11 mai 2013 Tchad – Dix premiers jours du Mai 2013 : Sale temps pour les journalistes tchadiens!
L’euphorie d’une partie des journalistes tchadiens à la Maison des Médias de N’Djamena à l’occasion de la célébration de la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse le 3 mai dernier a fait long feu. En effet, les lendemains de cette fête universelle sont en train de faire déchanter toute la grande famille de la presse tchadienne.
Lundi 6 mai dans la matinée, un journaliste – qui n’est pas n’importe lequel – de la radio, Eric Topana, de surcroit secrétaire général de l’Union des Journalistes de Tchad (UJT), est convoqué au Palais de Justice par le procureur de la république. Au terme d’une brève audition, et à la grande surprise de quelques personnes qui l’accompagnent (journalistes et membres de la famille) il sort du bureau du procureur, encadré par des gendarmes pour prendre la direction de la Maison d’arrêt d’Amsinénè dans la banlieue de N’Djamena, où il est ipso facto incarcéré.
A en croire les premières indiscrétions, on lui reprocherait d’avoir posté des informations sur internet considérées comme ayant porté atteinte à l’ordre constitutionnel.
En tout cas, la spirale ne faisait que commencer : Deux jours plus tard, mercredi 8 mai dans la matinée, une convocation adressée au directeur de publication du périodique « Abba Garde » plonge un peu plus l’ensemble des journalistes et défenseurs des droits de l’homme du Tchad dans la panique, ces derniers se demandant si le régime d’Idriss Deby s’était subitement décidé de s’attaquer avec violence aux journalistes, puisque Moussa Avenir de la Tchiré, premier responsable de ce journal qui n’a jamais été tendre au constat des bévues et excès du régime depuis sa date de création il y a un an, est tout aussi brutalement arrêté et incarcéré. «Pour diffamation et incitation à la haine » a par la suite laissé entendre un chuchotement en provenance des magistrats du parquet de N’Djamena.
Il faut dire que quelques heures seulement après l’arrestation d’Eric Topona, un défenseur des droits de l’homme tchadien avait fait état, pratiquement de façon prémonitoire, « d’intimidations contre Moussa Avenir depuis un certain temps, à cause des articles critiques que ce dernier ne ménageait pas contre le régime Deby dans le journal Abba Garde ». Notamment dans sa dernière édition où ce journal avait sentencieusement affirmé que la liberté de la presse est une pure fiction au Tchad, en évoquant surabondamment le côté économique et l’insécurité qui menacent les journalistes.
Le troisième cas d’atteinte aux journalistes et à leur liberté a été perpétré bien loin du territoire tchadien, au Sénégal. Preuve que les professionnels tchadiens des médias, fussent-ils à l’extérieur, ne sont pas hors de la portée d’un régime liberticide et criminel qui, ces derniers temps, semble carrément être ivre de sang.
En effet, dans la nuit du mardi 06 mai vers 23 h 30, le journaliste –blogueur Makaïla Nguebla, installé depuis 2005 au Sénégal, a fait l’objet d’une expulsion sans ménagement du territoire sénégalais, jeté impitoyablement à bord d’un vol « Air Sénégal International » à destination de Conakry. De nationalité tchadienne, il était installé au Sénégal depuis 2005 où il avait déposé une demande d’asile politique.
Nous avons appris qu’au cours de son audition dans les locaux de la Police sénégalaise, à la suite d’une convocation de la direction de Surveillance du territoire (DST) du Sénégal, mardi dernier, on lui a reproché de terribles délits : une pseudo incitation à la révolte de la jeunesse tchadienne par le biais de son intervention sur les ondes de la radio sénégalaise « Sud FM », et surtout, une prétendue atteinte à l’ordre constitutionnel du Tchad à travers ses échanges d’e-mails avec Eric Topana déjà arrêté à N’Djamena. Incroyable !
Makaïla a admis entretenir un contact avec son confrère Eric Topana (ce qui ne peut être que normal), mais n’a reconnu aucune des correspondances par e-mails qu’on lui a opposées sur la table, et dont les flics sénégalais prétendaient avoir fait l’objet d’échanges entre lui et des personnes ne faisant pas partie de ses relations.
A la fin de son audition, ses enquêteurs lui ont notifié sans fioriture son expulsion vers le Tchad ou le Mali.
Dans l’avion, il adressé la parole et engagé la conversation avec une dame embarquée dans le même vol. Et c’est elle qui l’héberge à l’heure qu’il est, les autorités guinéennes ayant accepté de l’accueillir sur leur territoire.
Devant un dérapage aussi sauvage et sans précédent, la Ligue sénégalaise des Droits de l’Homme (LSDH), Amnesty International Sénégal et la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) ont dénoncé en chœur et avec véhémence cette expulsion de Makaïla Nguebla perpétrée en violation de tous les us et coutumes en la matière par les autorités sénégalaises.
A cet effet, le président Macky Sall a été fortement interpellé, puisque le Sénégal, le pays de la « Téranga » a toujours été une terre d’asile garante des libertés d’expression sur le continent !
Ce qui est grave et fait l’objet d’une vive levée de boucliers au Sénégal aujourd’hui, est que cette cruelle, incompréhensible, et inhabituelle expulsion d’un demandeur d’asile – dont la vie est indiscutablement menacée – porte allègrement atteinte à la Déclaration Universelle des Droits Humains ainsi qu’à une foule de conventions internationales ratifiées par le pays Léopold Sédar Senghor.
Après avoir arrêté et prestement embastillé des militaires, des politiciens et même des députés présumés impliqués, par ci dans une conspiration, et par là dans une tentative de coup d’Etat, voilà le régime d’Idriss Deby qui s’attaque de front et avec furie aux hommes de médias, journalistes et bloggeurs. Dans sa rencontre avec un bataillon désabusé de responsables politiques et de la société civile à N’Djamena mercredi 8 mai dernier, le président Sultan Idriss Deby a évoqué, la voix pâteuse et une bave blanchâtre à la commissure des lèvres, « des tchadiens conspirant contre lui dans la logique d’un hypothétique Printemps arabe version tchadienne. » Il aura ainsi profité de l’occasion pour condamner avec hystérie l’acharnement des utilisateurs des réseaux sociaux comme moyen de communication, pour s’attaquer à sa personne et à son régime à un moment où, dit-il les yeux hors de la tête, « je me bats pour faire du Tchad un pays émergent. ».
Des informations non recoupées parlent même de la détermination d’Idriss Deby de s’en prendre dorénavant à d’autres bloggeurs de France et d’ailleurs (sic ?).
Quant à Moussa Avenir de la Tchiré, il faisait partie, en juin 2012, d’un groupe de journalistes qui s’estimaient menacés par Jean Bernard Padaré, à l’époque ministre des Affaires foncières et du Domaine.
Enfin Makaîla Nguebla dont le blog vif et quelque peu impertinent a régulièrement critiqué les pratiques cyniques et peu orthodoxes de l’ancien avocat devenu aujourd’hui ministre Jean Bernard Padare. Selon des sources puisées à Dakar, son extradition en direction du Tchad, sur exhortation de Deby, avait été soulevée par ce dernier auprès des autorités sénégalaises en marge de la signature du fameux accord de coopération judiciaire Sénégalo-Tchadien relatif à l’affaire Hissein Habré.