
16 décembre 2024 #TCHAD : De quelle force aérienne dispose Mahamat Idriss Déby Itno après le départ des Français ?
Le 10 décembre, la France a annoncé retirer ses avions de chasse du Tchad, qui avait rompu les accords de coopération militaire avec Paris le 28 novembre. Depuis, une question se pose à N’Djamena : l’armée serait-elle capable de faire face, seule, à une incursion de colonnes rebelles ? Éléments de réponse.
Début février 2019, Idriss Déby Itno est tendu. Le président tchadien reçoit les rapports réguliers de son état-major, qui font état d’incursions de rebelles depuis le Soudan. Il ne les prend pas à la légère. En 2006 déjà, puis en 2008, de mêmes colonnes avaient fini par menacer la capitale, N’Djamena, et son pouvoir. Alors le chef de l’État, qui sera nommé maréchal du Tchad un an et demi plus tard, décide d’utiliser son armée de l’air.
Problème : celle-ci est, au choix, vétuste, mal entretenue ou peu adaptée aux longues distances qu’Idriss Déby Itno veut lui faire parcourir pour frapper les rebelles. Ces derniers poursuivent donc leur avancée, malgré l’intervention aérienne tchadienne. Le président n’a d’autre choix que de faire appel à son allié historique, la France. Comme ses prédécesseurs avant lui, le locataire de l’Élysée, Emmanuel Macron, répond présent.
L’armée française active sa force aérienne au Tchad. Ses Mirage 2000 vont conduire une vingtaine de frappes, en quatre jours, détruisant plusieurs dizaines de véhicules. Le 6 février, le Premier ministre français, Édouard Philippe, confirme que son « gouvernement a décidé de faire intervenir [ses] forces armées au Tchad […] en réponse à la demande d’assistance [d’]Idriss Déby Itno ». L’avancée des rebelles est stoppée.
Des Sukhoï-25 vieillissants
Depuis le 10 décembre dernier, ce scénario franco-tchadien appartient au passé. Alors que Mahamat Idriss Déby Itno, fils et successeur du défunt Idriss Déby Itno, a décidé de rompre les accords de coopération militaire avec la France le 28 novembre, Paris a annoncé le départ de ses avions de chasse des aéroports tchadiens où ils étaient basés. N’Djamena ne peut donc plus faire appel à cette force aérienne.
Dès lors, quelles solutions s’offriraient à Mahamat Idriss Déby Itno en cas de nouvelles incursions rebelles depuis la Libye ou le Soudan – une hypothèse rendue plausible par la guerre que s’y livrent actuellement Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemetti » ? Officiellement, le Tchad dispose d’une flotte aérienne de combat hétéroclite, qui pourrait lui permettre d’intervenir.
Selon les décomptes officiels du rapport « World Air Forces 2025 », l’armée de l’air tchadienne dispose de sept avions de combat de type Sukhoï-25, de fabrication russe et achetés à l’Ukraine. Kiev fournissait d’ailleurs les techniciens ainsi que les pilotes. Mais, selon nos sources, ces aéronefs – qui avaient le mérite de pouvoir parcourir environ 1 300 kilomètres sans ravitaillement – sont vieillissants et plusieurs sont décrits par un ancien ministre comme des « épaves ».
Selon une source sécuritaire tchadienne, seuls trois de ces Sukhoï-25 sont opérationnels aujourd’hui, certains éléments de la flotte ayant été endommagés lors d’incursions rebelles ces dernières années. Ils ne sont en effet pas équipés de bombes disposant d’un système de guidage et, tenus de survoler directement l’ennemi, exposent leurs fuselages aux tirs des armes rebelles. Or, la réparation de ces appareils est onéreuse et ne peut avoir lieu qu’en Europe.
Une flotte existante incertaine
L’armée de l’air tchadienne a un temps envisagé de développer sa flotte en y ajoutant des MiG-29. Après des négociations à partir de 2009, elle a souhaité acquérir trois de ces appareils, dont un a été officiellement présenté en 2014. Plus sophistiqué que le Sukhoï-25 et mieux armé, le MiG-29 présentait toutefois deux défauts : sa complexité et un coût de l’heure de vol deux à trois fois plus élevé que son concurrent.
Selon les données du rapport « World Air Forces 2025 », le Tchad ne dispose plus à l’heure actuelle de MiG-29. Sur les trois espérés et payés à l’Ukraine, un seul lui avait d’ailleurs été livré, les deux autres n’ayant jamais touché le sol tchadien en raison d’un problème de livraison lié à la guerre en Crimée en 2014. Le reste des avions tchadiens aujourd’hui répertoriés semble dévolu au transport de troupes : des Antonov-26, un C-27 et un C-130, ainsi que deux petits Cessna-208.
L’armée de l’air tchadienne aurait également en sa possession des Pilatus PC-7 et PC-9 – vétustes, selon certaines sources –, et surtout des Hürkuş C-3, acquis récemment en Turquie. Mais ceux-ci seraient réservés à la formation et à l’entraînement des pilotes, ainsi qu’à des missions de reconnaissance. Ils ne sont pas adaptés à des interventions sur des colonnes de véhicules blindés à plusieurs centaines de kilomètres de leur base.
N’Djamena pourrait également aligner au maximum six hélicoptères – quatre seulement selon certaines sources, dont un réservé à l’usage du président –, des « Écureuil » H125M et « Fennec » AS550. Mais ceux-ci n’ont une autonomie que de 600 kilomètres, pour environ quatre heures de vol. Le reste de la flotte d’hélicoptères serait composé de Mi-8, Mi-17 ou Mi-171, plutôt destinés au transport, tandis que les Mi-24 d’attaque dont disposaient les Tchadiens ont été endommagés ou vendus ces dernières années à la RDC.
Déby Itno mise sur les drones
Dans ce contexte, Mahamat Idriss Déby Itno semble avoir fait le choix d’un équipement très en vogue au Sahel : les drones. Comme le Niger et la Tunisie, le Tchad a reçu une livraison de deux drones turcs de type Anka, conçus pour les missions de renseignement, mais pouvant être équipés de charges explosives pour des missions de destruction. Ces drones ont été récemment utilisés dans l’opération antiterroriste Haskamite, dans le bassin du lac Tchad.
« Les drones turcs, dont la maîtrise d’utilisation semble encore largement insuffisante, ne pourront jamais remplacer le dispositif aérien français qui a été à maintes reprises un élément clé pour sauver Idriss Déby Itno face aux offensives rebelles », croit toutefois savoir l’ancien ministre précédemment cité. Le Tchad se serait toutefois également équipé de drones fabriqués aux Émirats arabes unis, allié de N’Djamena sur le plan militaire et financier.
« Les drones représentent un avantage certain pour la surveillance, mais aussi en termes de prix car ils coûtent beaucoup moins cher qu’un avion de chasse, même d’occasion, explique un expert en matériel militaire. Toutefois, les questions de leur équipement d’attaque, de leur portée parfois faible et de leur guidage demeurent. Il paraît un peu aventureux pour un pays de faire reposer toute sa stratégie aérienne uniquement sur des drones. »
Une autre source sécuritaire relativise également l’efficacité de ces engins devenus stars des conflits depuis leur utilisation massive en Ukraine notamment. « L’efficacité des drones est forcément limitée. Ils peuvent “taper” une colonne rebelle s’ils sont bien pilotés et qu’ils disposent d’un renseignement suffisant, mais ils ne sont au mieux équipés que de quatre roquettes ou bombes guidées. Et ils ne peuvent pas mitrailler car ils ne sont pas équipés de canons, contrairement aux Mirage 2000. Au niveau opérationnel, c’est un peu de l’esbrouffe », conclut-elle.