Le despote tchadien Idriss Déby Itno veut modifier la Constitution afin d’être le Président du MPS. Il veut aussi supprimer l’inamovibilité du juge de siège. De sources concordantes, l’opposition est contre; elle a produit une déclaration remise au Président de l’Assemblée et lue à l’ensemble des députés par le Président du Groupe parlementaire URD.

 

Un vote a eu lieu à l’Assemblée nationale et la Déclaration de l’opposition a obtenu 48 voix, c’est-à-dire que 16 députés de la majorité ont approuvé l’analyse de l’opposition.

Ci-joints la proposition de loi et la Déclaration des deux groupes parlementaires de l’opposition.

 

Idriss Deby Itno ouvre encore un nouveau front où plusieurs velléités sont en sourdine. Pour les observateurs assez avertis de ce régime chancelant, le fait d’opérer plusieurs changements et nominations au sein de l’appareil qui détient le pouvoir ne passe pas inaperçu. Plusieurs cadres supposés gênants sont éloignés dans les ambassades et les institutions internationales. Le dictateur tchadien nomme ses enfants à des postes stratégiques relevant de la sécurité de l’état afin de bétonner et prévenir tout soulèvement. Les Tchadiens dans leurs ensembles devraient s’en inquiéter et sortir de leurs torpeurs.

 

 

La Rédaction.

 




DECLARATION DES DEPUTES DE L’OPPOSITION SUR LE PROJET DE  REVISION DE LA CONSTITUTION INTRODUIT LE 02 JANVIER 2013

Lors de la séance de clôture de la session budgétaire, le 31 décembre dernier, le Président de l’Assemblée Nationale a surpris les députés avec la lecture d’un décret convoquant une session extraordinaire. L’ordre du jour contenu dans ce décret, dont la date est mentionnée au stylo, est entre autres un projet de loi constitutionnelle portant modification de certaines dispositions de la Constitution. La manière cavalière de convocation de cette session et son objet amènent les observations suivantes :

1-

De la convocation de cette session extraordinaire

 

▪ de l’initiateur de la convocation de cette session :

Les textes fondamentaux (Constitution et Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale) reconnaissent au gouvernement et à l’Assemblée Nationale l’initiative de la convocation d’une session extraordinaire. Or, telles que les choses se sont passées, il s’agit d’une initiative gouvernementale.

A notre grand étonnement, le Président de l’Assemblée Nationale demande aux parlementaires de lire « proposition de loi » concernant la loi organique n°22/PR/2000 et non « projet de loi » comme indiqué dans le décret. Cela amène trois questions.

Premièrement, ceux qui ont rédigé, visé et signé ce décret sont-ils si ignorants qu’ils ne savent pas distinguer un projet de loi d’une proposition de loi ?

Deuxièmement, si des députés devaient être auteurs de ces modifications de lois, avaient-ils au préalable saisi le Bureau de l’Assemblée nationale de leur intention ?

Troisièmement, comment peut-on convoquer une session extraordinaire, alors que les textes à examiner sont à l’état de confection ? En effet, les textes programmés n’ont pas pu être remis aux députés pour la simple raison qu’ils n’étaient pas disponibles.

On peut déduire de ces bizarreries qu’il s’agit d’un cafouillage qui n’honore pas l’Etat tchadien, car digne d’une République bananière.

▪ de l’urgence d’une session extraordinaire

Il y a lieu également de s’interroger sur la nécessité d’une session extraordinaire.

En effet :

– en quoi les modifications de la Constitution suggérées et la restauration de la suppléance de députés constituent-elles des urgences qui ne peuvent pas attendre la session ordinaire prévue dans moins de deux mois (le 05 mars) ?

– pourquoi, vu le niveau d’impréparation, ne pas laisser les concepteurs peaufiner leurs propositions et les présenter normalement à la session de mars-juin ?

Là également, on note une improvisation et une précipitation dont nous ne percevons pas les raisons.

 

2-
Du contenu des modifications suggérées


Sont concernés par ces modifications les articles 71, 150, 152, 153, 154 et 155. En fait, elles touchent quatre points :

– la levée de l’incompatibilité des fonctions de Président de la République avec la fonction de dirigeant de parti politique et de toute autre organisation ;

– la suppression de l’inamovibilité des juges de siège ;

– l’institution de mandats (au maximum deux mandats de 7 ans) en remplacement de l’inamovibilité des magistrats de la Cour suprême ;

– la création d’une Cour des Comptes en lieu et place de la Chambre des Comptes de l’actuelle Cour Suprême.

Nous nous pencherons sur les deux premiers points, à savoir la faculté du Président de la République de diriger un parti politique et la suppression de l’inamovibilité du juge de siège. Pour l’instant, nous ne commentons pas pour l’instant les deux autres points.

a)- Sur la modification de l’article 71, alinéa 2

La proposition d’amendement suggère que : « Le Président de la République a la faculté d’exercer des fonctions dans un parti politique ou d’être membre d’associations académiques ou à caractère scientifique ou culturel ».

Une telle disposition est en totale contradiction avec l’esprit de nos Institutions et ce qu’incarne le Président de la République.

Celui-ci, bien que pouvant être présenté ou soutenu par un ou plusieurs partis politiques, une fois élu, est le Président de tous les Tchadiens quelque soit son appartenance ethnique, religieuse, régionale et politique. Jouant le rôle d’arbitre, il a le strict devoir de neutralité ; il ne doit pas être partisan, il doit être au-dessus de la mêlée.

C’est ainsi que l’article 60 de la Constitution précise qu’il « est le Chef de l’Etat, il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance et de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et du respect des traités et accords internationaux ».

En exerçant des fonctions au sein d’un parti politique, le Président de la République rompt avec son rôle d’arbitre et de Chef au-dessus de la mêlée ; il ne peut plus être le garant de l’unité nationale.

Le renforcement de notre démocratie balbutiante nous commande d’œuvrer avec détermination à la dépolitisation de l’Etat et de ses institutions,  et à séparer les activités publiques des activités partisanes.

C’est pourquoi l’Accord politique du 13 août 2007 a prescrit la dépolitisation de l’Administration publique ; les lois qui en ont découlé, notamment la loi n°19/PR/2009 du 31 août 2009 portant Charte des Partis politiques, dans son article 13 alinéa 2 a interdit-aux Chefs des unités administratives, les autorités traditionnelles et coutumières, … de diriger un parti politique ou d’en animer les cellules. Quid du Président de la République, Chef de l’Etat qui est leur Chef hiérarchique ? Un Président de la République Chef de parti amènerait ipso facto les gouverneurs, préfets, sous-préfets, chefs de canton et chefs de village à militer dans son parti, voire à en diriger les structures locales. C’est l’institutionnalisation du régime de Parti-Etat, contraire au pluralisme politique recherché par ailleurs.

La mission d’un parti politique est la conquête du pouvoir ; dès que cette mission est accomplie ou ce but atteint, le Chef du parti se dessaisit du parti et exerce sa charge de Président de la République en toute neutralité et impartialité au profit de la nation toute entière.

Telle est la tendance universelle. Le Tchad ramerait-il à contre courant ? Si cela devait être le cas, ce serait un vrai recul préjudiciable et incompatible avec l’impératif de dépolitisation de l’Administration publique.

 

b)- Sur la suppression de l’inamovibilité du juge de siège

Le juge de siège est celui qui rend le jugement ; c’est-à-dire celui qui a la charge de dire le droit selon son intime conviction, sans aucune contrainte. L’harmonie et la paix dans la société en dépendent.

C’est pour cela que la Constitution exige qu’il travaille en toute indépendance, sans crainte de représailles d’où qu’elles viennent, plus particulièrement de l’Exécutif.

L’inamovibilité dont il doit bénéficie constitue une garantie qui le protège contre toute mesure arbitraire de suspension, de déplacement ou de révocation.

C’est ce qui le distingue du magistrat du Parquet, c’est-à-dire la « magistrature debout », qui peut recevoir des ordres, des instructions du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice.

Les Tchadiens ont de moins en moins confiance en la justice de l’Etat ; tous réclament une justice plus indépendante, plus compétente et plus performante. C’est à juste titre et à cette fin qu’un vaste programme de réforme du système judiciaire est en cours d’exécution, dans le cadre du PRAJUST, avec le soutien de l’Union européenne

Supprimer l’inamovibilité du juge de siège équivaudrait ni plus ni moins qu’à instaurer sa subordination au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, au même titre que « la magistrature debout ». C’en serait donc fini de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire.

 

Conclusion

Poursuivre et adopter ces amendements conduiraient inévitablement à un régime de Parti-Etat et à la fin de la séparation du pouvoir exécutif du pouvoir judiciaire.

Après la mise au pas de l’Assemblée Nationale, que resterait-il de notre démocratie ?

Du reste, l’article 223 de la Constitution stipule : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivi lorsqu’elle porte atteinte :

– à l’intégrité du territoire, à l’indépendance nationale ;

– à la forme républicaine de l’Etat, au principe de la séparation des pouvoirs et à la laïcité ;

– aux libertés et droits fondamentaux du citoyen ;

au pluralisme politique. »

De plus, cette révision, touchant à des principes de base de construction de l’Etat de droit, ne saurait être considérée comme technique.

Persister dans la voie d’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle serait remettre en cause tous les acquis de la démocratisation de la vie politique nationale, c’est ramer à contre-courant de l’histoire. Les simples déclarations d’intention ou de bonne foi ne sauraient suffire.

De ce qui précède, les Députés de l’opposition démocratique demandent le retrait pur et simple de la proposition de la loi constitutionnelle portant amendement des articles 71, 150, 152, 153, 154 et 155.

 

                                           

         Fait à N’Djamena, le 8 janvier 2013

 

Pour le Groupe parlementaire URD        Pour le Groupe parlementaire UNDR

     Le Président                                     Le Président

 

ROUMADOUNGAR Félix Nialbé                   Saleh KEBZABO



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