Tchad : début du ramadan sur fond de vie chère et de crise sociale

 

 

(Xinhua) — Au Tchad, le ramadan de l’an 1433 de l’Hégire a commencé vendredi, alors que les prix des denrées de première nécessité ne cessent de flamber sur le marché et que la principale centrale syndicale du pays menace de déclencher une nouvelle grève dans le secteur public et parapublic.

"Le ramadan, qui correspond au neuvième mois lunaire de l’année musulmane, rappelle la révélation du Coran au prophète Mahomet par l’archange Gabriel. Ce mois sacré constitue l’un des cinq piliers de l’islam, avec la profession de foi en un Dieu unique et en Mahomet son messager, la prière quotidienne, l’aumône et le pèlerinage à la Mecque", déclare cheikh Abdadayim Abdoulaye Ousman, secrétaire général du Conseil supérieur des affaires islamiques ( CSAI).

Pendant le ramadan, les musulmans doivent s’abstenir de manger, de boire, de fumer et d’avoir des relations sexuelles du lever au coucher du soleil. Le jeûne est rompu chaque jour par le "iftar", le grand repas pris en famille.

Mais sur les marchés de la capitale et des villes secondaires, les prix des denrées de première nécessité augmentent sans cesse. Et beaucoup de pères de famille, comme Abdoulaye Mbodou, cadre dans l’administration, s’ils auront les moyens de donner, chaque soir, à leurs proches un "f’tour" ("iftar", en arabe local, Ndlr) "convenable et consistant".

Depuis un peu plus d’une semaine, le poisson est devenu un luxe pour beaucoup de ménages de N’Djaména. Le prix du petit sac de poissons frais, ravitaillé du Lac Tchad, vaut autour de 30.000 F CFA, contre 14.000 F CFA il y a peu de temps. La viande, autre aliment de base des Tchadiens, devient également rare dans les plats.

"Bien avant le début du mois saint, nous arrivions à peine à manger du poisson frais ou de la viande au déjeuner deux ou trois fois par semaine. Le reste des jours, nous devons nous contenter du poisson fumé ou séché", confie Abdoulaye Mbodou, marié à trois femmes et père de onze enfants.

Au marché des céréales de la N’Djaména, le sac de maïs est vendu depuis deux mois à 27.000 F CFA, alors qu’en temps normal, on pouvait l’acquérir à 14.000 francs. Le sac de mil pénicillaire, quant à lui, vaut 25.000 F CFA. Selon le ministère de l’Agriculture et de l’Irrigation, la dernière production agricole a connu un déficit céréalier de 400.000 tonnes.

Le bidon d’huile végétale importée de dix litres, est vendu entre 12.500 et 14.000 F CFA, contre 11.000 F CFA il y a quelques semaines. Le litre d’huile d’arachide locale est également passé de 800 à 1.250 ou 1.300 francs.

Le prix du sucre fabriqué par la Compagnie Sucrière du Tchad, qui bénéficie des facilités fiscales, stagne depuis quelques mois autour de 1.200 F CFA le paquet de 1 kg, bien plus cher que celui importé du Cameroun et vendu à 1.100 F CFA.

L’Etat a défiscalisé et subventionné les produits de première nécessité (riz de 50 kg, huile végétale, lait et pâtes alimentaires) afin de minimiser les prix sur le marché. Mais c’est l’effet contraire qui se produit. Les commerçants, véreux, créent des pénuries artificielles en constituant des stocks, puis imposent des prix exorbitants, au grand dam aux consommateurs.

En octobre 2010, le président Idriss Déby Itno a décidé de s’investir personnellement contre la cherté de la vie. "Cette pratique doit prendre fin, a-t-il martelé devant un parterre d’opérateurs économiques. Vous devez comprendre que vous ne pouvez indéfiniment escroquer la population en complicité avec les transporteurs, en réalisant des superbénéfices sur le dos de celle- ci. Il faut que cela change ! "

"Le Tchad qui est un pays agro-sylvo-pastoral par excellence ne doit pas connaître des pénuries de viande, de maïs, de riz ou d’oignons, les aliments les plus consommés", déclare cheikh Abdadayim Abdoulaye Ousman.

Selon le secrétaire général du CSAI, le ramadan est un mois spirituel, social et de générosité pendant lequel les fidèles doivent prêcher l’amour du prochain en posant de bons actes. "Sous d’autres cieux, les commerçants achètent des marchandises et les revendent au rabais en guise d’aumône en faveur des pauvres. Si nos commerçants n’agissent pas de même, c’est qu’ils n’auront pas de bénédiction d’Allah", estime-t-il.

A la Direction de la Concurrence et du contrôle des prix, au sein du ministère tchadien du Commerce et de l’industrie, l’on a recommandé au gouvernement de créer des magasins témoins ou de régulation des prix. "Ces magasins peuvent réduire les prix intermédiaires dans la distribution des produits et le développement des céréales locales pour faciliter leur consommation", explique son président, Tchoroma Matalama.

"Le gouvernement doit accélérer et veiller à la mise en oeuvre d’une politique efficace du Programme national de sécurité alimentaire (PNSA) et rendre obligatoire l’affichage des prix des produits de première nécessité dans les marchés et boutiques. Il doit également accélérer l’adoption et la mise en oeuvre de la loi sur la méthodologie, la politique des consommateurs et la concurrence", plaide Al Hadji Daouda Adam, secrétaire général de l’Association de défense des droits des consommateurs (ADC).

Il ajoute que les autorités municipales doivent veiller à la salubrité des produits vendus dans les marchés et au respect de l’affichage des prix.

Pour tromper la vigilance des brigades de contrôle des prix, les commerçants ont trouvé une parade : ils affichent bien les prix des articles devant leurs échoppes, mais ils les vendent plus chers. "C’est à prendre ou à laisser. Ces hommes-là sont très cupides et ne méritent pas qu’on les appelle musulmans. Ils nous affament, nous leurs frères, au nom du profit", s’indigne Amina Lawane, secrétaire de direction et mère de cinq enfants.

C’est dans ce contexte que le jeûne de ramadan de l’année 1432 de l’Hégire débute au Tchad où les musulmans représentent plus de la moitié de la population, d’après les résultats du dernier recensement général de la population et de l’habitat de 2007.

Le ramadan coïncide également avec une crise alimentaire aigüe qui frappe plusieurs régions du Tchad situées dans la bande sahélienne. Selon une enquête conjointe du ministère tchadien de l’Agriculture et de l’irrigation et du Programme alimentaire mondiale (PAM), environ 1.200.000 personnes souffrent de malnutrition aigüe dans cette partie du pays.

Enfin, l’Union des syndicats du Tchad (UST) a observé, en début de semaine courante, trois jours de grève dans le secteur public et parapublic pour réclamer l’application d’un protocole d’accord signé en novembre 2011 et "dénoncer la mauvaise gouvernance qui a occasionné la cherté de vie, l’injustice, l’insécurité, la corruption généralisée, les mesures impopulaires notamment l’interdiction de la pêche et toutes autres activités sur les berges du Chari", selon son secrétaire général, Adjia Djondang François.

La plus importante centrale syndicale du pays a suspendu jeudi son mouvement, mais elle pourrait entamer dès lundi prochain une nouvelle grève sèche et illimitée qui pourrait toucher le secteur privé.

 

 

 
 

 

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