L’affaire Ibni Oumar Mahamet Saleh, du nom de cet opposant tchadien disparu il y a cinq ans est emblématique de l’impunité des crimes commis par le régime tchadien. Une impunité qui menace d’être renforcée par les négociations diplomatiques qui ont amené à l’intervention tchadienne au Mali.

Il y a cinq ans, le 3 février 2008, l’opposant tchadien Ibni Oumar Mahamet Saleh, leader du PLD (Parti pour la liberté et le développement) disparaissait à N’Djamena après avoir été arrêté par des forces de sécurité tchadiennes. Cette arrestation et cette disparition ont eu lieu au cours d’une attaque de forces armées hostiles au pouvoir du dictateur Idriss Déby, qui a bénéficié à cette occasion d’un appui militaire français décisif pour son maintien au pouvoir.

La commission d’enquête tchadienne créée sous la pression internationale, dépourvue de moyens suffisants, n’a jamais pu aller au bout de son travail, le pouvoir tchadien s’étant empressé d’enterrer ses conclusions, publiées en juillet 2008, en créant un un « comité de suivi » uniquement composé de proches de Déby. L’élimination d’Ibni par le pouvoir tchadien ne fait pourtant aujourd’hui aucun doute.

Une rencontre de commémoration a été organisée à Paris, dans un amphithéâtre de Sciences Po, le 1er février dernier, par le comité de soutien à Ibni et sa famille, avec la participation du sénateur Jean- Pierre Sueur, de nombreux opposants tchadiens et de membres d’ONG (Amnesty International, ACAT) qui suivent attentivement ce dossier. Un point sur les démarches en cours et les obstacles rencontrés a été établi par les participants.

S’il y a peu à attendre de la commission de suivi tchadienne, qui ne s’est réunie qu’une fois, l’instruction des plaintes déposées par la famille d’Ibni auprès du TGI de Paris suit son cours. La présence à établir d’un capitaine de police français sur les lieux de détention d’Ibni, pourrait s’avérer déterminante pour la suite de l’enquête, étant donné les réticences du tribunal de grande instance de Paris à enquêter sur un dossier jugé trop « tchadien ».

L’armée française doit parler

L’activisme du sénateur Jean-Pierre Sueur et du député Gaëtan Gorce a également beaucoup contribué a faire progresser cette affaire. En janvier 2012, les deux parlementaires demandaient au procureur de police de Paris de saisir la Cour pénale internationale sur cette affaire. Jean-Pierre Sueur est par ailleurs le promoteur d’une loi visant à faire supprimer les verrous rendant ineffective la compétence extra-territoriale des juges français à l’égard des auteurs de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocides et qui devrait être soumise au Sénat dans les prochaines semaines.

Des démarches répétées auprès de l’Elysée et des ministères ont conduit à la déclassification d’une partie des télégrammes diplomatiques échangés au cours de la détention d’Ibni. Pour certains observateurs, la connaissance précise par l’armée française de ce qui s’est passé à N’Djamena durant cette détention est évidente. Un colonel de l’armée française, Jean-Marc Gadoullet, se serait trouvé aux côtés d’Idriss Déby pendant les opérations. Il recevra quelques mois plus tard la Légion d’honneur des mains de Nicolas Sarkozy (avant de refaire surface il y a un peu plus d’un an dans des aventures barbouzardes au Mali).

Si les enregistrements des communications interceptées par le renseignement mili­ taire français permettraient probablement de connaître les faits et leurs responsa­ bles, il demeure à ce stade difficile d’obtenir leur déclassification, selon Jean-Pierre Sueur, interrogé à ce sujet au cours de la conférence de Sciences-Po.

Déby relégitimé ?

Au delà du seul cas d’Ibni, c’est la relation franco-tchadienne qui a interpellé la plupart des intervenants et auditeurs de la conférence du 1er février, qui ont évoqué et dénoncé l’ensemble des crimes impunis de Déby et rappelé le rôle de la France dans le maintien au pouvoir du dictateur tchadien.

Le renouveau récent de ces relations diplomatiques, dans le contexte de la participation tchadienne aux opérations armées au Mali conduites par la France, est un motif de préoccupation partagé par de nombreux opposants et militants des Droits de l’homme tchadiens et français. Si certains élus français, comme Jean-Pierre Sueur osent encore affirmer qu’« il n’y a jamais aucun intérêt supérieur, diplomatique ou stratégique, qui fasse qu’un pays comme la France puisse accepter de cautionner les violations des Droits de l’homme », c’est loin d’être la ligne empruntée par la diplomatie française, qui a fait le choix d’oublier la nature répressive, criminelle et clanique de certaines troupes africaines qu’elle est allée chercher pour combattre au Mali.

C’est donc avec une grande amertume que les Tchadiens qui ont fui les exactions du régime Déby entendent aujourd’hui vanter la compétence supposée des « soldats du désert » tcha­diens par des militaires, diplomates, journalistes français et africains. Les crimes du régime tchadien ne sont-ils pas suffisamment documentés pour que des voix critiques s’élèvent en France, dans les médias et au Parlement pour dénoncer les conséquences possibles du pacte entre François Hollande et Idriss Déby pour les populations tchadiennes, effrayées de voir un régime tant honni relégitimé sur la scène internationale ?

Survie 

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