancien inspecteur général d’État adjoint à la présidence de la République, sirote un thé brûlant au gingembre. Et prend le temps d’étayer son analyse. Pour l’auteur de l’ouvrage Tchad : comment sortir de la crise économique, il est essentiel de « rationaliser l’économie ». « Nous avons toujours été un pays en guerre, nous n’avons jamais pensé à développer un climat propice aux investisseurs. Certes, nous sommes dans une phase d’apaisement, mais il y a un cruel manque de confiance en nos institutions, ce qui ralentit tout investissement », explique l’enseignant chercheur, qui fait référence au programme quinquennal 2017-2021. Sur la base de projets « bancables » et de promesses de bonne gouvernance, le gouvernement tchadien a levé en novembre plus de 17 milliards d’euros d’engagements auprès de 34 bailleurs de fonds pour financer son Plan national de développement (PND). 

En attendant, le brouillard s’épaissit sur N’Djaména et la nuit tombe… Lire la suite sur Le point Afrique

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